Magnin me demande :
— C’est un message chiffré sans doute ?
— Oui, dis-je, mais rassure-toi, il le comprendra. Et puis, ça fera marrer l’hôtesse de l’air…
Troisième partie
CHAPITRE XI
Je brûle… mais suis brûlé !
Le lendemain, à l’aube, tout le circus de la société Patate arrive au rapport.
Je dois reconnaître que mon équipe de pieds plats a fait du bon turbin. Ces gars-là, ils passent une partie de leur vie végétative à étudier le comportement des mouches à beurre dans la bonne société monégasque de Christophe Colomb à Rainier du Soir, mais quand il s’agit de mettre le grand développement, pardon madame Louise, ils sont un peu là !
La vie de la mère Berthier est étalée au milieu du burlingue en moins de deux, comme une poubelle renversée.
J’en apprends tellement long sur son compte qu’il faudrait Jules Romains soi-même pour le mettre en prose. Je vous passe sa jeunesse, son mariage, son bonhomme qui se poivrait le naze ; sa liaison avec un toubib, sa salpingite, l’achat à tempérament de son Frigidaire, son tempérament à elle, ses fausses couches et la couleur de ses soutien-choses.
Seul point intéressant et à retenir : elle s’est engagée comme travailleuse libre en Bochie pendant la dernière. Elle grattait dans un hosto à Berlin ; même qu’à son retour elle a eu droit à la coupe melba de la part de tous ceux qui, n’ayant pas pris les armes au cours du patacaisse intégral, ont libéré leurs instincts à la Libération en s’improvisant coiffeurs pour dames !
D’après mon informateur, au pays de la choucroute au Führer, elle est devenue la maîtresse d’un Tchèque sans provision qui lui a fait le Lotus-nippon et l’Incendie-de-Chicago à la perfection. Ce zouave appartenait à la Gestapo. À la fin de la guerre, il a été enchristé par les Popofs. Il s’appelait Caseck, ce qui, paraît-il, à Prague et dans ses environs immédiats, signifie « Dupont ».
Ce point m’intéresse beaucoup. D’autant plus qu’un autre de mes boy-scouts se la radine avec une photo qu’il a dégauchie sur le calendrier des postes de la veuve. Cette image m’écorchait tellement les lampions que je ne l’avais pas vue ! Que ceux qui n’ont pas lu La Lettre volée de Poe me lancent la première paire de lunettes !
Le rectangle de papier glacé représente la mère Berthier avec quinze carats de moins, donnant le bras à mon pote les Grosses-Gobilles, lui aussi épongé de quinze berges ! À l’arrière-plan, on distingue l’enseigne d’un magasin ; même sans le concours d’une loupe, on peut se rendre compte qu’elle est écrite en chleu.
Conclusion automatique, le gnace aux paupières bombées s’appelle Caseck et c’est lui que la veuve Berthier utilisait comme cataplasme lorsqu’elle soignait messieurs-les-peints-en-vert en berline !
C’est pas pour me vanter, mais je commence à y voir clair. Entre nous et un bocal de cornichons à loyer modéré, je pense que les Ruscos ont relâché Caseck depuis un certain temps. Ce brave gestapiste en chômage a été désorienté, il a hésité entre se faire pédicure chez les Petites Sœurs des pauvres et entrer dans un réseau d’espionnage étranger, et c’est la seconde solution qui a prévalu dans son cœur.
Il a participé à l’enlèvement du vieux Munhssen. Seulement, pour une raison quelconque, le coup a partiellement foiré… Il a été obligé de planquer le savant danois à Paname. Celui-ci étant malade, il fallait des soins éclairés… Il ne pouvait le faire soigner dans un hosto puisqu’il savait qu’à Copenhague on se caillait le raisin au sujet du bonhomme… Alors il a eu l’idée d’aller chez son ancienne nana de l’époque héroïque. La vie ayant passé par-dessus leur idylle, il a dû avoir recours à des arguments moins spirituels pour la convaincre… D’où la liasse de biftons planqués derrière les petits gailles.
