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Je me retire, nanti du précieux renseignement. Je téléphone à la Routière en disant qu’on doit me retrouver le véhicule avant la fin de la journée. Le colonel qui dirige cet estimable service m’affirme qu’il va filer des ordres en conséquence. Tranquillisé, je peux souffler un peu. Je vois très bien maintenant comment s’est présentée la chose.

Lorsqu’à Caen Caseck s’est aperçu que la police se filait après lui, il a changé ses batteries en vitesse. Il est allé retirer le père Munhssen de l’asile, en compagnie de la veuve Berthier. Puis, pour éviter une indiscrétion de celle-ci, l’a butée.

Parfait. Seulement, je me demande pourquoi ce gars-là s’obstine à traîner un vieux savant amnésique… Voilà qui est troublant.

Il y a beaucoup d’autres choses que je pige mal, du reste. Par exemple la raison du séjour en France de Munhssen. Puisque son état n’était plus alarmant, pourquoi ne l’a-t-on pas conduit tout de suite là où devait aller ? Ensuite, s’il avait totalement perdu la mémoire, comment se fait-il qu’il ait pu annoncer son départ autour de lui avant de quitter Fredericia ? Et de plus, il aurait écrit à sa fille… Décidément, c’est la superbouteille à encre, le modèle géant, le plus économique pour les familles nombreuses.

Je crains que mes lascars n’aient réussi à s’évacuer vers des continents perdus. En vingt-quatre plombes, on fait du chemin… Même en coltinant un vieux crabe empêché du cigarillo. Car il a fallu que ça soit le méchant sauve-qui-peut ! La fille blonde s’est barrée de son hôtel. Caseck a récupéré le Danois et liquidé sa complice française… Que nous reste-t-il, outre leur signalement ? Un nom d’emprunt, comme dirait Ramadier. Et le numéro d’une bagnole… Mais il est fastoche de changer de blaze et de voiture. Ce Caseck est un renard trop méfiant pour continuer à se baguenauder avec un nom repéré et une tire dont l’immatriculation est connue…

Effectivement, tandis que j’engloutis une choucroute à la brasserie d’en face, on vient m’annoncer que la Vedette a été retrouvée près de Malakoff… Elle a été abandonnée la veille dans une petite rue…

Ce que j’en ai marre de ces giries ! Passez-moi l’aspirine ! Mes archers font des gueules d’enterrement.

Et avec ça, Bérurier qui n’a toujours pas donné signe de vie… Je me prends la mappemonde à pleines pattes.

Oh ! mais… Attendez, je commence à gamberger. Voilà bientôt deux jours que le Gros a disparu. S’il était mort, on aurait retrouvé sa carcasse… S’il était libre, il aurait donné signe de vie. Pourquoi ne l’aurait-on pas escamoté ? Attendez toujours… Pendant que j’y suis, je vais vous faire bénéficier de mon phosphore, j’en serai quitte, après, à sucer des allumettes.

Je flaire un fil conducteur… Vous m’objecterez que j’en empoigne des tas depuis quelques jours, seulement, que voulez-vous, les autres sont en soie et cassent dès que je les saisis.

Je suis une patate, voilà. Cet aveu libère ma conscience… Je commence à gamberger, et puis je saute sur le détail qui me botte sans pousser mes évolutions. J’ai tort. Si je prends l’affaire à son départ, du moins vis-à-vis de nous, qu’y a-t-il eu à la base de tout ? Un vol d’appareil photographique. Où l’a-t-on volé ? Dans une gare. Donc, la fille blonde partait avec cet appareil uniquement pour montrer les photos non développées qu’il contenait à quelqu’un… Vous me suivez ? Tenez bon la rampe. La preuve qu’elle ne partait que pour ça, c’est qu’elle est restée quand elle a constaté la disparition de sa valise. Ceci est bien établi, hein ? Pas d’objections ? D’ac, je continue. Maintenant, pourquoi entreprenait-elle un voyage afin de véhiculer des photos non développées alors qu’il était si simple de tirer la gueule du vieux Danois et de l’expédier par la poste ? Hein, pourquoi ? Vous êtes là à bâiller comme des carpes et à rouler des boules de loto qui fileraient le traczir à un poisson chinetocke ! Vous me faites pitié, tenez ! Je me demande des fois comment vous faites pour gagner votre bœuf, avec un cerveau pareil à du chewing-gum trop mâché !

