En grimpant l‘escalier, Rachel sentit sur ses talons l‘agent du Secret Service qui accélérait le mouvement. Tout en haut, la portière de la cabine ouverte ressemblait à un petit orifice sur le flanc d‘une gigantesque baleine argentée. En approchant du seuil de l‘avion, elle sentit son assurance s‘évanouir.
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Du calme, Rachel, ce n‘est qu‘un avion, se rassura-t-elle.
L‘agent du Secret Service lui prit poliment le bras et la guida dans un corridor étonnamment étroit. Ils tournèrent à droite, franchirent une courte distance, et pénétrèrent dans une cabine aussi spacieuse que luxueuse. Rachel la reconnut immédiatement pour l‘avoir vue en photo.
— Attendez ici, fit l‘agent, avant de s‘éclipser.
Rachel resta seule dans la célèbre suite présidentielle lambrissée de l‘ Air Force One. C‘était la salle où l‘on recevait dignitaires et personnalités et manifestement l‘endroit où l‘on introduisait les novices que l‘on souhaitait intimider. La pièce prenait toute la largeur de l‘appareil et elle était tapissée d‘une épaisse moquette brun foncé. L‘ameublement était impeccable : fauteuils recouverts de cuir disposés autour d‘une immense table circulaire en érable, lampadaires en bronze patiné flanquant un immense sofa et un bar en acajou supportant des verres de cristal gravés à la main.
Les concepteurs du Boeing avaient soigneusement étudié l‘aménagement de ce salon pour procurer aux passagers « un sentiment d‘ordre et de tranquillité ». La tranquillité, pour l‘instant, était bien la dernière chose que Rachel Sexton ressentait. Elle pensait à tous les responsables politiques qui s‘étaient assis ici même pour y prendre des décisions qui avaient peut-être changé le destin du monde.
Tout, dans cette grande pièce, exprimait le pouvoir, depuis l‘arôme discret du cigare jusqu‘à l‘emblème présidentiel que l‘on retrouvait un peu partout : l‘aigle aux serres refermées sur les flèches et les rameaux d‘olivier était brodé sur les coussins, gravé dans le seau à glace et même imprimé sur les sous-verres en liège du bar. Rachel en prit un pour l‘examiner.
— Envie de garder un petit souvenir ? lança une voix grave derrière elle.
Surprise, Rachel fit un demi-tour et laissa échapper le sous-verre qui tomba. Elle s‘agenouilla pour le ramasser. Tout en le reposant, elle se tourna et rencontra le regard du président des États-Unis, qui la fixait ironiquement.
— Je ne suis pas un roi, mademoiselle Sexton, la génuflexion est donc inutile.
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7.
Le sénateur Sedgewick Sexton appréciait l‘intimité de sa limousine Lincoln qui se faufilait dans le trafic matinal de Washington, en direction de son bureau. En face de lui, Gabrielle Ashe, son assistante de vingt-quatre ans, lui lisait l‘emploi du temps de sa journée. Sexton écoutait à peine.
J‘adore Washington, pensait-il, en admirant les formes parfaites de son assistante sous son pull en cachemire. Le pouvoir est le plus grand aphrodisiaque qui soit... et il fait accourir en masse les jolies femmes dans la capitale.
Gabrielle, diplômée d‘une des prestigieuses universités de la côte Est, ambitionnait de devenir un jour sénatrice. Elle y arrivera, songea Sexton. Elle avait une allure folle, et l‘esprit vif.
Et elle comprenait parfaitement les règles du jeu.
Gabrielle Ashe était noire, sa peau avait un ton cannelle ou acajou foncé, du genre bronzage permanent, que Sexton appréciait à l‘instar de tant d‘autres Blancs BCBG. Comme eux, il ne dédaignait pas de flirter avec ce genre de femmes, avec lesquelles il n‘avait pas l‘impression de trahir son « camp ».
