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— Bonjour commissaire, fit-il sans le sourire. On a déjà vu des retours de congés plus gais…

Sa voix vibrait d'une assurance toute modérée.

— Annonce !

— OK. La porte, derrière l'autel de gauche, a été forcée au pied-de-biche. D'après le curé, c'est la deuxième fois qu'une effraction a lieu, la dernière, sans conséquences, remontant au trimestre dernier. Les techniciens de la scientifique ont relevé des empreintes un peu partout. L'enquête de proximité est en cours, des inspecteurs interrogent les habitants des alentours.

— Parle-moi de la victime.

— Femme blanche, une cinquantaine d'années. Aucune trace apparente de blessures ou de sévices. Les chevilles sont encore entravées, mais les mains ont été libérées de leur corde, abandonnée sur le sol. Les yeux étaient bandés avec du sparadrap. Le prêtre a retrouvé le corps agenouillé, à huit heures trente-cinq ce matin, dans la loge des pénitents du confessionnal. Le crâne rasé était couvert de… papillons.

Je fronçai les sourcils.

— Des papillons ? Morts ?

— Vivants. Sept gros papillons à longues antennes, avec… le dessin d'une tête de mort sur l'abdomen. Quand on a essayé de les attraper au filet, ils ont… crié. Un couinement terrifiant.

— Où sont-ils ?

— Partis pour le labo. La lampe à ultraviolets a révélé, sur la tête de la victime, des taches blanchâtres, invisibles à l'œil nu, expliquant peut-être la présence de ces bestioles. L'entomologiste nous en dira plus…

— D'accord, d'accord, d'accord… Un corps nu, rasé, les chevilles entravées, mais pas les mains. Des insectes sur le crâne. Le tout dans une église. Du grand classique quoi !

— On ne peut pas plus classique, en effet… Pour en revenir au confessionnal, la partie centrale était ouverte, contrairement à la veille. Après sa découverte, le curé a immédiatement prévenu la police d'Issy, qui a débarqué quinze minutes plus tard, talonnée par nos équipes.

Le légiste sortit du lieu de pardon. Van de Veld avait tout du militaire, l'intelligence en plus. Treillis, barbe d'une rigueur mathématique et un beau visage de roche dénué d'expression.

— On y va pour le topo, commissaire ?

Après une poignée de mains, il m'invita à le suivre. Le cadavre m'apparut de dos, recroquevillé, tassé par le poids des chairs meurtries. La tête chauve et les avant-bras s'écrasaient sur un prie-Dieu, tandis que l'index de la main droite, fermée, pointait sur le côté. Sous le tranchant d'un halogène à batterie, le crâne immaculé luisait.

Van de Veld se faufila dans la loge.

— On peut ordonner la levée du corps. Sans autopsie, impossible de déterminer la cause de la mort. Nul hématome ou blessure. Aucun écoulement nasal ou buccal qui pourrait impliquer un décès par asphyxie. Le visage n'est pas cyanosé, pas de pétéchies, donc, a priori, pas d'étranglement.

De l'arrière, j'examinai la toile humaine avec l'œil d'un étrange passionné. Oubliés les trains miniatures et les sensibleries de comptoir. La machine Sharko, boulonnée d'insensibilité, reprenait du service.

— Des rapports sexuels ?

— À première vue, non. Par contre, la victime a perdu énormément d'eau. Ces auréoles, sur le sol et le prie-Dieu, témoignent d'une forte sudation.

— On ne sue plus après la mort, je me trompe ?

— Non. La femme a été amenée ici vivante. Observation confirmée par le fait que le corps n'a pas été déplacé. Elle est morte dans ce confessionnal sans que je comprenne de quoi. Et ça m'énerve !

— Je peux ?

Il me laissa la place dans le confinement. Les sourcils, les aisselles et les poils pubiens de la victime manquaient aussi à l'appel.

— Les techniciens ont ôté l'adhésif sur ses yeux ?

— Oui. Du chatterton, posé par-dessus les paupières. Vous verrez sur les épreuves photographiques.

