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Et alors, je m’invective vilain, in petto. Tout à l’heure, j’ai ramoné toute la strass, j’ai regardé jusque dans la cuvette des gogues, mais j’ai tout culment omis de fouiller ce zouave.

Un flic à la manque, voilà ce que je suis. Une caricature pour journal satirique.

— Ça ne va pas ? questionne Bapaume.

Mollement, je réponds :

— Si…

— Vous ne fouillez pas la baraque ?

— C’est déjà fait…

— Je peux faire quelque chose ? s’inquiète-t-il.

— Faites analyser la balle. Dites qu’on me communique d’urgence les résultats…

— Entendu.

— Vous attendez le parquet ?

— Oui…

— S’il y a du nouveau au sujet de l’assassin, prévenez-moi.

— Bien.

— Et ne cherchez pas si on vous signale qu’une traction noire a vadrouillé dans le secteur ces deux jours et qu’un beau gars bien balancé a enquêté dans le voisinage en se faisant passer tantôt pour un contrôleur du fisc, tantôt pour un flic. Le mec en question, c’est moi !

Je file en lui serrant la louche.

* * *

La vioque de l’agence de location est embusquée derrière sa fenêtre.

Elle me flaire avec un peu d’angoisse.

— Il est… arrivé quelque chose ? demande-t-elle.

— Pourquoi posez-vous une telle question ?

— Ben… Ces allées et venues…

— Quelles allées et venues ?

Elle paraît ennuyée. Elle aimerait qu’on lui foute la paix.

Son blot, à elle, c’est de vendre des carrées et de secouer une cominche confortable au passage.

— D’habitude ils n’ont jamais de visite, dit-elle. Et depuis midi les voitures n’arrêtent pas de s’arrêter devant sa porte.

J’admire au passage la pureté de son français.

Elle fait bouffer ses tifs platinés et vérifie, dans la glace fixée au mur, l’ordonnance de son crépi.

— Quelle sorte de voitures, chère madame ?

— Des voitures… noires !

— Combien ?

— Trois…

Je fais le compte :

— La mienne, celle du commissaire de police et enfin une troisième qui a les meilleures chances d’appartenir à l’assassin.

— Quelles marques, ces voitures ?

— Vous m’en demandez trop, je n’y connais rien en matière automobile. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’elles sont noires toutes les trois.

— Vous avez vu les occupants ?

— Non… D’ici ça n’est pas possible, voyez… Le mur mitoyen empêche de voir. On ne distingue que les toits des autos…

— Dommage, fais-je, il aurait été intéressant d’avoir beaucoup de détails, car votre voisin a été assassiné.

Elle ouvre la bouche et j’admire son bridge impec.

— Assass…

— Oui, d’une balle dans la nuque, vous avez entendu la détonation ?

Elle secoue la tête :

— Non, rien… D’ici, vous savez ?

— Au début de l’après-midi, vous n’avez remarqué personne dans la rue qui aurait paru faire les cent pas ?

— Non.

— Ou bien guetter…

— Guetter ?

— … la maison de la victime ?

Son front se plisse comme un bandonéon. Il s’empourpre sous l’effort.

— En face, balbutie-t-elle, d’une voix morte de médium en transe…

Je regarde, par la croisée, l’autre côté de la rue. Il n’y a pas de maisons, mais un petit rond-point formé d’un massif de fleurs au milieu duquel se dresse une statue d’Apollon.

— Tout à l’heure, dit-elle, au début de l’après-midi, il y avait une femme de l’autre côté du rond-point. J’ai cru que c’était une touriste.

— Ah ! oui.

— À ce moment, il y avait une auto arrêtée… devant leur porte.

Du pouce elle désigne le pavillon du mort.

La voiture dont elle parle, c’était la mienne. Une femme surveillait les allées et venues, de loin… Une « touriste » !

— Pourquoi touriste ? fais-je machinalement.

— À cause de son appareil photographique.

— Parce qu’elle en avait un ?

— Oui… Avec un gros machin noir au bout, comme une longue-vue.

Un téléobjectif ! Je commence à m’intéresser sec…

— Et elle s’en servait, de cet appareil ?

— Bien sûr, elle photographiait la statue… C’est surtout là que j’ai pensé qu’il fallait être touriste pour prendre en cliché une statue comme celle-ci…

— Évidemment. Elle se tenait derrière ?

— Tout contre.

— Vous êtes certaine que c’était la photo de la statue qu’elle tirait ?

Car ça paraît un peu incroyable sur les bords : quelqu’un qui se met contre l’objet à photographier avec un téléobjectif !

— Ma foi, je l’ai pensé… Qu’est-ce qu’elle aurait pu photographier d’autre ?

J’ai la réponse : elle tirait la frite de San-Antonio, tout béatement. Cette pépée devait surveiller Stumer et surtout ses visiteurs. Voilà l’explication de son téléo.

— Comment était-elle, cette femme ?

— Jeune… Elle avait une veste en léopard — ou simili — un béret vert…

— Brune ? Blonde ?

— Rousse…

— Voyez-vous…

Elle joue la contradiction, la mère Machinchouette.

— Pardon ? fait-elle, pincée.

— Merci pour vos précieux renseignements…

Je la salue avec déférence et je me prends par la manette. Direction ma crèche ! Cette fois, s’agit de tirer les vers du nez à la môme Édith… Même si elle ne sait rien faudra qu’elle parle. Moi qui lui avais annoncé la mort de son bonhomme ! Voilà qui est bizarre. Aurais-je, inconsciemment, un don de double vue ? En tout cas ça se gâte pour mes actions. Stumer mort, ma route du plan est coupée ! Salement coupée…

Tout ce que j’ai comme indice, c’est une rouquine photographe en veste de léopard… En admettant qu’elle trempe dans ce bouillon gras !

Va falloir que j’aille affranchir le boss sur ces événements. Il va en faire un portrait, le Vieux, quand il va savoir que j’ai kidnappé une poufiasse et que son gibier numéro un est plus mort qu’un filet de morue.

Ah ! quelle pagaïe !

* * *

Comme je freine devant mon pavillon, je vois rappliquer Félicie par l’autre bout de la rue, le visage décomposé. En m’apercevant elle se précipite sur moi, noue ses bras autour de mon cou et éclate en sanglots.

— Eh ben ! M’man ! Qu’est-ce qui se passe ? je balbutie, interloqué.

Elle a la poitrine secouée par des sanglots.

— Oh ! mon grand, mon grand !

— Parle !

— J’ai eu peur, mais peur ! J’ai cru mourir…

— Qu’est-il arrivé ?

— On m’a fait une farce affreuse…

— Une farce ? Qui ça ?

— Je ne sais pas, quelqu’un au téléphone… Ça faisait cinq minutes à peine que tu étais parti, le téléphone a sonné. Quelqu’un m’a demandé si j’étais ta femme. J’ai dit que tu n’étais pas marié et que je suis ta mère… On m’a annoncé que tu avais eu un accident.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Et que tu étais à l’hôpital…

— Non ?

— Si… Je suis partie comme une folle. J’ai trouvé un taxi, comme par hasard, et je me suis fait conduire à l’hôpital. Évidemment personne n’était au courant de rien…

— Évidemment.

— J’ai cru qu’il y avait erreur. J’ai téléphoné au commissariat, là non plus on ne savait rien…

Tandis qu’elle parle je regarde la façade de notre maison. La porte en est grande ouverte.