C’est malheureux ! Je vais donc vous le dire, moi, pourquoi cette déesse que je n’ai pas l’honneur de connaître agissait de la sorte. C’est uniquement parce que les photos devaient passer une frontière et que tous les postes frontaliers du monde avaient le signalement de Munhssen. Si jamais par un hasard malheureux ou à cause d’un douanier trop zélé lesdites photos étaient repérées, ça allait chauffer. Donc, la fille transportait simplement les pellicules impressionnées… Vous commencez à entraver pourquoi ? Non ? Alors vous êtes plus crêpe que je ne le supposais… Dans l’appareil photographique, les pellicules ne pouvaient pas être trouvées. Parce que, mes petits brachycéphales, de deux choses l’une : ou bien les douaniers n’ouvraient pas l’appareil et les images passaient… Ou bien ils l’ouvraient et elles étaient anéanties par la lumière, vu ?

Ce qu’il est marle, ce San-Antonio, tout de même. Y a pas, je suis un cas ! Quand ça atteint ce degré-là, on présente le sujet en Sorbonne et devant les scalpés de l’Institut !

Maintenant, si vous voulez boire un petit vulnéraire, maniez-vous le prose car je vais continuer la démonstration. Ça y est ? J’enchaîne !

On a chouravé l’appareil photo vendredi dernier. Donc, à cette date, il n’était pas du tout question que le père Munhssen soit embarqué.

Son transfert à l’étranger n’était pas prévu. S’il s’avère si délicat, il est probable que Caseck n’est pas parti avec son pensionnaire. Et la preuve, c’est qu’il a pris le risque énorme de tuer la mère Berthier, son ancienne poule. Pourquoi ? Parce qu’elle savait où logeait Caseck, donc où il allait se terrer avec le vieux. Le Tchèque s’est douté que nous remonterions jusqu’à l’infirmière et il a préféré s’assurer de son silence.

En ce cas, s’il possède à Paris une retraite sûre, pourquoi la fausse miss Kessmann logeait-elle à l’hôtel ?

Je carbure, les mecs… Je carbure… Ne bougez pas, retenez-vous de tousser et finissez de peloter vos bergères, ça me distrait !

C’est nettement la méchante aurore boréale que j’entrevois, cette fois. Ces zigs, les deux équipiers, croyez-moi ou allez vous faire éplucher l’agrume, m’est avis qu’ils sont en train de mijoter un drôle de coup farci contre ceux-là même qui les emploient. Ils ont dû décider de se mettre le vieux au frais pour leur compte personnel. Peut-être qu’ils en négocient la vente ailleurs, tout comme s’il s’agissait d’une marchandise. Oui, ils l’ont kidnappé mais, au lieu de l’embarquer à destination, ils ont préféré l’interner aux Rosiers avec la complicité de la mère Tapedure. Ils ont dit à l’Organisation qu’il était intransportable. Les autres se sont inquiétés. Ils ont alors pris une photo de Munhssen pour leur montrer qu’ils disaient vrai… Et puis cette photo a été le début de leurs ennuis.

La pseudo-Kessmann logeait à l’hôtel pour ne pas révéler leur véritable retraite aux autres, car ils prévoyaient le cas où ils seraient obligés de soustraire le savant aux recherches… Mais oui, tout concorde… Maintenant j’en suis absolument certain, les deux équipiers agissent pour leur compte personnel. Il faut croire que l’enjeu en vaut la chandelle car ils ont contre eux non seulement la police française, mais encore « les autres ».

Je suis en transes, littéralement. J’ai un don de visionnaire, c’est certain ; à côté de moi, le Grand Robert ressemble à l’ONM. Je suis certain que mon équipe de foies blancs n’a pas quitté Pantruche. Oui, ils sont là, tous : Caseck, la fille blonde, Munhssen… Je les sens, pas loin. Quelques blocs de maisons, quelques centaines de mètres peut-être nous séparent… Ils ont la bath planque… Est-ce une maison perdue au fond d’un parc ombreux ? Est-ce un sordide logement de la zone ? Un hôtel particulier du Bois ? Une auberge des environs de Paris ? Mystère et friction à la gelée de groseille !