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— J’ai pas de bas. Bouge pas, je le dépose à côté, chez mon frère.

Elle sortit, laissant la porte ouverte. Je fermis de nouveau les yeux et glissa dans le potage.

Des chuchotements me ramenèrent sur la rive. Je fis un effort pour rouvrir mes vasistas. Aperçus la pétasse avec un grand gaillard, genre basketteur comme gabarit. D’ailleurs il portait un survêtement bleu avec des bandes blanches et un énorme « L » sur la poitrine.

— Oui, oui, c’est sûrement lui, dit-il.

Bon, je compris que c’était scié. La tapineuse, en allant mettre son bouquet au frais chez le frelot avait dû mentionner ma couleur verte et ce grand con avait entendu les informations.

Je constatai qu’il tenait une matraque dont il se tapotait la cuisse.

Réalisant que je venais de récupérer mes esprits, il déclara :

— Voilà ce qu’on va faire : vous me remettez votre rouleau de dollars et je vous laisse filer ; sinon je vous assomme, je pique les banknotes et Betty va chercher les flics. Choisissez ce que vous préférez, vous avez deux grandes secondes pour réfléchir.

— Je suis malade à crever, objectai-je.

— Ça se voit. Bon, réponse ?

— O.K. pour la première solution, mec.

Je me plaçai de côté pour me lever. J’étais franchement à bout de course. Je fis une embardée que je rattrapai in extremis, sortis une fois de plus la liasse magique de ma poche et la tendis au grand diable ; mais je tremblais tellement que je la laissais tomber avant qu’il ne s’en saisisse. Il plongea pour la ramasser. C’était trop beau. Malgré mon délabrement, je lui ajustai un coup de latte dans la tronche. Il piqua du nez, tomba en biais, mais il n’était pas assaisonné pour de bon. Alors j’empoignis la jolie lampe de chevet, style années 20, et lui en portis deux grands coups sur la nuque. Puis je raflis ma fameuse liasse. La pute s’était sauvée en clamant comme quoi « Help ! Help ! » Fallait pas moisir.

J’ouvris la fenêtre du studio, m’étant souvenu qu’il se trouvait au premier étage de la masure. Elle donnait sur l’impasse. J’enjambis et regardis le vide. Pas plus de trois mètres. Je sautis. Atterris sur du mou qui était la pute sortant de la crèche.

Un film ! songeai-je. Elle gisait, inerte sur le sol, avec une grosse plaie pas belle à la tempe. Quel gâchis (Parmentier). Je confectionnais une hécatombe. Déjà je ne me rappelais plus le nombre des gens que je venais d’estourbir en moins d’une plombe. Attila !

C’est à cet instant que j’eus une très belle idée. Elle me fut dictée, je suppose, par mon état de santé déficient. Je ne me sentais pas la force d’aller plus loin. Donc, le mieux était de rester sur place.

Je regardai autour de moi. Les cris de la péripatémarconiticienne semblaient n’avoir alerté personne. Je réunis mes forces et me mis à hisser la gonzesse jusqu’à son logis. De temps à autre elle poussait une légère plainte.

L’ascension, pourtant brève, me fut infernale. Une fois de retour au studio, il ne me restait plus suffisamment d’énergie pour décacheter une enveloppe. Mais comme j’avais pas de courrier à lire, ça ne tirait pas à conséquence. Tant mal que bien, je réunis des liens en coupant les cordons de rideau et en lacérant des draps. Et puis je ligotis le frère et la sœur et les bâillonnai : pas qu’ils me fassent chier la bite avec leurs cris ou autres plaintes ! Merde ! j’avais besoin de repos.

A tout prix !

Ce bonheur, mon neveu, lorsque je m’allongis sur le canapé après avoir largué mes tartines, mon bénouze et ma veste ! Je crois bien que ce fut un des instants culminants de ma vie. Je ne pensais pas plus loin que mon sommeil.

J’allais enfin dormir, et cela seul importait.

Dormir à en mourir !

Le pied !

* * *

On devait frapper depuis lurette, espère. Ça faisait une tinée que je rêvais des trucs affreux, comme quoi de méchants soudards investissaient notre pavillon de Saint-Cloud, enfonçant les lourdes l’une après l’autre pour atteindre la pièce où m’man, Toinet et moi on s’était retranchés.