Sexton décrivait Gabrielle à ses amis comme un mélange de Halle Berry pour le physique et de Hillary Clinton pour l‘intellect et l‘ambition, mais il ne pouvait s‘empêcher de se dire parfois qu‘il était en dessous de la vérité.
Gabrielle avait été un atout formidable pour sa campagne depuis qu‘il l‘avait promue assistante personnelle, trois mois auparavant. Et, pour couronner le tout, elle était gratuite : elle estimait ses journées de travail de seize heures suffisamment payées par son apprentissage des ficelles du métier auprès d‘un homme politique chevronné.
Bien sûr, se rengorgea silencieusement Sexton, je l‘ai convaincue d‘en faire un peu plus que ce pour quoi elle avait été
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engagée. Peu après, Gabrielle avait été invitée à une « session d‘orientation », tard le soir, dans le bureau privé de son patron.
Comme prévu, la jeune assistante s‘était montrée impressionnée et désireuse de plaire avant tout. Avec une patience acquise au fil des décennies, une douceur insinuante, Sexton avait réussi à envoûter la jeune femme, gagnant sa confiance, faisant tomber une à une ses défenses, s‘assurant une maîtrise complète de la situation, pour finalement séduire Gabrielle sur place, dans son bureau même.
Sexton ne doutait pas que cette expérience avait été sur le plan sexuel l‘une des plus gratifiantes qu‘ait pu faire la jeune femme. Pourtant, à la lumière du jour, Gabrielle avait regretté ce dérapage. Embarrassée, elle avait proposé de démissionner.
Sexton avait refusé. La jeune femme continua donc de travailler pour le sénateur, mais elle lui fit clairement comprendre qu‘elle avait bien l‘intention d‘en rester là. Depuis, leur relation demeurait strictement professionnelle.
Les lèvres pulpeuses de Gabrielle bougeaient toujours.
— ... ne vous laissez pas entraîner à participer au débat de CNN cet après-midi. Nous ne savons toujours pas qui la Maison Blanche va envoyer pour dialoguer avec vous. Je crois que vous auriez intérêt à lire attentivement ces notes, ajouta-t-elle en lui tendant un dossier.
Sexton prit le dossier, tout en savourant la fragrance de son parfum mêlée à l‘arôme du cuir des sièges.
— Vous n‘écoutez pas, dit-elle.
— Bien sûr que si. (Il sourit de toutes ses dents.) Ne vous en faites pas pour ce débat. Dans le pire des cas, la Maison Blanche me snobe en envoyant un sous-fifre. Dans le meilleur des cas, ils enverront une pointure dont je ne ferai qu‘une bouchée.
Gabrielle fronça les sourcils.
— Très bien, j‘ai glissé dans vos notes une liste de questions désagréables envisageables.
— Les questions habituelles, je suppose ?
— Avec un nouveau sujet d‘actualité. Je crois que vous pourriez essuyer un retour hostile de la part de la communauté
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gay après vos déclarations d‘hier soir dans l‘émission de Larry King.
Sexton haussa les épaules, écoutant d‘une oreille distraite.
— Évidemment. Toujours ces histoires de mariages entre personnes de même sexe.
Gabrielle lui jeta un regard désapprobateur.
— Votre sortie d‘hier soir était trop véhémente.
Mariages entre personnes du même sexe, rumina Sexton avec dégoût. Si ça ne tenait qu‘à moi, les tantouzes n‘auraient même pas le droit de vote.
— Très bien, Gabrielle, je vais y mettre une sourdine.
— Bien. Vous avez poussé le bouchon un peu loin sur quelques sujets chauds ces temps-ci, sénateur. N‘en faites pas trop. Le public peut se retourner en un clin d‘œil. Pour l‘instant, vous surfez sur la vague et elle gagne de la vitesse. Contentez-vous d‘y rester. Inutile de smasher sans arrêt, il suffit de renvoyer la balle.