Oui, c’est ça… Ensuite la vioque a eu les jetons et il lui a déplafonné la tirelire pour la faire rester peinarde.
Je remercie mes gars qui ont fait du si prompt travail. Il ne m’en reste qu’un à auditionner : Dupied, un vachard fini qui pousserait sa vieille mère hors des clous pour le plaisir de lui faire coller une contredanse.
Lui, il s’est chargé du présent de la morte. Il a établi un emploi du temps de feu Mme Berthier vraiment sans bavure…
Si j’en crois mon rapport, ces derniers temps, la brave dame menait une vie des plus rangées. Elle partait le soir à sept heures de chez elle pour prendre son poste à la clinique des Rosiers. Elle en repartait à six heures le lendemain, rentrait at home et se zonait jusqu’à deux plombes de l’aprème. Ensuite, elle allait s’acheter de la bouffe dans le quartier et se préparait un gueuleton.
Elle ne faisait qu’un fort repas par jour : l’après-midi. Elle complétait son alimentation par de multiples cafés-toasts absorbés dans le courant de la noye…
Lorsque Dupied en a fini, je le congédie et je demeure seulâbre avec ces éléments de l’enquête. Si la mère Berthier soignait Munhssen, c’était vraiment en vitesse et il ne devait pas résider loin de chez elle… Voilà qui circonscrit le champ des recherches…
Le bignou carillonne. C’est le Vieux qui me demande si j’ai des nouvelles de Bérurier.
— Aucune, chef…
— Et votre enquête ?
— Elle suit son petit bonhomme de chemin…
— Eh bien, faites-la courir, coupe-t-il. J’ai déjà reçu un fil des Affaires étrangères, les Danois demandent des explications et surtout des résultats…
Il raccroche, mauvais comme un cheval dont le postère a servi de cendrier à un fumeur de cigares.
Je me lève, fais craquer mes jointures, et rajuste le nœud de ma cravate.
Je me sens vaguement déprimé. Enfin, je vais toujours porter mon tarin quelque part.
Ce matin, l’air de Paris sent la petite femme honnête qui va au rancard de son premier amant.
C’est frais, délicat, juvénile comme l’acné d’un collégien et si ça ne rapporte rien, ça ne mange pas d’argent. On dirait qu’il y a une petite resucée de printemps dans les feuilles dorées des arbres.
Parole, on en mangerait saupoudré de sucre. Je vous parie un abat-jour contre un jour d’abats que les studios meublés vont marner dur aujourd’hui. Ces temps-là portent à l’épiderme.
Je prends place derrière mon volant et je décarre en souplesse. À cet instant, une petite fille s’élance pour traverser la chaussée afin de rejoindre sa vioque. Je freine à bloc : pas de bobo. La daronne de la gosseline qui a tout vu pousse un cri sauvage, croyant le fruit de ses entrailles culbuté… Je l’invective histoire de lui remettre les nerfs sur la bonne longueur d’onde… Et je poursuis ma route. Mais sa clameur désespérée m’a froissé le cervelet. Ce cri m’en rappelle un autre que j’ai entendu voici peu de temps… Un cri… Ah oui, c’était à la maison de repos du professeur Lafrère… Un cri de femme aussi, un cri de folle, formidable, total, qui remontait de la nuit des âges…
Je me range derrière une file de taxis pour allumer une cigarette. Tous mes sens sont alertés, because, soudain, je viens de penser qu’un asile de dingues c’est vraiment une planque idéale pour séquestrer un bonhomme. Mais bien sûr ! La voici la solution… Voilà pourquoi Caseck a rambiné avec sa mégère… Ensemble ils ont manigancé l’entrée en clinique du père Munhssen… Rien de plus fastoche : le vieux porte une blessure à la trombine et, si ça se trouve, ne parle peut-être pas le français !
Quel tordu j’ai été en omettant de présenter sa photo à Lafrère.
Je redémarre au moment où les chauffeurs de bahut me traitent de pecquenod parce qu’ils pensent que je n’ai pas gaffé l’interdit de stationner…