Выбрать главу

— Je serais bien capable d’accepter, je lui dis.

Elle a un pâle sourire…

— Eh bien alors, asseyez-vous.

J’obéis. Elle va à une cave à liqueur et chope une bouteille de whisky.

— Vous aimez ça ?

— Je l’adore. On en mettait dans mes biberons, autrefois, alors vous pensez…

Cette fois elle rit franchement. Je constate que ma présence lui apporte ce qu’en langage châtié on appelle : un heureux dérivatif.

Nous restons là, à bavarder comme deux bons copains… On est bien et j’aime le bien-être.

— Voyez-vous, lui dis-je tout à coup, moi aussi il faudra que je vous commande un buste…

— Vraiment, fait-elle. Un buste de qui ?

— Devinez…

— De Montesquieu ?

— Non : de vous. Ça ne doit pas être désagréable d’avoir ça sur sa cheminée et d’y porter son premier regard le matin en s’éveillant.

— Vous êtes chou, dit-elle gentiment.

Rappelez-vous qu’aucune souris ne reste insensible à un compliment bien tourné. Et je ne sais pas si vous avez remarqué, mais celui-là l’est un peu sur les bords !

— Notez : j’ajoute que, malgré tout votre talent, vous ne ferez jamais mieux que la nature.

Je l’englobe d’un regard velouté.

— M’est avis qu’elle n’a pas bâclé le boulot, la nature, lorsqu’elle a travaillé à votre académie… Oh ! pardon…

Elle me montre ses dents nacrées qui brillent comme un collier de perlouzes.

— Vous êtes terriblement baratineur, commissaire…

— Il faudrait avoir de l’albuplast sur la langue pour ne pas l’être devant vous…

Vous le voyez, mon affaire n’évolue peut-être pas sur le plan professionnel, mais alors, sur le plan privé, comment qu’elle galope.

On s’envoie un second whisky et alors la vie devient beautiful, dans les tons roses, je ne sais pas si vous voyez où je veux en venir ?

Au moment où elle me prend mon verre, nos doigts se frôlent et ça me produit le même effet que si je posais la patte sur une ligne à haute tension.

— On en vide un troisième ? demande-t-elle. J’ai besoin d’un petit coup de fouet, ce soir. Ça me fait mal de… d’apprendre cette affreuse nouvelle.

— Allons-y pour le troisième, mon petit…

Je lui souris tendrement. Je sais que des sourires pareils feraient ma fortune à Hollywood.

— Ça vous choquerait si je vous appelais Claude ?

— Je crois bien que non, gazouille-t-elle.

Elle me tend mon verre. Cette fois, je ne me contente pas du frôlement de doigts. Je lui cramponne carrément la paluche.

— Et si je vous embrassais, Claude, vous seriez vexée ?

— Vous êtes terrible, murmure-t-elle en rougissant.

Une fille qui rougit, moi je ne peux pas lui résister.

— Ça n’est pas une réponse, ça…

Elle hausse les épaules.

— Si je vous disais que oui, vous me prendriez pour une petite grue, n’est-ce pas ?

Elle a de la jugeote.

— Ecoutez, Claude, on va faire une expérience. Je vous embrasse sans votre consentement. Si ça vous choque, vous me balancez une mornifle, comme dans les comédies de boulevard. Alors, je ramasse mon chapeau et je me fais la valise.

Je n’ai pas plutôt dit que je me lève. Je la cueille dans mes bras et je lui administre un de ces baisers-caméléon qui ferait rêver un pêcheur de perles.

Loin de se fiche en rogne, elle réagit drôlement. Ses jambes enlacent les miennes comme des plantes exubérantes à croissance instantanée.

— Vous êtes un amour, balbutie-t-elle.

Elle recule légèrement pour me regarder. Son rouge à lèvres décrit une auréole, ça fait comme les images d’Epinal.

Sa bouche est luisante et son œil itou.

Je pense que la vie est pleine d’imprévu. Si le chef me voyait, il se dirait que je sais concilier l’agréable et l’utile.