Le médecin poursuivit, alors que mon regard suivait la direction du doigt mort.

— Dents saines et soignées, physique propre, mais ongles longs, y compris ceux des orteils. Quatre d'entre eux, à la main droite, sont cassés ou arrachés. Ce qui pourrait témoigner d'un enfermement forcé… et prolongé…

Je me penchai par-dessus le prie-Dieu, les narines attentives.

— Oui, anticipa le légiste, on sent des odeurs de parfum ou de crème, présentes sur la totalité de la peau, même le crâne. Dans la bouche et aux commissures des lèvres, j'ai relevé les traces d'un composé sucré, foncé, peut-être du miel. Sans doute ce qui a retenu ces papillons. Les analyses sanguines et du contenu stomacal confirmeront…

La lumière crue de l'halogène me cisaillait les pupilles. Plus j'emmagasinais d'informations, plus le trouble m'envahissait.

De quoi était morte cette femme ?

— Une idée sur l'heure du décès ?

— D'après la rigidité cadavérique et la température rectale, je dirais au beau milieu de la nuit, entre deux et quatre heures du matin… L'autopsie précisera…

Van de Veld ôta ses gants de latex, rabattit le dessus de sa mallette lourde d'instruments tranchants avant de s'enfiler une demi-bouteille d'eau.

Je me tournai vers la chevelure blonde de Sibersky.

— Les chevilles sont ligotées, contrairement aux mains, volontairement déliées. L'index pointe cette partie du confessionnal. Le technicien chargé des relevés n'a rien décelé ?

— Pas à ce que je sache, non. Ni empreintes, ni marques particulières.

J'ordonnai aux croque-morts d'emmener le cadavre pour l'institut médico-légal. Après leur départ, Sibersky plongea les mains dans les poches de son jean.

— Alors commissaire ? Vous en pensez quoi ?

— Je me pose surtout des questions. Pourquoi ici ? Pourquoi vivante ? Pourquoi rasée et nue ?

Le jeune lieutenant m'exposa ses impressions à chaud.

— La victime se trouvait dans la loge du pénitent. L'assassin s'est, lui, rendu dans la centrale, celle du confesseur, puisque la porte était ouverte. Tout, dans la mise en scène, indique donc le rituel de la confession. Le pécheur d'un côté, agenouillé, le confesseur de l'autre.

— Sauf que notre pécheresse n'est pas venue de son plein gré.

— Ça, c'est clair ! Ses membres entravés prouvent qu'on l'a forcée à une certaine forme de soumission, peut-être physique, un effort ayant pu générer toute cette sueur, ou alors simplement auditive et verbale.

— Un truc du genre Parle-moi, confesse tes péchés et Dieu te pardonnera…

— Exactement. Quant à la nudité… Voir une femme nue, attachée, agenouillée et réclamant son pardon, n'est-ce pas le symbole suprême de la domination, du rapport maître-esclave ?

Je clignai des yeux.

— Une cause possible, en effet, mais…

J'embrassai l'espace, bras écartés.

— … Regarde autour de toi. L'église forme un même bloc, orienté vers une mission unique : la prière, le don de soi, la foi. Tu vois, je n'y connais pas grand-chose en religion, à peine si j'ai lu la Bible, mais je sais qu'à la Genèse, Adam et Ève étaient nus, aussi nus que notre victime. La pureté des premiers jours… La nudité originelle, celle de toutes les créatures de Dieu…

Sibersky émit un drôle de sifflement.

— Oh là ! Vous voulez me faire comprendre quoi, là ?

— Juste que, dans une scène de crime, l'environnement peut justifier les actes. Peut-être l'a-t-il rasée et déshabillée non pour répondre à un fantasme quelconque, mais dans l'unique but de l'amener ici, afin de la préparer à… une sorte de cérémonie. Cherchait-il à l'offrir au jugement de Dieu dans sa forme primitive, dans cette nudité absolue qui replace tous les humains au même rang ?