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— Je pense, général, que tout pourrait rentrer dans l’ordre sans causer de remous dans la politique internationale ; voulez-vous que nous en discutions en toute tranquillité ?

Il continue de me coucher en joue avec ses yeux de gorille. Mais sa physionomie demeure impénétrable.

Je fais un effort pour avaler l’épingle de sûreté qui me chicane le corgnolon : imposssible !

On continue de rester face à face, nos regards enche-vêtrés.

Et puis, sans avoir dit une broque, il m’adresse un bref salut de la tête et va rejoindre les autres généraux. Il me tourne ostensiblement le dos. Je considère un instant sa stature, sa nuque rasée de près. Il a les mains au dos, façon duc de Windsor passant en revue la garde écossaise derrière les miches à bobonne. Ses doigts ne remuent pas. Aucune marque de nervosité ! J’en reste pantois !

Une main épaisse et lourde comme un quart de bœuf s’abat sur mon épaule.

— Eh ben, mon cher, j’croilliais qu’vous vinsserriez porter quèques toastes à nos aminches russkis ! déclare le ministre de l’Intérieur, vachement bourré à la clé. Leur champagne vaut pas un coup d’cid’ ; par cont’ leur volga est impec. Entièr’ment à nonante degrés. Ce dont y a d’agréab’ avec eux, c’est qu’y chipotent pas. Ça travaille dans le cul sec, y z’ont la dalle en pente ! Et moi, j’pars du princip’ qu’un gonze qu’écluse il a bon fond. Viens m’aider à trouver les gogues : faut qu’je r’mett’ le compteur à zéro ; ensuite, on f’ra honneur à messieurs les camarades !

* * *

Banquet.

Allocutions.

La France ! La Russie !

La Russie ! La France !

« N’oublions pas, pérore le président, les paroles que prononçait Joseph Reinach en 1893 : De France à Russie, il n’y a pas autre chose que cette grande chose qu’on appelle l’amour. »

Applaudissements. Tous les camarades branlent le chef (le leur, pas celui de l’Etat). Le côté : cause toujours, mais c’est beau !

Je cherche du regard le général. Il balance des beignes, comme tout un chacun. La gueule plus boutonnée que son uniforme ! M’est avis que je vais me planter mochement en fin de parcours et que le Big Between va faire ballon avec sa Partition Thanatos !

Le banquet bat son plein. Des interprètes sont disposés en quinconce entre deux convives. Je suis assis entre deux officiels soviétiques dont je n’ai pas très bien compris les fonctions. Ils me posent, via l’interprète, des chiées de questions sur la France, son plan septennal, ses conserveries de caviar de la Gironde et tout ça…

La fille qui traduit a une voix feutrée, impersonnelle, pour annoncer les mouvements d’avions dans un aéroport. Elle est vêtue d’un tailleur gris à coupe soldatesque, coiffée tiré avec une bite de cheval, pardon : avec une queue-de-cheval maintenue par un élastique. Son nez est chaussé de grosses lunettes dont les verres épais transforment ses yeux en sulfures.

A la fin du repas, au moment où tout le monde se lève, elle me chuchote :

— Si vous voulez bien me suivre, quelqu’un aimerait vous entretenir en particulier.

Une inondation de bonheur ! Ça me ruisselle jusque dans les chaussettes, qu’allons bon, je vais m’enrhumer car je crains les pieds mouillés.

Elle profite de l’effervescence pour m’entraîner jusqu’à une porte discrète d’en haut de laquelle est écrit en caractères acryliques « Issue interdite ».

La lourde donne sur un couloir en boiseries sombres. Au bout, un escalier de pierre. On le gravit. Un palier désert où prennent des portes à double battants. La môme besicles en ouvre une et donne la lumière. Nous sommes dans un vaste salon désert, aux sièges lourds et dorés, style Grande Catherine. Recouverts de velours grenat, turellement. Les parquets de marqueterie feraient mouiller les gens qui aiment les parquets marquetés, et les tableaux de batailles accrochés aux murs feraient bander ceux qui aiment les scènes de guerre.