Frémissante, elle se plaque à nouveau contre moi. Elle me serre frénétiquement, il faudra un couteau à huîtres pour nous séparer…

— Tu me rends folle, bégaie-t-elle.

On s’embrasse encore. Décidément, je vais battre le record d’endurance de plongée.

Cette souris, laissez-moi vous rencarder, elle flanquerait des idées polissonnes à un épouvantail à moineaux.

On va terminer cette nouvelle prise de la seule manière qui soit envisageable lorsqu’un coup de sonnette intempestif nous sépare.

Claude sursaute et s’écarte de moi.

— Qui cela peut-il bien être ? murmure-t-elle.

La sonnette retentit encore, mais sur un rythme convenu. Elle exécute le classique ta tagadagada tsoin tsoin.

— Ce doit être une amie, dit-elle.

Elle essuie ses lèvres avec son mouchoir, donne un petit coup à ses cheveux et s’éloigne en m’adressant un baiser du bout des doigts.

Si vous n’avez jamais vu un mec dans tous ses états, vous n’avez qu’à vous approcher. Je suis tellement déçu du haut en bas que, si je m’écoutais, je casserais tout ce qui se trouve à portée de ma rage. La personne qui vient jouer le grand air de Lakmé sur la sonnette de Claude a peut-être tout ce qui lui faut, sauf le sens de l’à-propos.

J’entends ma belle demander, à travers la porte :

— Qui est-ce ?

Je n’entends pas la réponse, ou plutôt je ne l’entends que trop et tout l’immeuble doit l’entendre avec moi.

Une salve de mitraillette se déclenche ; brève, mais bien sentie. Moi qui suis connaisseur, je ne puis m’empêcher de songer que c’est un petit lot de douze balles.

Je me précipite !

CHAPITRE VI

JE FAIS CONNAISSANCE AVEC MONTESQUIEU !

Ma petite artiste est allongée sur le parquet et elle ruisselle de sang. La porte est toute perforée comme la poêle d’un marchand de marrons.

Je l’ouvre et je me rue dans l’escalier ; mais je n’ai pas dévalé la moitié d’un étage que j’entends en bas, dans la rue, le démarrage en trombe d’une bagnole. Inutile de cavaler comme un perdu, le zig qui vient de cracher sa bonne marchandise a trop d’avance.

Je remonte les quelques marches et je m’agenouille devant Claude. Elle a pris une bonne demi-douzaine de dragées. Il y en a une dans son épaule droite, trois dans sa poitrine, deux dans son bras gauche… Elle n’est pas morte et n’a même pas perdu connaissance. Ses yeux sont emplis de larmes.

— Ma petite Claude, je murmure, le salaud ! Je l’aurai, je vous jure…

Je vois, par la porte ouverte, les visages prudents des voisins embusqués dans la montée d’escalier.

— Appelez une ambulance, vite ! je leur crie.

Je sais que je ne puis rien faire d’autre pour la petite ; il faut un toubib, pour la réparer — si elle est réparable — et un fameux, aux poches gonflées de diplômes…

— San-Antonio, bégaie-t-elle.

Elle voudrait me parler, et moi, je donnerais mon costume des dimanches pour l’écouter, mais je sais que le moindre effort peut lui être fatal…

— Taisez-vous, mon petit canard, on parlera plus tard…

L’ambulance s’amène. On y charge la gosse entre une double haie de badauds en pyjama. Comme les flics du commissariat voisin se pointent, je leur montre mes papiers et leur fais un bref résumé du drame.

— Si vous avez du nouveau, téléphonez-moi à Paris.

Je grimpe dans ma bagnole et je mets plein gaz en direction de Pantruche.

Je finis la nuit dans un petit hôtel, près de la Grande Maison. Je me lève de bonne heure et prends une douche glacée. Ensuite, je demande l’hôpital de Versailles pour prendre des nouvelles de Claude.

Un interne me dit qu’elle a été opérée d’urgence cette nuit, que son état est très grave et qu’on ne peut se prononcer encore…