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Riffaut est à table. Je l’aperçois à travers une porte vitrée, face à sa bourgeoise. Il y a un mouflet de trois piges au bout de la table, qui bénit ses vieux avec de la bouillie.

Tout ça paraît bien honnête.

Ma silhouette se détache à travers les rideaux et les gonzes crient « Entrez ! » avant que j’aie eu le temps de frapper.

Je pénètre donc dans une cuisine propre comme un laboratoire suédois. Une odeur de bœuf gros sel me fouette les narines et m’apprend que j’ai faim.

— Salut la compagnie ! dis-je jovialement… Ça marche, la tortore ?

Riffaut, un gars jeune et brun, avec un petit air de breton assimilé, lève les yeux.

Son regard est clair. Sa bonne femme est gentille, pas laubée, mais appétissante… Ils font allocations familiales, tous les deux, avec leur chiard.

— C’est à quel sujet ? demande la femme, laquelle doit avoir la phobie des placiers en aspirateurs.

— Quelques questions à poser à votre mari…

Elle fronce le sourcil. Lui continue à me détailler.

— Vous n’êtes pas le commissaire San-Antonio ? demande-t-il.

— Si, fais-je, surpris.

Il paraît heureux de m’avoir identifié.

— Je vais vous expliquer : au ministère, nous garons derrière la rue des Saussaies… Et on va des fois trinquer à la brasserie voisine… Là où vous allez, vous autres. Souvent, je vous ai vu. Je sais que vous êtes un crack !

Je ne rougis pas, car ma modestie ne se laisse plus abattre depuis belle lurette. Mais ça fait toujours plaisir des compliments de ce genre, aussi spontanés…

— Eh bien ! au moins, dis-je, nous voici presque en pays de connaissance… Cela facilitera les choses. Je viens au sujet de votre histoire…

Il se rembrunit.

— Encore ! s’exclame-t-il.

Vite, il se reprend.

— Remarquez, je ne vous fais pas grief de votre visite, monsieur le commissaire. Vous faites votre boulot. Seulement, on m’a déjà tellement questionné à ce sujet ! J’ai failli être passé à tabac, vous vous rendez compte ?

— La police est vieille comme les hommes, fais-je observer non sans philosophie, et ses méthodes sont aussi vieilles qu’elle !

Il ouvre de belles châsses comme des hublots de transat.

— Bien sûr, admet-il, sur un plan général. Mais qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Il y a que c’est moi qui ai la direction de l’affaire et que je voudrais vous entendre un peu… Des rapports, ce sont des mots écrits, c’est-à-dire froids… Quand on discute le coup, le paysage s’éclaircit tout de suite, vous ne pensez pas ?

— Probable…

Je louche sur le plat de pot-au-feu vachement appétissant. Le môme en profite pour filer une cuillerée de bouillie sur ma cravate.

— Voyons, Dédé ! s’égosille la mère Riffaut.

Elle se confond en excuses éperdues et me nettoie la baveuse avec de l’eau tiède, ce qui est, paraît-il, radical.

— Ne vous tracassez pas, fais-je, c’est moi qui vous importune à des heures industrielles, comme dit un de mes collègues.

Et je dédie une furtive pensée à ce gros gland de Bérurier, qui doit faire le pied de grue devant la lourde en se demandant si je vais être démoli ou non.

Ça les met à l’aise, ces petits. Moi, franchement, je les trouve plutôt sympas. Ils n’ont rien de bandits… Ils mènent une petite vie quiète dans leur terrier. Le samedi soir, ils vont au cinéma et la concierge doit leur garder leur chiard ; le dimanche après-midi, ils vont cueillir du muguet en Vespa du côté d’Évecquemont…

— Un verre de vin ? propose Auguste.

— Chiche !

Heureux, il va au placard, en sort un verre à moutarde décoré d’une cigogne rose et le remplit jusqu’à la garde.

