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Il tourne les talons et fonce dans sa salle de bains. Il disparaît derrière la porte qui se referme toute seule.

Je l’entends grogner. Je perçois un bruit impossible à identifier. Il jure. Aucun doute : c’est bien lui qui s’était fait mal dans l’escalier quand la lumière s’était éteinte.

— Julie !

J’accours. Je n’ose pas ouvrir la porte. Je demande :

— Tu veux que j’entre ?

— Oui, s’il te plaît.

Cette fois, j’entends le bruit. Je pousse la porte et je découvre Ric, debout dans sa baignoire, aux prises avec un tuyau de son ballon d’eau chaude suspendu au mur qui lui fuit abondamment dessus. Il essaie en vain de serrer quelque chose. Il râle :

— Je savais qu’il faudrait revoir la plomberie, mais je pensais que ça tiendrait encore un peu…

L’eau gicle partout, y compris en dehors de la baignoire. Je m’approche en me méfiant de l’eau sur le sol. Je m’inquiète :

— Ne te brûle pas.

— Aucun risque, c’est l’arrivée d’eau froide. Est-ce que tu peux aller sous l’évier de la cuisine, fermer le robinet d’arrêt ? Ce serait sympa…

— J’y vais.

J’ouvre le placard de l’évier et je cherche. J’écarte tout ce qu’il y a devant. Des outils, des gros. J’aperçois le robinet, je tends le bras, j’essaie de l’actionner mais il ne se laisse pas faire. Sans doute grippé, peut-être trop vieux. Je force à m’en faire blanchir les phalanges mais rien n’y fait. Ennuyée, je retourne à la salle de bains. L’eau coule de plus en plus, Ric est trempé.

— Je n’y arrive pas. Pas assez de force.

Ric tente toujours de contenir la fuite, qui se transforme en grandes eaux. Il jauge :

— Si je lâche ici, c’est tout le raccord qui va céder et ce sera l’inondation. Saleté de vieux apparts…

— Je peux te remplacer.

Il me jette un coup d’œil. La fuite augmente encore. J’insiste :

— Je suis plus petite que toi mais je crois que j’en suis capable. De toute façon, je ne vois pas d’autre solution…

Il secoue la tête, résigné. J’enlève mes chaussures et j’avance vers lui. Gêné par l’eau qui lui bombarde le visage, il hurle à moitié :

— Désolé de t’imposer ça. Monte dans la baignoire. Il faut que tu te glisses entre mes bras et que tu poses tes mains autour du raccord. La corrosion a dû ronger la paroi métallique du ballon et ça risque de partir avec le tuyau.

Je lui fais signe que j’ai compris. J’enjambe le bord de la baignoire. L’eau glacée me jaillit dessus. La pression de la fuite est beaucoup plus forte qu’en apparence. Je me coule sous les bras de Ric, me voilà adossée à son torse. J’ai déjà vécu ça avec lui, sans la douche froide. J’ai les pieds dans l’eau, le visage inondé — même mon mascara waterproof garanti insubmersible va avoir du mal à résister à ça. Ric guide mes mains jusqu’au raccord. Je le sens contre moi. J’ai beaucoup de mal à ne penser qu’à la tâche que je suis censée accomplir. L’eau nous inonde. Il me crie dans l’oreille :

— Place tes mains autour et serre de toutes tes forces. Je vais retirer les miennes et tu vas sentir la pression de l’eau. Tu es prête ?

Je hoche la tête positivement. Son menton est contre ma joue, l’eau nous ruisselle dessus. Comment en est-on arrivés là ? Je me sens dans un drôle d’état. J’ai envie de me retourner, d’oublier la fuite et de l’embrasser. Je suis entre ses bras sous la douche. Le bruit de l’eau qui arrose tout résonne. Mon esprit vacille. Il dit :

— Attention, je retire les mains. Ne t’inquiète pas, ce ne sera pas long.