Je suis parvenu à dégoupiller mes lampions. Un soleil carabiné jouait au con dans le studio enfanfreluché de la pute noire. Ça remuait sur le plancher. Le frangin et sa frelote avaient récupéré leur lucidité et essayaient en loucedé de se désenrubaner ; mais j’avais serré fort, malgré ma fatigue, selon une technique éprouvée de poulet de choc et ils ne parvenaient pas à grand-chose.

Ça me comblait d’aise de les retrouver intacts. Un instant, j’avais craint que la môme eût quelques vertèbres nazées par mon poids qui lui avait chu dessus à l’improviste.

Je me suis mis à bâiller. Me sentais cotonneux encore, mais nettement mieux ; en cours de calfatage. Je suis allé mater ma frite dans la première glace venue. J’étais moins vert, plutôt jaune. Commako, je faisais carrément jaunisse, c’était un peu moins impressionnant que ma couleur martienne de la veille. J’ai regardé l’heure. Ma montre marquait quatre heures dix. A cause du soleil ça ne pouvait être du matin ; donc j’en avais concassé pendant près de vingt plombes. Un bail ! Pas surprenant que je me sente requinqué.

Sur le palier, on tambourinait toujours. Une voix de femme appelait :

— Betty ! Betty, tu es là ?

Et puis la voix disait à quelqu’un d’autre :

— Il lui est sûrement arrivé quelque chose : je ne l’ai pas vue de la journée et on avait rendez-vous toutes les deux avec un vicieux du pétrole qui aime le truc à trois !

La fille a repris :

— Chez son frangin non plus ça ne répond pas.

Ça fonçait sur les giries pernicieuses. Le temps de se concerter et ils allaient quérir un flic ou un serrurier ; peut-être même défoncer la lourde pas plus épaisse qu’une hostie. Rien que leurs coups de poing la fissuraient en son milieu.

Alors j’ai fait ni une ni deux : houp ! la fenêtre, comme la veille, en espérant que personne cette fois-ci déboulerait de l’immeuble.

Je me suis mal reçu et il m’a semblé qu’on me branchait un courant de mille volts dans la jambe droite. J’ai taillé la route rapidos, mais une voix s’est mise à gueuler :

— Hep ! là-bas, qu’est-ce que vous fabriquez !

Au lieu de me retourner, je me suis mis à courir de mon mieux en traînant la pattoune. Le cauchemar recommençait.

J’ai avisé un taxi à une station, au bord d’un jardin public planté de bananiers. Dans le centre y avait une statue de bronze à la con encadrée de deux palmiers. Comme je me dirigeais vers le bahut, un flic en uniforme a débouché et s’est planté à quelques mètres de la voiture. Il paraissait prendre le vent, tel un chien de chasse détectant le pet d’un lièvre. J’ai rebroussé chemin et je me suis acheté un chapeau de paille dans une boutique où l’on vendait un tas de bimbeloterie pour touristes hyperglandeurs. Sur le ruban, y avait écrit : I love San Antonio. Une profession de foi ! Merci pour moi. Je n’aurais qu’un tiret à ajouter au feutre rouge entre San et Antonio pour me personnaliser le bada.

Sous le large bord, mon teint d’hépatique semblait moins virulent. Certains Mexicanos étaient davantage foncés que moi.

J’allais d’un pas nonchalant. La faim me poignait. J’achetai deux espèces de beignets arrosés de sauce tomate à un marchand ambulant et les bouffis avec la voracité d’un clébard venant de parcourir les landes. Le marchand m’avait fourni une serviette de papier avec les beignets. Je m’essuyis la bouche, puis les doigts, roulis la serviette en boule et la jetis sur le trottoir.

A cet instant, une voiture stoppa à ma hauteur et trois flics baraqués comme des grizzlis en sortirent pour se précipiter sur moi. Mon instinct m’avait affranchi du coup. Le bruit du coup de frein et je savais qu’il allait pleuvoir des véroleries. Je trouvis néanmoins le temps de réfléchir. Relativité stupéfiante du temps. Mon conseil de guerre ne dura probablement qu’une fraction de seconde, et pourtant il me parut aussi long qu’une conférence russo-américaine sur le désarmement.