— Ça… c’est un peu raide, dit-il.
Je n’y tiens plus, mes nerfs prennent l’initiative.
— Ça aussi, je lui dis en lui mettant un pain dans le bureau.
Le goal se casse en deux. Il ne s’attendait pas à ce que la conversation prenne cette tournure-là.
Sans lui laisser le temps de récupérer, je lui propulse mon genou à l’endroit crucial de sa personne. Il hurle comme un goret et s’écroule. Je finis de le réparer avec un coup de talon au cou.
Cette petite séance, bien que rapide, a fait un certain chahut. D’autant que mon goal, en s’effondrant, a renversé le porte-parapluies.
La sirène aux prunelles ardentes réapparaît.
Elle tient un pistolet à la main et elle semble décidée à l’utiliser contre moi.
— Stop ! je crie. Y a du trèfle dans le secteur, fillette. Un coup de seringue ameuterait les populations et vous causerait bien des ennuis, surtout s’il arrivait à destination.
Elle demeure immobile, le doigt sur la détente. Si cette dernière est sensible, il va m’arriver un petit malheur avant longtemps.
Je plonge brusquement à plat ventre.
Elle tire, la balle ricoche contre le mur.
Je roule comme un tonneau dans sa direction et je la fais basculer. Ceci au moment précis où elle ouvre le feu.
Une torsion et le feu lui échappe des paluches.
Je réussis à lui saisir le bras.
C’est le carrelage qui écope.
— Bon, on va peut-être avoir une conversation, fais-je.
Elle ne répond pas et se mord le poignet en regardant d’un œil épouvanté un point précis du vestibule. Je suis son regard et je m’aperçois qu’une de ses balles est allée se perdre dans la nuque du goal. Quand je dis se perdre, c’est une manière de parler, car vous admettrez qu’elle n’est pas perdue pour tout le monde…
— Je l’ai tué, fait-elle, incrédule.
— Un peu sur les bords, dis-je. Voilà ce que c’est, lorsqu’on est une vamp, de vouloir jouer avec des armes à feu.
— Charles, balbutie-t-elle.
— Inutile de l’appeler, lui fais-je, je n’ai encore jamais vu un mort discuter le bout de gras.
J’empoche son rigolo et me remets sur mes pieds. Galamment je lui tends la main pour l’aider à se relever. Elle accepte ma dextre sans réfléchir, puis, une fois debout, la lâche vivement, comme si c’était un serpent à sonnettes qu’elle tenait serré.
— Je vous arrête sous l’inculpation de meurtre, dis-je de mon ton le plus professionnel.
Je me dis que la fillette est seule dans la cambuse. S’il y avait du populo, il se serait forcément manifesté après une bataille navale de cette ampleur. Or, si elle est seule, je dois en profiter pour la confesser.
— Où est Angelino ? je lui demande.
— Je ne sais pas… de quoi vous parlez, balbutie-t-elle.
Bien rattrapé.
— Je veux parler du gros Rital qui a une femme délicieusement prénommée Alda.
— Je ne connais pas.
Alors le foutre me prend, et quand le foutre me prend, c’est comme quand la Garonne est en crue : ça fait du dégât.
Oubliant le sexe et la beauté de mon interlocutrice, je lui mets un double soufflet aller-retour qui l’étourdit et la fait vaciller. Je la cramponne par les épaules au moment où elle titube.
— Où est Angelino ? répété-je.
Elle secoue la tête.
Elle a du cran, la gamine.
— O.K., je fais, je connais des trucs amusants pour rendre les belles filles loquaces.
La tenant par le bras, je visite la turne.
Elle comprend deux chambres à coucher, une cuisine, une salle à manger, un salon, une salle de bains.
Il y a des bouteilles de chianti dans la cuisine et sur la desserte de la salle à manger.
En cherchant bien, je dégauchis une paire de ciseaux.