Ses bras s’écartent doucement, et tout son corps avec. Je ferme les yeux. Il descend de la baignoire, sort de la salle de bains. Je reste seule sous cette douche glacée. Effectivement, le métal doit être rouillé parce que, sous mes doigts, je sens la paroi du ballon d’eau chaude qui se déforme. Tout à coup, le débit de la fuite diminue. L’eau finit par s’arrêter. Je prends alors conscience que ma petite robe est détrempée, au point d’en être devenue quasiment transparente, le seul jour de ma vie où je n’ai pas mis de soutien-gorge.

La porte de la salle de bains s’ouvre. Ric est là, trempé lui aussi, sa chemise lui colle à la peau. Il est rudement bien gaulé. J’espère qu’il se dit la même chose de moi… Je suis comme une gourde debout dans sa baignoire, sans savoir quoi faire à part le regarder.

— Tu dois être transie de froid, dit-il en se dépêchant d’ouvrir un placard pour en extraire un drap de bain.

Il le déplie, m’aide à descendre et l’enroule autour de moi. D’un geste doux, il me frictionne le dos. Il est encore contre moi, son visage ruisselle. J’adore quand il est décoiffé avec les cheveux mouillés. Lui arrive à parler, pas moi.

— Je te remercie. Ce soir, on aura eu de la chance tous les deux. Si on n’avait pas été là pour cette fuite, les dégâts auraient été énormes, sans parler des plafonds de l’appart du dessous…

Une explosion et une inondation le soir de notre premier dîner. Si ce sont des signes, je ne sais pas trop comment je dois les interpréter. Je n’ai toujours pas dit un mot. Je crois que je suis en état de choc. Ce n’est pas l’eau glaciale, ce n’est pas le dîner qui part en vrille, ce n’est pas ma robe qui est fichue ou mes seins qui pointent, c’est lui.

Il prend une serviette et commence à s’essuyer le visage. Il rigole :

— On dirait que quelqu’un a décidé de nous compliquer la vie ce soir. Mais on ne va pas se laisser faire. On a encore le gâteau à manger. Est-ce que tu préfères retourner chez toi te changer ?

Hors de question de le lâcher, même cinq minutes. Je crois qu’il le voit dans mes yeux.

— Je peux aussi te passer des vêtements.

Je me contrôle tellement peu que je crois que j’ai hoché la tête. Il m’a emmenée dans sa chambre. Il a sorti un bermuda et une chemise épaisse.

— Je te laisse te changer, je vais éponger le plus gros. Normalement, on a payé notre tribut à la malchance. On devrait être tranquilles pour le reste de la soirée…

Il sort en tirant la porte. Je suis toujours muette. Je quitte ma robe. Je suis entièrement nue dans sa chambre. On aura vraiment tout fait dans le désordre. J’imagine Géraldine à ma place. Et les chats. La première aurait sûrement déjà fait des folies de son corps et les seconds se seraient enfuis à cause de l’eau. Sa chemise est super confortable. Il n’y a même pas un miroir pour regarder à quoi je ressemble, avec son bermuda trop grand et ses manches trop longues. Pourvu que le mascara ait tenu le coup… Je retourne vers le salon. Il est dans la salle de bains, en train d’éponger avec des serviettes, torse nu.

— Cette fois, je suis bon pour changer le ballon. Pas la peine de remettre l’eau avant… Tu crois que je peux demander un coup de main à Xavier ?

« Tu pourrais aussi ne jamais remettre l’eau et venir te doucher chez moi. Tu pourrais même y vivre si tu voulais. »

— Je suis certaine qu’il acceptera de t’aider. En plus, vous avez l’air de bien vous entendre.

Il se redresse. Il s’approche tout près de moi. Je suis troublée. Mais il ne fait que passer :

— Je vais me changer aussi…

On se retrouve à table, à manger mon premier salaire de boulangère en silence, sans oser se regarder. Comment est-on censé réagir dans ce genre de cas ? Je n’arrive pas à effacer l’image de son torse trempé de mon esprit. Si ce que l’on dit sur les garçons est vrai, il doit se battre pour chasser l’image de mes seins façon concours de tee-shirt mouillé du sien.

— Il est délicieux ce gâteau, fait-il en me regardant enfin.

Je lui souris, sans doute comme je n’ai jamais souri à personne.