demanda Rachel. La roche aurait pu être calcinée par un moteur à propulsion ECE puis rapidement refroidie dans un congélateur cryogénique.
Corky lui jeta un regard sceptique.
— Des chondres fabriqués ?
— Et pourquoi pas ?
– 367 –
— Une hypothèse ridicule, répliqua Corky en jetant un coup d‘œil à son échantillon de roche.
Il reprit, condescendant :
— Peut-être l‘avez-vous oublié, mais ces chondres ont été datés. Ils sont âgés de cent quatre-vingt-dix millions d‘années.
Pour autant que je sache, mademoiselle Sexton, il y a cent quatre-vingt-dix millions d‘années, personne n‘était capable de fabriquer des moteurs à propulsion ECE, pas plus que des refroidisseurs cryogéniques.
Chondres ou pas, songea Tolland, les présomptions s‘accumulent. Il était resté sans voix pendant quelques minutes, profondément troublé par les hypothèses de Rachel sur la croûte de fusion qui avaient ouvert toutes sortes de nouvelles pistes. Tolland s‘était mis à réfléchir intensément. Si la croûte de fusion est explicable... qu‘est-ce que cela entraîne ?
— Vous êtes silencieux, fit Rachel, à côté de lui.
Tolland lui jeta un coup d‘œil. L‘espace d‘un instant, dans la lueur tamisée de la cabine, la tendresse du regard de Rachel lui rappela Celia. Chassant ses souvenirs, il poussa un soupir fatigué.
— Oh, je pensais simplement...
Elle sourit.
— Aux météorites ?
— Et quoi d‘autre ?
— Vous passiez en revue les preuves, vous demandant si on pouvait aller plus loin ?
— Quelque chose comme ça.
— Alors ?
— Je n‘avance pas beaucoup. Mais je suis en tout cas très troublé de constater à quel point l‘échafaudage de preuves s‘est effondré facilement après la découverte de ce puits d‘insertion sous la banquise.
— Ce sont toujours des châteaux de cartes, répondit Rachel. Sapez l‘hypothèse numéro un et tout le reste s‘écroule.
La localisation de la découverte de la météorite était notre hypothèse de départ.
Tolland acquiesça.
– 368 –
— Quand je suis arrivé sur le glacier Milne, l‘administrateur de la NASA m‘a dit que la météorite avait été découverte à l‘intérieur d‘une matrice de glace intacte de trois cents ans d‘âge. Il a affirmé aussi que cette roche était plus dense que toutes celles qu‘on avait découvertes auparavant dans le secteur, ce que j‘ai pris comme la preuve logique que cette roche avait dû tomber de l‘espace.
— Oui, comme nous tous.
— La teneur en nickel, d‘autre part, ne semble ni confirmer ni infirmer l‘origine extraterrestre de la roche.
— Elle est proche des valeurs relevées sur d‘autres météorites, fit Corky, qui avait recommencé à écouter.
— Mais pas exactement semblable...
Corky opina à contrecœur.
— De plus, poursuivit Tolland, cette espèce d‘insecte qu‘on n‘avait jamais vue jusque-là, quoique très bizarre, pourrait n‘être en réalité qu‘une très ancienne espèce de crustacé d‘eau profonde.
Rachel approuva.
— Et en ce qui concerne la croûte de fusion...
— Ça m‘ennuie de te contredire, fit Tolland en jetant un regard oblique à Corky, mais j‘ai l‘impression qu‘il y a beaucoup plus de présomptions négatives que positives...
— La science n‘est pas une question d‘impressions, l‘interrompit Corky, mais de preuves. Les chondres, dans cette roche, indiquent vraiment une météorite. Je suis d‘accord avec vous sur le fait que tout ce que nous avons constaté est profondément perturbant mais on ne peut pas ignorer ces chondres. Les preuves d‘une origine extraterrestre sont déterminantes alors que les objections ne sont que secondaires.
Rachel fronça les sourcils.
— Bien. Alors quelle conclusion doit-on tirer ?
— Aucune, trancha Corky. Les chondres prouvent que nous avons bien affaire à une météorite. La seule question est de savoir si elle a été enfouie sous la glace par la nature ou par nos petits amis de la NASA.
Tolland aurait bien voulu admettre la solide logique de son ami mais quelque chose continuait à clocher.
– 369 –
— Tu n‘as pas l‘air convaincu, Mike, dit Corky.
Tolland poussa un soupir désabusé.
— Je ne sais pas. Deux preuves sur trois, ce n‘était pas mal, Corky, mais on en est à une sur trois maintenant. J‘ai la nette impression qu‘il y a quelque chose qu‘on n‘a pas encore pigé.
90.
Je me suis fait pincer, pensa Chris Harper, glacé jusqu‘aux os, en train de s‘imaginer le cadre avenant d‘une cellule de prison américaine. Le sénateur Sexton sait que j‘ai menti au sujet du logiciel PODS.
Alors qu‘il ramenait Gabrielle Ashe dans son bureau et qu‘il refermait la porte derrière eux, le chef du projet PODS sentait sa haine envers l‘administrateur de la NASA croître de seconde en seconde. Ce soir-là, Harper avait appris de quels méfaits Ekstrom était capable. Non seulement, il avait contraint Harper à mentir, mais en outre, il avait apparemment monté un dossier contre lui pour disposer d‘un moyen de pression supplémentaire au cas où l‘ingénieur, pris de remords, aurait décidé d‘avouer la vérité.
Des preuves de détournement, songea Harper. Très habile chantage. Après tout, qui ajouterait foi aux propos d‘un escroc tentant de discréditer la plus grande découverte spatiale de l‘histoire américaine ? Harper savait déjà très bien jusqu‘où pouvait aller l‘administrateur de la NASA pour sauver l‘Agence, mais depuis l‘annonce de la découverte de ces fossiles extraterrestres, les enjeux étaient décuplés.
– 370 –
Harper arpenta quelques instants son bureau, contemplant la large table sur laquelle trônait un modèle réduit du satellite PODS – une sorte de prisme cylindrique hérissé de multiples antennes et objectifs protégés par des écrans réfléchissants.
Gabrielle s‘assit, dans l‘expectative, ses yeux noirs fixés sur Harper. La nausée qu‘éprouva le professeur lui rappela le calvaire qu‘il avait vécu lors de cette infâme conférence de presse. Sa prestation avait été lamentable et tout le monde l‘avait interrogé sur son état. Il avait dû mentir, une fois de plus, et dire qu‘il était malade, qu‘il n‘était pas dans son état normal.
Ses collègues et la presse avaient rapidement oublié sa performance plus que médiocre.
Son mensonge lui revenait ce soir en pleine figure.
L‘expression de Gabrielle Ashe se radoucit.
— Monsieur Harper, si l‘administrateur de la NASA est votre ennemi, comme vous le dites, vous avez besoin d‘un allié puissant. Le sénateur Sexton pourrait bien être votre seul ami.
Commençons par le logiciel PODS. Dites-moi ce qui s‘est passé.
Harper soupira, il savait qu‘il était temps de dire la vérité.
J‘aurais bien mieux fait de tout dire dès le premier jour, songea-t-il.
— Le lancement du PODS s‘est bien passé, commença-t-il.
Le satellite s‘est placé sur une orbite polaire parfaite, exactement comme prévu.
Gabrielle Ashe adopta une expression ennuyée. Elle connaissait déjà tous ces détails.
— Continuez, monsieur Harper.
— Puis les ennuis ont commencé. Quand nous avons actionné le mécanisme de détection d‘anomalies, le logiciel est tombé en panne.