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Je décide de tenter ma chance ailleurs. Tous les espoirs me sont permis puisque nous sommes le 13.

Je cherche un autre établissement en accord plus parfait avec les PTT lorsque je me rappelle que le gros Bérurier pioge rue Blomet. Je vais profiter de l’occasion pour aller interviewer sa baleine, des fois qu’elle aurait des nouvelles… De chez elle, je tuberai à mes valeureux collègues. Pourvu que Favier ait tiré assez de portraits !

CHAPITRE XIV

Distribution de lots

Je carillonne à la porte des Béru. Ils ont un coquet petit trois pièces Henri II avec vue sur la cour qui gagne le cœur. Un assez long moment s’écoule, je m’apprête à évacuer le terrain, pensant que la pétasse du Gros est absente, lorsque l’huis s’entrebâille.

La vioque à Béru glisse une portion de mufle par l’ouverture. Elle est grasse, fardée, frisée, baleinée, équipée pour ravager les quinquagénaires qui s’en ressentent pour manœuvrer les forts calibres.

— Salut, madame Bérurier, fais-je joyeusement. Comment va ?

Je m’avance. Ma visite ne semble pas lui faire plaisir outre mesure, bien qu’elle ait toujours essayé de me vamper lorsque nous nous rencontrions.

Elle est pâlichonne, pas peinturlurée, mal coiffée, et son œil contient un je ne sais quoi de flottant, de trouble qui m’inquiète.

L’ai-je surprise au moment où le coiffeur lui chantait l’introduction du grand morceau de Faust ? Ça n’est pas impossible…

Elle s’efface avec regret et j’entre dans le vestibule des Béru.

— Je ne vous dérange pas trop ?

— Mais non…

Ça ne part pas du cœur. Je perçois un vague bruissement dans la pièce voisine et je retiens un sourire. Je ne me suis pas trompé, la grosse vachasse était en train de se faire masser le grand sympathique. Inutile de m’attarder sous le toit de l’adultère…

— Dites voir, votre bonhomme ne vous aurait pas donné signe de vie par hasard ?

— Non, dit-elle… Pourquoi ?

Elle ne paraît pas surprise le moins du monde. Elle est amorphe. Est-ce qu’en plus du zizi-panpan elle se droguerait ?

— Enfin, vous avez dû vous apercevoir qu’il a disparu, non ?

— Dame, je le croyais en mission, vous êtes venu le chercher, l’autre matin…

— Vous ne l’avez pas revu depuis ?

— Non.

— Il n’a pas téléphoné ?

— Non plus…

Elle attend. Je parie qu’elle aimerait être veuve, la pétroleuse. Les bonnes femmes sont comme ça. Rien dans le cœur, sinon le mec du jour ! Le passé ? Il est passé ! Les souvenirs ? Elle les vivra demain !

Furax comme un suppositoire fourvoyé dans une bonbonnière, je lâche :

— Bon, du moment que vous trouvez ça bien, bonsoir ! Si on retrouve sa carcasse on vous fera un paquet !

Et sur cette invective, je disparais.

Je quitte l’immeuble, tourne le coin de la rue, entre dans un café pour enfin lancer mes ordres… Et voilà que je tombe en arrêt devant le portemanteau de l’établissement. C’est bizarre, mais il me dit quelque chose… Il y a le même chez Bérurier, dans l’entrée… Oui. Et…

Ça vous est déjà arrivé de prendre un malaise parce que vous avez une grosse surprise ? Moi, il me semble que le sol part en avant… Je n’ai que le temps de m’agripper au rade et de murmurer : « Un rhum » d’une voix mourante que le loufiat a de la peine à capter.

Il m’allonge un Negrita. Je le fais suivre à mon adresse privée. Et mon malaise fait place à de l’euphorie.

Au portemanteau des Béru, j’ai vu une veste. Et cette veste, je suis certain que le Gros l’avait lorsque nous nous sommes quittés, la dernière fois. Elle est marron, avec des taches de vin, les revers cassés et la doublure qui dépasse.

