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— Quelle heure est-il, patron ?

Il consulte sa breloque.

— Midi et des poussières…

— La conférence a lieu à quatre heures… Vous avez renforcé le système de sécurité, passé au crible les fonctionnaires qui seront présents au ministère… On ne peut rien faire d’autre qu’attendre… Attendre et réfléchir.

Je pousse un soupir capable de remplacer la mousson un jour qu’elle ne serait pas à l’heure.

— Attendons, dis-je.

J’ai la paume des paluches comme des éponges.

CHAPITRE XII

MYSTÈRE… ET BOULE DE GOMME

Quand j’ai dit au patron qu’il fallait attendre, j’exprimais ce que je croyais être le langage de la raison ; je n’avais pas compté avec mon tempérament bouillant.

Je n’ai pas vidé mon deuxième glass de Cinzano que mon système nerveux commence à faire des nœuds. Je piaffe comme un cheval de course qui se serait pris les pieds dans de la mélasse au moment du départ.

Attendre quoi ? Qu’Angelino fasse son turbin ? Il va se marrer, le gros Rital, si jamais il réussit son coup… Il est à la base de tout. Je me dis qu’il est stupide d’avoir eu ce mec-là à portée de mon feu et de l’avoir laissé sur ses deux pattes.

Après tout, puisque maintenant j’ai mes entrées chez lui, pourquoi n’irais-je pas lui rendre une visite de courtoisie ?… J’aimerais lui parler de Montesquieu… En m’y prenant adroitement, je parviendrai peut-être à le faire sortir de ses gonds.

Je regrimpe dans mon coucou et je retourne rue Gerbillon. Je m’engouffre sous le porche et escalade l’étage. Premier à droite ! Je sonne. Personne ne me répond. J’attends encore un bon moment, puis je me remets à carillonner.

Toujours niente, comme dirait la mère Angelino.

Je descends et décide de prendre une interview à la concierge. Je la trouve, blottie au fond de son terrier, avec des couvertures sur les jambes. C’est une petite vieille ratatinée avec des mains pareilles à des ceps de vigne et des cheveux blanc sale qui pendent sur son visage. Sa loge renifle la pomme cuite.

— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle.

— Un petit renseignement ; le monsieur qui habite le premier à droite est-il chez lui ?

Elle me dit, d’une voix aigrelette comme une prune verte :

— Il n’y a pas de monsieur au premier, ni à droite, ni à gauche.

— Ah ?

— A gauche, c’est Mlle Landolfi, une vieille fille, et à droite Mme Baumard, une veuve…

Je me dis qu’Angelino a dû louer la crèche au nom de sa donzelle, et celle-ci a choisi le nom très français de Baumard.

— Cette veuve Baumard, je fais, elle a cinquante ans, le teint jaune, les cheveux gris et de la moustache, non ?

La concierge me regarde.

— Mais pas du tout, fait-elle au bout d’un silence, c’est une très vieille dame. Elle a les cheveux teints et…

Ma décision est prise. Je remonte l’étage et prends dans ma poche un petit outil de précision qui me sert à mettre les serrures à raison.

En deux temps trois mouvements, j’ouvre la lourde et je pénètre dans l’appartement.

Tout est en ordre. Le poêle s’éteint doucement dans le salon. Il n’y a personne.

J’ouvre les portes les unes après les autres. Dans la cuisine je trouve la vraie veuve Baumard. Elle est allongée sur le carrelage. Sa langue lui sort de la bouche et ses yeux des orbites, car elle a été étranglée au moyen d’une serviette de table.

Angelino est un type démerdard. Il a une façon de résoudre le problème du logement qui laisserait rêveur le ministre de la Reconstruction. Son système est simple, au fond : il repère l’appartement d’une vieille femme dans un immeuble discret pourvu d’une concierge impotente, il la supprime et il peut, tout à son aise, utiliser son logement…

J’aurais bien dû me douter qu’Angelino n’allait pas se mettre à la merci des flics. Ce qu’il devait jubiler, le frangin, tandis que nous discutions le bout de gras… Il s’offrait ma bobine et il s’en payait une fameuse tranche.

Je bute toujours devant cette éternelle et combien angoissante question : pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi a-t-il voulu me rencontrer ?

Alors une toute petite lueur clignote dans le brouillard qui emplit mon cerveau. J’ai l’impression qu’Angelino avait besoin d’un test… Il a voulu voir si nous mordions à l’hameçon, aux Services Secrets, et c’est moi qu’il a pris pour cobaye.

La mort de Wolf lui a fait comprendre que nous nous occupions de lui. Il a voulu se rendre compte de l’étendue du désastre et c’est pourquoi il a arrangé cette entrevue. Voilà aussi pourquoi il tenait à me laisser repartir sur mes jambes, ainsi que mon collègue Ravier.

Oui, je sens que je viens de choper une ficelle qui pourrait bien me conduire à la vérité. A la vraie !

Pourquoi le gangster m’a-t-il laissé entendre qu’en effet il se préparait du vilain au Quai d’Orsay ?

Peut-être parce que ça n’est pas vrai, parce qu’il a d’autres projets pour cet après-midi et que ça l’arrange, justement, de nous voir mobiliser sur le même secteur.

Cette idée-là n’est pas tellement bête, dans le fond.

Et la petite Rynx, alors ? Voyons, elle a été enlevée il y a maintenant deux heures environ, c’est-à-dire avant que le sbire d’Angelino ne m’amène ici, donc le kidnapping de la jeune fille ne dépendait pas de mon entrevue avec le Rital, voilà une chose acquise…

Je me mets à fouinasser dans l’appartement avec l’espoir de découvrir un indice quelconque. Tout ce que je peux dégauchir, c’est une bouteille de chianti ; c’est vraisemblablement le seul matériel que les gangsters ont apporté dans ce logement honnête.

Maigre comme indice. Que dis-je ! Squelettique !

Je l’examine pourtant. C’est du chianti « Rufino » en provenance de Firenze. Outre l’étiquette d’origine, multicolore, elle en comprend une seconde plus petite, ovale, rédigée en blanc sur fond rouge.

Au milieu, et en très gros, je lis : 12°. Ecrit en rond autour de cette indication, il y a des initiales : S.I.V., puis, en petit, une adresse : 104, rue Lafayette, Paris. Je poursuis mon examen et j’ai la surprise de constater qu’après le goulot, tout en haut, il y a une mince, très mince étiquette ; elle entoure le goulot, elle est bleue comme le protège-bouchon et porte un numéro : M. 144 868. J’ignorais que les bouteilles de chianti étaient numérotées.

Je mets la bouteille sous mon bras et je me taille après avoir jeté un dernier regard de pitié à la pauvre veuve Baumard. Angelino l’a envoyée rejoindre son mari… C’est un gars qui a le culte du conjugal.

CHAPITRE XIII

LA SIRÈNE

S.I.V. signifie Société d’Importation de Vins. C’est du moins ce que m’enseigne une plaque de cuivre vissée dans la porte du no 104, rue Lafayette.

Tout près, il y a un vaste entrepôt dont le sol est rougi par le vin répandu. Des gars en tablier de cuir manipulent des tonneaux.

Je renifle le puissant remugle de vinasse avant de frapper à un bureau vitré. Une voix revêche me dit d’entrer. Je pénètre dans cette espèce d’aquarium, mais je ne vois personne. Je regarde de partout et je finis par découvrir un truc noir, accroupi derrière le tiroir d’un classeur. Le truc noir se développe brusquement dans le sens de la hauteur. C’est une demoiselle d’une soixantaine d’années, fortement vierge, qui ressemble à une cigogne en grand deuil.