Pickering resta un instant silencieux.
— Vous ne faites pas mystère de vos sentiments envers votre père, et je suis sûr que l‘équipe de campagne du Président est au courant de vos désaccords. Il me semble qu‘il pourrait bien vouloir vous utiliser contre lui d‘une manière ou d‘une autre.
— Pas autant que moi..., fit Rachel en plaisantant à moitié.
Pickering demeura impassible mais son regard se durcit.
— Agent Sexton, un petit avertissement en passant. Si vous avez l‘impression que vos problèmes personnels avec votre père sont susceptibles de fausser votre jugement dans vos rapports avec le Président, je vous conseille vivement de décliner l‘invitation de celui-ci.
— Décliner ? (Rachel eut un petit rire nerveux.) Je ne peux évidemment pas refuser ce rendez-vous.
— Non, fit le boss du NRO. Mais moi je le peux.
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Il avait répondu sur un ton légèrement grondeur qui rappela à Rachel l‘autre raison pour laquelle on le surnommait le Quaker. Il avait beau être un petit homme, William Pickering pouvait provoquer des tremblements de terre politiques si l‘on piétinait ses plates-bandes.
— Ma façon de voir est simple, poursuivit-il sur le même ton. J‘ai une responsabilité envers mes collaborateurs, je dois les protéger, et je n‘apprécie pas que l‘on décide de manipuler l‘un d‘eux dans un combat politique, même si cela ne doit avoir que des conséquences limitées.
— Que me recommandez-vous donc ?
Pickering soupira.
— Ma suggestion, c‘est que vous le rencontriez quand même. Ne vous engagez à rien. Une fois que le Président vous aura dit ce qu‘il a en tête, appelez-moi. Si j‘ai l‘impression qu‘il a l‘intention de jouer un coup tordu en se servant de vous, croyez-moi, je vous escamoterai si vite qu‘il ne comprendra même pas ce qui s‘est passé.
— Merci, monsieur, fit Rachel, réconfortée par l‘aura protectrice qui émanait du directeur et qu‘elle avait longtemps cherchée en vain chez son propre père. Et vous dites que le Président a envoyé son chauffeur ?
— Oui, enfin pas exactement...
Pickering fronça les sourcils et, se tournant vers la fenêtre, pointa le doigt vers le parc. Perplexe, Rachel s‘approcha et regarda dans la direction indiquée.
Au beau milieu de la pelouse attendait un hélicoptère PaveHawk MH 60 G. L‘un des hélicos les plus rapides de la flotte américaine, ce PaveHawk s‘ornait des armes de la Maison Blanche. Le pilote, debout à côté de son appareil, regardait sa montre. Rachel se tourna vers Pickering, stupéfaite.
— La Maison Blanche a envoyé un PaveHawk pour m‘emmener à vingt-deux kilomètres d‘ici ?
— Apparemment le Président espère vous impressionner.
Ou peut-être vous intimider... (Pickering lui jeta un bref coup d‘œil avant de poursuivre :) Ne vous laissez pas prendre à son bluff !
Rachel acquiesça mais elle était bel et bien bluffée.
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Quatre minutes plus tard, Rachel Sexton quittait le NRO et embarquait dans l‘hélicoptère, qui décolla avant même qu‘elle ait pu boucler sa ceinture puis vira sec au-dessus des bosquets bordant le complexe. Rachel jeta un dernier regard sur les cimes qui s‘estompaient au-dessous d‘elle et sentit son pouls s‘accélérer. Son cœur aurait battu bien plus vite si elle avait su que l‘appareil n‘atterrirait jamais à la Maison Blanche.
5.
Les rafales de vent glacé faisaient claquer la toile de la tente polaire, mais Delta 1 y prêtait à peine attention. Lui et Delta 3
gardaient les yeux fixés sur leur camarade qui actionnait avec une dextérité chirurgicale la manette de commande. L‘écran de l‘ordinateur retransmettait le film vidéo enregistré par la caméra minuscule embarquée par le microrobot.
L‘outil de surveillance suprême, pensa Delta 1, aussi ébahi que la première fois qu‘il l‘avait vu en action. Les derniers progrès de la micromécanique enfonçaient les inventions les plus élaborées des auteurs de science-fiction.
Ce microrobot, système électromécanique miniaturisé, était le dernier engin de surveillance high-tech, la technologie de la « mouche au plafond », comme ils l‘appelaient.
Et c‘était exactement ça.
Les robots télécommandés de taille microscopique semblaient tout droit sortis de l‘univers de science-fiction mais, en fait, on les avait vus apparaître dès les années 1990. Le magazine Discovery avait fait la une de son numéro de mai 1997
sur ces microrobots, et il y présentait des modèles aussi bien
« volants » que « nageants ». Les robots nageurs étaient de minuscules appareils de la taille d‘un grain de sel, qui pouvaient être injectés dans le système vasculaire d‘un être humain, un peu comme dans le film Le Voyage fantastique.
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On les utilisait aujourd‘hui dans certains hôpitaux de pointe pour aider les médecins à sonder l‘état des artères de leurs patients et, grâce au contrôle à distance sur écran vidéo, le cardiologue pouvait localiser les sections artérielles obstruées en laissant son scalpel rangé dans un tiroir.
Et, contrairement à ce qu‘on pourrait imaginer, leur fabrication n‘avait absolument rien de compliqué. La technologie de l‘aérodynamique et de la fabrication d‘engins volants étant parfaitement au point depuis des décennies, il restait seulement à résoudre le problème de la miniaturisation.
Les microrobots volants, mis au point par la NASA comme outils d‘exploration mécanisés pour les futures missions sur Mars, mesuraient au début une dizaine de centimètres. Depuis, les avancées des nanotechnologies, la mise au point de matériaux légers absorbeurs d‘énergie et la micromécanique avaient fini par faire de ces microrobots volants une réalité.
Des libellules miniatures avaient fourni un prototype idéal à ces minuscules engins aussi agiles qu‘efficaces. Le modèle PH2 que Delta 2 faisait actuellement voler ne mesurait qu‘un centimètre de long – la taille d‘un gros moustique – et avait été doté d‘une double paire d‘ailes de silicone transparentes et articulées, ce qui lui conférait, en vol, une mobilité et une efficacité hors pair.
Le système de ravitaillement de cette libellule mécanique avait constitué une autre percée spectaculaire. Le premier prototype ne pouvait recharger ses batteries qu‘en se tenant à la verticale d‘une source de lumière brillante, ce qui n‘en faisait pas un appareil idéal pour des surveillances furtives ou en site obscur. Les prototypes les plus récents, en revanche, pouvaient recharger leurs batteries simplement en se posant à quelques centimètres
d‘un
champ
magnétique.
Heureusement,
aujourd‘hui, on trouve des champs magnétiques à peu près partout : prises électriques, écrans d‘ordinateurs, moteurs électriques, haut-parleurs, téléphones portables... Bref, il n‘y a plus aucune difficulté à trouver une station de ravitaillement.
Une fois que le microrobot a été introduit avec succès dans un lieu, il peut transmettre presque indéfiniment des signaux audio
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et vidéo. Le microrobot de la Force Delta transmettait depuis plus d‘une semaine maintenant sans le moindre pépin.