— Pourquoi ? lui demandai-je pour lui prouver que je l’écoutais un minimum.
— Son divorce était prononcé ce matin.
— Ah bon ?
— Tu n’étais pas au courant ?
— Il m’en a vaguement parlé le jour où je l’ai retrouvé. Mais, non, je ne savais pas que c’était pour aujourd’hui.
Le profond soupir de Cédric me fit tourner la tête vers lui, il avait l’air totalement désappointé.
— Quoi ? lui demandai-je.
— Rien, Yaël. Rien…
Une bonne heure plus tard, nous traversions Lourmarin avant de prendre un tout petit peu de hauteur par rapport au village. Le trajet était intact dans mes souvenirs, je crois que j’aurais pu y revenir les yeux fermés, alors même que ça faisait des années que je n’y avais pas pensé, ne serait-ce qu’une seule fois. La voiture quitta la route principale, empruntant un chemin privé, plus chaotique, qui menait à la maison. Cédric mit le frein à main, et alla ouvrir le portail. Lorsque nous pénétrâmes dans le jardin, il klaxonna, pire qu’à une sortie de mariage. L’effet fut immédiat, un troupeau déboula autour de la voiture, tous parés de leur maillot de bain. Alice ouvrit ma portière et me tira par le bras pour que je sorte rapidement.
— Je suis tellement contente que tu sois là, me dit-elle en m’embrassant et me serrant contre elle.
Ce n’est pas un exploit non plus ! Il ne faut pas exagérer ! Je tapotai gauchement son dos, en me retenant de lever les yeux au ciel.
— Lâche-la que je la foute à la flotte, histoire de la mettre dans l’ambiance, ricana Adrien.
En guise de bonjour, je le fusillai du regard.
— N’essaie même pas !
— Je vais le retenir pour le moment, mais ça ne va pas durer, me dit Jeanne en me faisant une bise. Allez, va vite te changer ! Ce n’est pas une tenue !
Les trois enfants s’approchèrent à leur tour et me firent des bisous chlorés.
— Yaya, tu vas m’apprendre à nager ? me demanda Marius.
— On verra.
Cédric porta ma valise jusque dans la maison, l’odeur de lavande et de rose que notre mère affectionnait tant me sauta au nez. Mis à part un rafraîchissement des peintures, rien n’avait changé. Les murs étaient dans des tons clairs et naturels et le sol en vieilles tomettes que mon père avait réussi à trouver après des mois de recherches. Malgré leur amour pour la région, mes parents n’avaient jamais donné dans la déco provençale ! Pas de jaune, ni de dessins d’olives noires sur le linge de table et encore moins de cigales en porcelaine. Mon père l’avait conçue de plain-pied, avec de nombreuses portes-fenêtres, « toujours plus de lumière », nous disait-il, même si l’été les volets restaient désespérément clos ! Une vaste entrée desservait la partie où nous vivions le plus clair du temps ; le séjour/salle à manger avec une mezzanine, le tout donnant sur la terrasse. La cuisine quant à elle était séparée. Un couloir desservait les chambres et les salles de bains. Tout avait été fait et organisé pour le confort — trop rustique à mon goût — et qu’on ne manque jamais de rien, sans oublier de conserver l’esprit maison de vacances ; d’où la vaisselle ébréchée, la caisse de jouets pour les enfants d’Alice dans le salon, la bibliothèque avec les vieux bouquins de ma mère et les prospectus de tourisme de la région. Autour de la piscine et sur la terrasse, nous savions que nous ne trouverions jamais des meubles de jardin Luxembourg de chez Fermob, mais plutôt des chaises longues en plastique blanc dont les matelas étaient dépareillés et qui risquaient à tout moment de s’effondrer. Quant aux murs, chacun avait le droit à sa croûte immonde dénichée sur un petit marché par ma mère ! Bref, tout ce que j’adorais…
— Je dors où ?