— Remets-toi, dis-je à la gosseline, et ouvre grand tes étiquettes. Je te propose un petit marché. Voilà : ou tu réponds à mes questions ou je te coupe les tifs au ras du bocal. Je suppose que t’as déjà vu une grognace tondue ? Si tu n’en as pas vu, je peux t’assurer que c’est pas jojo.
Je saisis la gnère par les crins.
— Non, non, fait-elle, épouvantée… je… je vais tout vous dire.
CHAPITRE XIV
APPELEZ VERDURIER
Les baffes que je lui ai mises sont apparentes sur ses joues veloutées. Mais cela ne m’émeut pas.
Elle tient ses pognes croisées sur sa tête, dans un geste de protection.
— Parle-moi d’Angelino, insisté-je. C’est un homme pour qui j’ai tant d’admiration que de prononcer son nom me plonge dans un gouffre de voluptés. Voyons, il crèche ici ?
— Non, dit-elle, il y prend ses repas.
— Où habite-t-il ?
— Je ne sais pas…
J’actionne les dents des ciseaux.
— Je parie que je vais te faire retrouver la mémoire…
Elle pleure, elle trépigne, elle crie qu’elle n’en sait rien. D’après elle, Angelino se tient peinard. Il crèche dans un petit coin inconnu même de ses hommes et il a plusieurs maisons sûres où il va becter, car il déteste les restaurants et, d’une façon générale, tous les lieux publics.
— Comment se fait-il que cet appartement soit une retraite sûre pour lui ?
Elle fond en larmes.
— Charlie a travaillé pour lui, du temps de son séjour aux U.S.A… Angelino lui a évité… des ennuis, et alors…
J’ai compris. Le père Angelino a des relations un peu partout. Il sait mener sa barque.
En tout cas, la façon dont il organise son séjour à Paris est supérieure : pas d’hôtels, pas de sous-location… Une chambre ici, un couvert mis là… Et, pour les rendez-vous délicats, l’appartement d’une quelconque veuve Baumard…
Je vous le redis en majuscule : c’est la première fois que je tombe sur un zigoto de cette espèce.
— Comment t’appelles-tu ?
— Mireille.
— Toute la Provence, fais-je en rigolant.
A ce moment on sonne.
— Va ouvrir, je dis à la souris, et pas de faux mouvements ou c’est toi qui écopes de la première pastille.
Je prends mon feu, je tire le cadavre de ce vieux Charlie hors du champ et je me plaque contre le mur.
La petite ouvre la lourde.
— Et alors ? Qu’est-ce qui se passe ? demande une voix.
Une voix pareille, y a qu’un gardien de la paix qui puisse l’émettre. Ils ont des cordes vocales spéciales, ces tordus !
Je me montre. En effet, c’est bien un bignolon. Il est entre deux âges ; il porte le képi bas et l’intelligence aussi ; ça se voit à son front aussi mince qu’une entrecôte de restaurant à prix fixe.
Il est flanqué de la pipelette et d’un voisin en bras de chemise.
— On n’a plus le droit de déboucher du champagne ? dis-je.
Et je lui tends ma carte. Il murmure :
— Je vous demande pardon.
Je l’attire contre l’angle du palier.
— Filez, murmuré-je, et pas un mot à la concierge sur mon identité.
— Soyez tranquille, monsieur le commissaire, s’écrie-t-il.
Je donnerais n’importe quoi pour lui arracher la langue.
Je peste intérieurement car maintenant, après ce petit intermède, j’ai le bonjour d’Alfred pour établir une souricière ici.
Mireille lit ma contrariété et ça lui donne un peu de courage.
— Vous êtes commissaire ? me demande-t-elle.
— Il paraît…
Ça n’a pas l’air de l’enchanter.
— Dis-moi, beauté brune, à quel moment Angelino vient-il ?
— C’est variable.
— Tu es bien prévenue, lorsqu’il rapplique. S’il vient manger, il faut que tu aies de quoi le nourrir, non ?
— Ils apportent… C’est Alda qui fait la cuisine.