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J’ai vu juste.

Mes paroles lui arrivent sur la potiche comme des cailloux. Il est out !

Lentement, il se remet à jaffer sa choucrance. Je profite de ce qu’il se fout dans la clape un cervelas gros comme ma cuisse pour lui filer le coup final.

— Et tu savais que Stumer s’occupait de sales combines, bref qu’il marnait dans l’espionnage. C’est un genre de turbin qui te dépasse, t’as pas osé rouscailler, c’est pas vrai, dis ?

— Bon, éructe mon Al Capone des familles, bon ! Et après ?…

— Après ! je tonne, après ! Si tu ne m’affranchis pas illico, je te mets au frais jusqu’à l’an 2000, avec comme entrée en matière un passage à tabac qui te fera doubler de volume, tu saisis ?

Les caïds ne sont des caïds qu’au milieu d’une bande de foies blancs qu’ils terrorisent. Lorsque vous les chopez entre quat’ z’yeux et que vous leur tenez le langage de la raison, ils sont tout prêts à pleurer.

C’est le cas pour Veitzer.

— Si tu veux t’agripper, dis-je, je te fais passer aux assiettes pour un sale motif : complicité de trahison… Les juges voient rouge dès qu’on parle de défense nationale et d’intelligence avec une puissance étrangère !

Il blêmit.

— Qu’est-ce que vous racontez… J’ai toujours été patriote, j’ai fait le maquis, moi !..

— Ton avocat sera content d’avoir ça à se foutre sous la langue !

— Mais que voulez-vous que je vous dise, enfin !

— Simplement ce qui s’est passé avec Stumer…

Il me regarde, puis examine avec tristesse un morceau de lard fumé qui se fige dans son assiette.

— Almayer et lui se fréquentaient depuis quèque temps. Je m’étais rancardé sur Stumer et j’avais appris que c’était un type… Enfin, le type que vous dites. J’osais pas trop faire de pet, car on ne sait jamais, avec ces gens-là, s’ils sont viande ou poisson…

Il avale difficilement sa salive.

— Bois un coup de blanc, je lui conseille.

Il obéit.

— Un jour, dit-il, Stumer est venu ici. Il s’est assis là où vous êtes et il m’a dit comme ça qu’il avait besoin de Fred pour un travail très spécial. Pour cela, il fallait que Fred ait comme qui dirait des vacances. Il m’a dit qu’il était prêt à laisser une brique à… à notre club pour que je dise oui. Il annonçait deux cents laxatifs comme à-valoir… J’ai laissé flotter les rubans, qu’est-ce que vous voulez…

— Bien sûr… Tu sais en quoi consistait ce travail avec Almayer ?

— Non…

Je le contemple de ma façon particulière, celle qui fait frémir les demoiselles et qui rend les hommes nerveux.

Pourtant, il ne flanche pas. Je crois que vraiment il ne le sait pas…

— Comment peux-tu ignorer ça ? dis-je sur le mode incrédule. Tu devais bien le revoir, Almayer, puisqu’il continuait de draguer dans Pigalle ?

— Oui, mais il ne faisait rien… Je lui demandais des tuyaux, il avait rien à bonir. Paraît que c’était la vie de château avec l’autre, le Stumer. Ils faisaient la java dans les clandés et se cognaient le tronc comme des papes… Il en revenait pas.

« Et puis, un jour, ils sont partis en balade, tous les deux. On n’a plus revu Fred… Stumer a enlevé sa frangine et plus personne ! Paraît, ont dit les baveux, que ce pauvre Fred s’est fait repasser dans le Rhône, lui qu’avait horreur de la flotte !

Cette fois, il a tout craché, Veitzer. Il se sent guilleret.

— Dis-moi, mon bonhomme, c’était quoi, sa spécialité, à Almayer…

Lui qui se croyait quitte, le v’là qui repique une rogne rentrée. Des séances pareilles, ça l’affaiblit, ce gentleman.

Faut remettre deux sous pour qu’il continue sa romance ; histoire d’encourager l’amateur.