— Dans ta chambre ! me répondit Alice, surprise que je puisse poser une telle question.
Ma chambre… je ne l’avais plus depuis bien longtemps. C’est vrai que mes parents me le rappelaient souvent, convaincus que ça pouvait me faire venir.
— Je ne vais pas te cacher que d’autres y ont déjà dormi, mais tu es là, c’est ta place, poursuivit-elle.
Pour y accéder, il fallait traverser la cuisine, puis la buanderie, c’était la seule chambre ouverte sur la terrasse et la piscine. Et surtout la seule avec sa salle de bains privative. J’étais sauvée ! Cinq ans plus tôt, papa avait souhaité ajouter une seconde salle de bains à la maison. Je me souvenais qu’à l’époque j’avais bataillé pour que nous échangions, il n’y avait rien eu à faire ; je venais déjà de moins en moins souvent et toute la famille avait décidé que je devais avoir le maximum de confort le peu de fois où je me déplaçais jusque-là. Alice m’expliqua la répartition des couchages ; elle et Cédric avaient leur chambre habituelle, Adrien et Jeanne étaient dans celle des parents, les enfants tous les trois dans le dortoir. Quant à Marc, il hériterait de la mezzanine du salon, disons plutôt qu’il la retrouverait puisqu’il avait toujours dormi là lorsque nous y venions étudiants.
— On te laisse t’installer, me dit ma sœur. C’est bon de te voir là. Tu nous rejoins à la piscine ?
— Tout à l’heure.
Elle embrassa ma joue et sortit par la porte-fenêtre de ma chambre. Je luttai contre le découragement en évitant de m’écrouler sur mon lit, dont le sommier devait toujours autant grincer. J’accrochai ma veste au portemanteau, et vidai ma valise dans la commode, sans me changer, ça n’aurait pas servi à grand-chose. Ensuite, n’ayant pas de temps à perdre, je partis en quête de la box dans l’entrée, puis dans le séjour, et jusque dans le buffet de la salle à manger… impossible de la trouver. Je rejoignis la terrasse où l’odeur de barbecue m’écœura.
— Alice ! Où papa a mis la box ?
— Quelle box ? brailla-t-elle de la piscine.
Ça commençait à bien faire. À peine une heure que j’étais là et ils me sortaient tous par les yeux, à commencer par ma sœur !
— Bah, la box, internet, tout ça quoi ! La communication avec le monde extérieur, ça te parle ?
— Il n’y en a pas, me répondit-elle sèchement.
— Plus pour longtemps ! répliquai-je, horrifiée.
J’appelai les parents sans plus réfléchir.
— Ma Yaël ! s’exclama mon père. Alice nous a appris que tu étais à la Petite Fleur ! Alors comment trouves-tu la maison ?
— Très bien, papa !
— Va faire un tour dans la grange, je voudrais ton avis…
— On verra, le coupai-je. Tu n’as pas installé internet ?
— À qui voudrais-tu que ça serve ?
À moi. Et comme d’habitude, je me dégonflai face à mon père.
— Tu veux parler à maman ?
— Non, je la rappellerai, je vous embrasse.
— On est heureux de te savoir à la maison.
Qu’avaient-ils tous à me dire ça ? Ça devenait franchement pénible.
Dès que je raccrochai, j’établis mon camp de base dans le séjour et plus précisément sur la table de la salle à manger, j’avais réfléchi, je n’allais pas laisser la situation s’envenimer, il fallait provoquer le destin. J’installai mon hot spot, en priant le Bon Dieu pour que le réseau ne fasse pas trop des siennes. Je me sentis mieux lorsque je pus enfin me connecter au serveur de l’agence, comme si l’air devenait plus respirable. Aucun nouveau mail sur ma boîte : incompréhensible. À moins que Bertrand ait vite réagi : il pouvait très bien rediriger tout mon courrier vers sa boîte à lui — réaction qui aurait prouvé sa détermination. Je décidai de lui écrire :
Bertrand,