— Asseyez-vous ! me propose la camarade inter-prète.

J’opte pour un siège grand comme la scène du Metro-politan Opera ; me contente de son extrémité et patiente.

Pas longtemps.

Je m’attendais à la venue du général Glavoski. Espoir fou, espoir vain. C’est deux mecs qui entrent.

Deux hommes plutôt jeunes, portant des complets de confection, neufs, mais de confection Est.

La fille se barre discrètement. Les deux types traînent une banquette face à mon fauteuil et s’installent côte à côte.

Je note alors que l’un des arrivants tient sous le bras un coffret plat recouvert de toile noire qui fait songer à une grande boîte à compas.

C’est curieux : on dirait des frères. Parole : ils se ressemblent au point d’avoir la même fossette au menton et le même nez plantureux.

— Alors ? attaqué-je d’un ton faussement guilleret.

L’un des hommes parle sans presque ouvrir la bouche, à croire qu’il a la mâchoire paralysée. Il s’exprime en français.

— Vous êtes le commissaire San-Antonio, annonce-t-il tout bas ; vous travaillez pour le compte du B.B. et vous avez enlevé la femme du camarade Glavoski.

Bath préambule, non ? Qui c’est’y qui l’a dans le fignedé ? C’est le petit Sana ! Il se prenait pour Super-man, il n’est que supernave !

Voire !

Pour être franc, les « moniteurs sadiques » du Big Between ont transformé quelque chose en moi. Quel-que chose d’essentiel. M’ont rendu plus réaliste, ces chéris. Plus fulgurant dans mes déterminations. Avant de me frotter à eux, ma tactique était basée sur la démerde. Lorsque je me trouvais plongé dans une fosse à embrouilles, je m’arrangeais pour m’en arracher. Main-te-nant, mon optique est totalement différente. Elle consiste à éviter d’y tomber. Pour cela une promptitude de raisonnement est nécessaire. L’instinct doit alors décider en un éclair. Je te prends le cas présent et te le décompose.

Je suis dans un salon retiré du Kremlin, face à deux types pas catholiques qui m’annoncent d’emblée que je suis démasqué. Ces deux hommes ont une mission précise : me faire dire où se trouve la mère Glavoski. Ensuite, ils « m’arriveront un accident ». J’aurai une crise cardiaque ou un truc de ce genre. Ils présenteront leurs « biens sincères condoléances » à mon président, et bye-bye, San-Antonio ! La page sera tournée.

Le temps de frotter une allouf, je me raconte tout cela. La boîte noire, qu’un de mes vis-à-vis garde sous son bras, est lourde de menaces. Je m’attends à tout, très vite. Alors, pas d’histoire, mon Tonio : agis le premier.

Ce que j’opère. Avant mon stage dans « l’île », je ne savais pas le faire. A présent, regarde.

Hop ! Je me jette sur le dos, mes mains bien cramponnées aux accoudoirs du fauteuil. Je place mes jambes en « V » majuscule, chacun de mes souliers se trouvant à l’extérieur de chacune des deux têtes me faisant face. Je resserre violemment mes cannes. Les deux tronches se trouvent brutalement réunies. Ça produit un choc très violent.

Ce que je te bonnis là va encore plus vite que les pensées ayant précédé. Le temps de compter jusqu’à 1 et c’est fini. Mes tagonistes sont estourbis. Deuxième opération : je ramène mes genoux à mon ventre et propulse mes pinceaux dans les deux poitrines. Les deux gars tombent de leur foutue banquette. Exercice number three : j’exécute un rétablissement après avoir confirmé ma prise d’appui sur les accoudoirs et me retrouve en position verticale avec mes souliers posés bien à plat sur les deux ventres des assommés. Ça les vide de leur air.

Pour dire d’emporter un souvenir, j’empare la boîte et gagne la sortie. Dans le couloir, il y a la môme interprète aux lunettes grosses comme des cloches à fromage. Elle est accoudée à la rambarde de l’escalier et attend. Quand elle me voit, elle a un léger sursaut, lequel me confirme que j’ai vu juste et que les deux mecs nourrissaient contre moi de funestes projets.