— Comprends une chose, si t’as pour vingt-cinq centimes de cervelle, dis-je aimablement : je suis sur tes os en ce moment parce que ça ne tourne pas rond quelque part. Si les choses se gâtent sérieusement et qu’on n’ait pas autre chose à se foutre sous les chailles, on ramassera les miettes : toi, par exemple, et on veillera à ce qu’elles fassent de l’effet pour cacher la merde au chat, tu dois saisir ça sans avoir ton bachot, non ?

« Conclusion : t’as intérêt à ce qu’on t’ait un peu à la chouette.

Il fait signe à la serveuse d’enlever les couverts.

— Vous prenez un dessert ? propose-t-il.

— Non, une choucroute pareille, c’est trop envahissant !

— Alors, une fine ?

— Si tu veux…

— Deux fines ! lance-t-il au patron.

Puis, très vite, comme on se libère d’un fardeau en le rejetant d’un coup d’épaule, il dit, sans me regarder :

— Alma, c’était le roi du blindage…

— Tu veux dire qu’il pratiquait des ouvertures dans les coffres ?

Veitzer se fâche.

— M’obligez pas à répondre à des questions aussi brutales ! éclate-t-il. Voyons, il faut être humain, non ?

Je souris.

— Bien entendu…

Je rêvasse un instant.

— Ma note ! lancé-je à la serveuse.

— Non, non, proteste Veitzer, tout sur la mienne…

Je n’insiste pas.

— Bon, si c’est offert de bon cœur, d’accord ! fais-je en me levant. Peut-être que je te rendrai le repas un de ces jours, une supposition que tu aimes les lentilles…

CHAPITRE XI

Les nuits sont fraîches

Rue de Liège, 89 !

L’immeuble est honnête, confortable. Dire que ce truand créchait là ! Maintenant, on ne peut plus se fier au standing d’un mec !

Les caïds se mettent à habiter Auteuil et à avoir des comptes en banque… Et des terreurs au bidon comme Almayer s’offrent des appartements pépères dans des immeubles pour sous-chef de cabinet !

J’appuie sur le timbre actionnant l’ouverture de la porte. La concierge ronfle ou elle est allée faire une partie de main chaude chez le colonel en retraite du dessus ; en tout cas, sa loge est aussi vide que le slip kangourou d’un eunuque.

Je peux me passer d’elle, puisque je connais l’étage qu’habitait feu Fred.

Ouvrir les lourdes bouclées a toujours constitué mon talent de société n° 1. Ça, vous ne l’ignorez pas.

Je pénètre dans un studio salement ravagé.

Tout a été pillé, éventré, mis en miettes. On dirait qu’un régiment de Mongols a bivouaqué céans, avec mission de découvrir une dent en or.

Les mecs qui sont venus fouiller ici devaient être diplômés par la faculté de fric-frac de leur patelin !

Jamais je n’ai vu un champ de bataille pareil ! Il ne reste rien d’entier. Le moindre objet a été brisé… Un vrai délire, je vous l’annonce !

J’en reste baba. J’ai déjà vu des appartements perquisitionnés, mais là c’est plus de la perqui, c’est le gros vandalisme.

J’enjambe des fauteuils éventrés dont les ressorts jaillissent comme des entrailles et je fouinasse. À première vue, on pourrait croire que ce branle-bas est le boulot d’un sadique soucieux de tout pulvériser ; pourtant, en y regardant de plus près, je constate que le mec a agi scientifiquement. Il ne voulait pas briser pour briser, mais pour mettre à nu des parties secrètes. Conclusion : il cherchait quelque chose, et ce quelque chose ne devait pas être gros, puisqu’il est allé jusqu’à dévisser le socle de l’appareil téléphonique.

Pas la peine de prendre la succession du zigoto. Un attila pareil ne laisse rien à glaner.

Je regarde une dernière fois le papier de la tapisserie lacéré, les lames du parquet arrachées, les vases pulvérisés. Beau boulot !