Nous trinquons. C’est du gros rouge d’honnête homme. Quand on est psychologue, on se base sur des détails de ce genre. Moi, je vous le dis, les aminches, lorsqu’un gnare comme Auguste s’est laissé embarquer dans un coup fourré, c’est toujours pour de l’artiche. Or un gnare comme Auguste, lorsqu’il a de l’artiche, il s’offre du picolo de choix, parce que le pinard, c’est une partie de sa raison d’être.

Quand mon glass est vide, je leur conseille de morfiller comme si je n’étais pas là, because leur morceau de vache bouilli va refroidir…

Ils sont gênés.

— Vous n’en voulez pas un morceau ? demande Riffaut.

J’examine le pot-au-feu. C’est du chouette. Un bath morcif dans la culotte.

— Allez ! dis-je, une assiette en vitesse.

Après tout, c’est en bouffant ensemble qu’on devient amigos et c’est en devenant amigos qu’on jacte à cœur ouvert !

Et puis, quoi, dans ce putain de job, faut bien qu’on soit nourri à l’œil de temps en temps !

CHAPITRE XVII

Reparlons de Lyon

J’ai eu raison d’accepter l’invitation des petits gars. Eux, c’est le genre prolo qui s’effarouche vite. Forts en gueule lorsqu’ils sont entre eux, mais plus timides qu’une jouvencelle quand un étranger vient leur poser des questions sur leur façon de vivre et de payer leurs impôts.

La conversation roule son train. Je moule encore deux cuillerées de bouillie dans la tranche, car le petit Dédé ne doit pas aimer les flics… Mais à part ça, le temps est au beau fixe.

Riffaut me raconte par le menu l’agression dont il a été victime. Il m’explique que le garage du ministère est très grand, car d’autres services administratifs y rangent aussi leurs guindes. Il connaît la plupart des chauffeurs de ces services, mais pas tous. Aussi n’avait-il aucune raison d’être surpris lorsque Stumer, loqué d’une livrée de grande maison, l’a interpellé dans le garage.

Il ajoute que lui, Auguste, est d’un naturel très liant.

J’en ai, du reste, la preuve. Sa femme renforce cette allégation d’un vigoureux hochement de tête.

Je la calme en lui assurant que son bœuf gros sel est une pure merveille. Et nous lâchons vite le bœuf pour revenir à nos moutons.

Donc Auguste a accepté de trinquer avec le nouveau chauffeur. Il lui a offert une gourde de marc et il s’en est enfilé une rasade.

— C’était terriblement fort, monsieur le commissaire. J’ai fait la grimace, bon Dieu ! Ça me rôtissait le corgnolon… Et puis, d’un seul coup, j’ai eu une vapeur chaude plein le crâne… Il m’a semblé que mon cerveau devenait en bois. J’ai essayé de me retenir après ma voiture… J’ai pas pu… Je regardais mes doigts glisser sur la carrosserie. Y avait pas moyen de les refermer… Je suis tombé et ça a été comme si ma pauvre tête explosait…

Il termine la narration de son aventure en me disant comment, en fin de journée, des mécanos travaillant dans le garage ont été alertés par ses plaintes… Il râlait et il s’en était fallu d’un quart de poil qu’il ne claque dans le coffre de la bagnole où l’avait enfermé Stumer…

Deux jours d’hôpital furent nécessaires pour le remettre sur pied.

— Voilà toute l’histoire, monsieur le commissaire. On va l’arrêter un jour, oui, ce salaud-là ?

— Non, dis-je, car il est mort…

— Hein ?

— Une balle dans la nuque, vous voilà vengé !

Il est éberlué…

— Mince, alors ! murmure-t-il. Remarquez, j’en demandais pas tant… Simplement, ça m’aurait fait plaisir de lui filer une toise. Enfin, puisqu’il est cané…

— Vous avez reconnu sa photographie facilement ?

— Pour ça, oui ! Du premier coup… Et le général aussi.

— Parlons un peu de votre job. Vous étiez attaché au général ?