Alors ? Pourquoi la mère Béru m’a-t-elle bourré le mou ? Je casque mon orgie et je fais demi-tour. Au galop je grimpe les étages. Je parviens devant la porte de l’appartement et je tends l’oreille. Dans une pièce du fond des gens parlent. Je tire mon petit sésame-ouvre-toi avec des gestes de prestidigitateur chinois, je l’introduis dans la serrure… J’agis lentement, en m’efforçant de ne pas trembler. Je tourne molo molo pour faire jouer le pêne. Ça grince un poil, mais je pense être seul à percevoir ce bruit.

Enfin la serrure est libérée de toute obligation militaire et je n’ai plus qu’à délourder. Vous savez tous que pour ouvrir une porte sans la faire grincer il convient de la soulever en poussant. Grâce à ce procédé connu, j’entre en silence. Au prochain bal masqué de la marquise de Bouremoilœil, c’est dit, je me déguise en minute de silence, et j’irai faire des extras quand les porteurs de gerbes iront déposer les végétaux de saison sur la dalle sacrée.

Je ne relourde pas afin d’éviter de faire du chahut. On parle dans la pièce du fond… On chuchote, plus exactement. J’y vais à pas menus. J’extirpe l’ami Tu-Tue de sa gaine de cuir, je lève le cran de sûreté, puis, à la volée je délourde.

Ah mes petits camarades, ce spectacle !

Ce qui me frappe avant tout, je crois que c’est l’odeur. J’ai le sens olfactif tellement développé que je sens pour les gens qui ne se sentent pas bien. Ici ça chlingue la chambrée ! Faut dire qu’il y a du populo. Sur le pageot de la dynastie bérurière repose Munhssen… À terre, ficelés, cabossés, contusionnés, sanguinolents, gisent mon gros lard de Béru et son colitier le coiffeur… Caseck est en train de discuter le bout de gras avec la mère Béru tandis que la fille blonde (beaucoup plus jolie qu’on ne me l’avait décrite, soit dit entre nous et le carrefour Richelieu-Drouot) prépare une seringue…

J’ai du succès avec mon Walther.

— Les mains à la verticale ! dis-je d’un ton qui admet difficilement la réplique.

Ils ont tous sursauté, du moins ceux qui pouvaient se le permettre. La mère Béru est verdâtre… Caseck, sans remonter ses stores, me regarde par une mince fente sous ses paupières.

Ce qui complique un peu ma suprématie stratégique c’est que je dois surveiller à la fois la blonde et Caseck, et ceux-ci se trouvent chacun à une extrémité de la pièce.

Je tiens ma pétoire braquée en particulier sur Caseck.

— Mon enfant, fais-je à la fausse miss Kessmann, ayez l’obligeance de vous mettre près de votre ami Caseck.

L’autre l’a mauvaise en entendant son vrai blaze. Il doit se dire que j’ai fait du chemin.

La fille blonde n’a pas bronché.

— Dites, fillette, murmuré-je, je crois vous avoir parlé…

Je pointe le canon de mon distillateur de fumée dans sa direction. Je perçois un cri. C’est la mère Béru qui l’a poussé. Elle a de bonnes raisons pour cela. Cette pourriture de Caseck a profité de ce que j’interpellais la fille blonde pour se précipiter derrière la femme de mon pote et l’utiliser comme paravent chinois. Elle a une surface portante tellement conséquente, la gravosse, qu’il disparaît derrière elle, comme un homme serpent derrière un pilier d’église. Et il fait fissa pour défourailler, je vous le jure ! En moins de temps qu’il n’en faut à un hôtelier pour majorer une note de douze pour cent il m’envoie sa bonne camelote. Heureusement pour moi, j’ai eu le réflexe de me jeter sur le parquet. Je vois des trous se former dans le plancher à quatre centimètres de mon blair. Ah ! je vous avoue que je les ai à la sauce anglaise ! Je prends des particules de bois dans les roberts…

— Espèce de sale tante ! je rugis en redressant ma sulfateuse.

— Tirez pas, Antoine ! brame la mère Bérurier…

Ça me rappelle à la raison. Si j’envoie le potage elle en dégustera sa cuillerée, la mère Dutrognon ! Je peux pas faire ça à ce cocu de Béru !