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Mais le Vieux gardait un visage de marbre. T’aurais cru le buste de Marc Aurèle, les lauriers en moins. Le président eut un rire mutin, simplement avec la commissure gauche (évidemment) de ses lèvres.

— Et si l’intéressé nous livrait sa pensée ? suggéra-t-il avec simplicité.

Ainsi pris à partie, je restis sur la défensive. Dans un cas de cette importance, la balle est dans ton camp tant que tu la boucles, mais sitôt que tu te mets à en casser, tu perds de la valve et ton personnage commence à se dégonfler. Fallait donc balancer du solide ; pas de la brandade de morue. Causer net. Peu, mais ferme.

— Je ne prendrai une décision qu’après avoir eu une conversation avec le Big Between en personne, dis-je.

L’homme aux lunettes cerclées d’or fronça son énorme pif.

— Ecoutez, auparavant, il conviendrait…

— Il n’y aura pas « d’auparavant », monsieur X. Chez nous, y a qu’à la Redoute qu’on achète par correspondance. Si j’intéresse votre Zorro, qu’il m’explique en quoi lui-même ; je n’ai rien d’autre à vous dire.

Ce qui suivit ressembla à de la gêne ; cela fit comme dans un discours, lorsque l’orateur a interverti ses feuillets et qu’il est complètement paumé.

Le président renifla du bout de son long nez aristocratique que qu’est-ce que tu veux qu’il reste allié aux communistes avec un piment plus noble que celui du comte de Paris (et banlieue).

Il se tourna vers son invité.

— Correct, non ? laissa-t-il tomber.

Le mec réfléchit, puis hocha la tête.

— Correct, admit-il à regret.

* * *

Je suis toujours dans les vapes ?

Oui, de plus en plus, même. Ecrasé sur le plancher rugueux par la masse terrible de l’ivresse qui m’annihile.

Je ne vois plus, je n’entends plus, je ne pense plus.

Alors je te continue mon histoire bizarroïde.

* * *

Un mois s’écoula après cette soirée présidentielle, sans que j’eusse la moindre nouvelle de l’homme aux lunettes cerclées d’or.

Au cours des jours qui suivirent, le Vieux maugréa beaucoup et dauba si fort sur le régime en place qu’un nouveau limogeage le concernant me parut inévitable. Il fustigeait les chimériques projets du président qui, à son âge et occupant un tel poste, se laissait endormir par le blabla d’un aventurier, et croyait encore aux fées ! Il clamait qu’on ne confie pas une nation à un saltimbanque toujours prêt à souffler dans le premier mirliton venu pour racoler le public. Il ajoutait bien d’autres choses moins bienveillantes et je m’efforçais de le calmer d’une boutade.

Au bout d’une semaine enfin, et après qu’il eut passé un agréable week-end entre les bras (et les jambes) d’une donzelle élégante et salope à souhait, il oublia l’étrange proposition pour se consacrer à ses préoccupations professionnelles. Je fis de même.

Et puis, un matin, comme je m’apprêtais à quitter notre pavillon de Saint-Cloud, un motard en uniforme rutilant sonna à la porte ; pimpant comme un jouet neuf. Il me salua militairement et me remit une forte enveloppe aux armes de l’Élysée. Je trouvai, à l’intérieur de ladite, un mot, du président fort comminatoire, ainsi libellé : Le commissaire San-Antonio est prié de se conformer aux instructions ci-jointes et de les garder rigoureusement secrètes, y compris vis-à-vis de ses supérieurs. Il devra me tenir personnellement informé des résultats de cette mission.

L’usage de la troisième personne donnait de la gravité au message et pesait comme une promesse de menace.

Outre le royal message, je retira de l’enveloppe un billet d’avion en first pour Houston, via New York ; un bulletin de location de voiture à mon nom, bonnifié chez Avis, agence de l’aéroport à Houston ; un morceau de carte routière consacré à cette partie des States comprise entre Houston et San Antonio, avec un cercle rouge tracé au crayon-feutre sur ce morceau de carte et une adresse dactylographiée dans la marge, en regard du cercle, avec, sous l’adresse, l’avertissement suivant : mardi 28, 4 heures P.M… Une liasse de mille dollars en coupures variées complétait l’envoi.

Le motard assistait à ce dépouillement avec un maximum de discrétion. Lorsqu’il me vit replacer tout ce fourbi dans l’enveloppe, il murmura :

— Pas de message en retour, monsieur le commissaire ?

— Non, faites dire au président que j’ai pris bonne note.

C’est ainsi que je mis le pied dans l’aventure la plus fantastique de toute ma carrière.

* * *

La voiture était une Cadillac Seville, de couleur vanille, avec un toit citron. T’aurais juré un énorme sorbet. Une gracieuse demoiselle loquée d’un uniforme rouge, avec des miches qui auraient foutu tout un zoo en effervescence, procéda aux formalités et m’escorta avec déférence jusqu’à la tire, preuve qu’elle me considérait comme un V.I.P. Elle me souhaitait bonne route, je lui répondis qu’elle était tellement jolie que je mettrais mon réveil sur deux plombes du mat’ pour pouvoir penser à elle en toute tranquillité ; après quoi je la quittai pour aller prendre la nationale 19.

Si je m’en référais au cercle rouge tracé sur la carte routière, une vingtaine de miles tout au plus me séparaient de l’adresse indiquée qui était « Uncle Tom’s Cabin, 4144, N 19 Texas ».

La chignole était climatisée et son pare-brise teinté de bleu dans sa partie supérieure. Je me sentais là-dedans comme un milliardaire texan allant acheter une quinzaine de Renoir à la ville pour décorer son nouveau pavillon de chasse.

Quelques heures auparavant, je traversais Paris sous la flotte, Paname avec des Parigots renfrognés, des tomobilistes en transe, Pantruche, tout gris comme ses gaz d’échappement. Et voilà que je drivais un carrosse sur une route ruisselante de lumière, avec plein de gens de toutes les couleurs, aux fringues ahurissantes et aux tires qui pouvaient à peine se traîner sous leurs chromes. Le contraste était saisissant.

Au début, dans la banlieue, un trèpe monstre freinait l’allure ; mais cela se clarifia assez vite. Une grosse connasse rousse, coiffée d’un chapeau de cow-boy, m’adressa un petit appel de klaxon pour me proposer, je suppose, des tribulations sexuelles, mais je lui montrai galamment mon médius dressé et elle prit la peine d’abaisser sa vitre pour me traiter d’enculé.

Somptueux et aride Texas, pelé, poisseux, avec des forêts de derricks à l’horizon, d’immenses panneaux publicitaires, des cahutes de bois le long des routes, sur le perron desquelles croupissaient des Noirs en jeans rapiécés.

Je m’arrêtai à un carrefour, because le feu rouge. Deux vieux mecs semblaient tourner la pub de Marlboro en allumant leurs tiges. J’étais joyce. Je me disais que j’allais rencontrer ce fameux, ce formidable et mystérieux Big Between et l’excitation me grattouillait le dessous des testicules. Je me sentais engagé dans une vie nouvelle ; un pressentiment m’annonçait que tout allait basculer pour moi et que je venais de prendre congé d’une existence où je n’aurais jamais plus ma place. C’était indépendant de ma volonté, plutôt phénoménal, comme si une mutation éclair venait de s’opérer en moi. Je n’avais encore jamais éprouvé cela, du moins jamais avec une telle force, une telle certitude, tu piges ?

Au cours de la soirée chez Lasserre, j’avais écouté la propose en me tapant sur les cuisses, moralement. C’était la grosse fable exprès ! L’enfarinage grotesque. Bonjour, môssieur Grock ! Je partageais le scepticisme outré du Dabe. On nous chambrait vilain avec des histoires de corne-cul. Et voilà qu’en roulant sur cette grand-route texane, inondée de soleil et bariolée, je réalisais que c’était fait. Quelque chose s’était produit, qui m’entraînait vers un destin pas piqué des charançons.