Выбрать главу

— C’est mon mari…

Elle s’est laissée tomber sur le rebord du lit. Je n’avais pas de mouchoir pour essuyer les gouttes de sang sur sa joue.

— Je me suis disputée avec mon mari…

Elle s’était allongée à côté de moi. Les doigts boudinés de Villecourt, la main courte et épaisse frappant son visage… J’avais envie de vomir, à cette pensée.

— C’est la dernière fois que je me dispute avec lui… Maintenant, nous allons partir.

— Partir ?

— Oui. Toi et moi. J’ai une voiture, en bas.

— Mais partir où ?

— Regarde… J’ai pris le diamant…

Elle passait une main sous son corsage et me montrait le diamant que retenait une chaîne très fine, autour de son cou.

— Avec ça, nous n’aurons pas de problème d’argent…

Elle a ôté la chaîne de son cou et me l’a glissée dans la main.

— Garde-le.

Je l’ai posé sur la table de nuit. Ce diamant me faisait peur, comme la balafre sanglante sur sa joue.

— Il est à nous maintenant, a dit Sylvia.

— Tu crois vraiment qu’il faut le prendre ?

Elle n’avait pas l’air de m’entendre.

— Jourdan et l’autre vont demander des comptes à mon mari… Ils ne le lâcheront pas tant qu’il n’aura pas rendu ce diamant…

Elle parlait à voix basse comme si quelqu’un nous écoutait derrière la porte.

— Et il ne pourra jamais le rendre… Ils le lui feront payer cher… Ça lui apprendra d’avoir de mauvaises fréquentations…

Elle avait rapproché son visage du mien et m’avait dit cette dernière phrase à l’oreille. Elle m’a regardé droit dans les yeux.

— Et je serai veuve…

Nous avons été secoués, à cet instant-là, par un fou rire nerveux. Puis elle s’est encore rapprochée de moi et elle a éteint la lampe de chevet.

La voiture était garée devant l’hôtel sous les platanes, là où les joueurs poursuivaient leurs interminables parties de pétanque. Mais ils n’étaient plus là et ils avaient éteint les ampoules électriques dans les arbres. Elle voulait conduire. Elle s’est assise au volant et moi à côté d’elle. Une valise était posée, de travers, sur la banquette arrière.

Une dernière fois, nous avons suivi le quai de La Varenne et dans mon souvenir la voiture roule au ralenti. J’ai entrevu les peupliers de la petite île, au milieu de la Marne, avec ses herbes hautes, son portique et sa balançoire, que nous rejoignions à la nage, il y a si longtemps, avant que l’eau ne soit empoisonnée. Là-bas, sur l’autre rive, la masse sombre du coteau de Chennevières. Une dernière fois, les pavillons en meulière ont défilé, les villas normandes, les chalets, les bungalows construits au début du siècle avec l’argent des filles… Et leurs jardins où l’on a planté un tilleul. Le grand hangar du Cercle des Sports de la Marne. La grille et le parc du Château des Îles Jochem…

Avant de tourner à droite, une dernière lois le Beach de La Varenne, là où tout a commencé, son plongeoir, ses cabines de bain, sa pergola sous la lune, ce décor qui, l’été, paraissait si féerique dans notre enfance et qui, cette nuit, est silencieux et déserté pour toujours.

C’est à partir de ce moment de notre vie que nous avons éprouvé de l’angoisse, un sentiment diffus de culpabilité et la certitude que nous devions fuir quelque chose sans très bien savoir quoi. Cette fuite nous aura entraînés dans des lieux bien divers avant qu’elle ne s’achève ici, à Nice.

Quand Sylvia était allongée à côté de moi, je ne pouvais m’empêcher de prendre le diamant entre mes doigts, ou de le contempler qui brillait sur sa peau et de me dire qu’il nous portait malheur. Mais non. D’autres avant nous s’étaient battus pour lui, d’autres après nous le garderaient un moment à leur cou et à leur doigt et il traverserait les siècles, dur et indifférent au temps qui passe et aux morts qu’il laissait derrière lui. Non. Notre angoisse ne venait pas du contact de cette pierre froide aux reflets bleus mais, sans doute, de la vie elle-même.

Pourtant, au début, juste après avoir quitté La Varenne, nous avons connu une brève période de repos et de bien-être. À La Baule, au mois d’août. Nous avions loué, par une agence de l’avenue des Lilas, une chambre en bordure du golf miniature. Jusque vers minuit, les éclats de voix et de rire des joueurs nous berçaient. Nous allions boire un verre, sans attirer l’attention de personne à l’une des tables, sous les pins, devant le comptoir au toit d’ardoises vertes où l’on distribuait les cannes et les balles blanches de golf.

Il faisait très chaud cet été-là et nous avions la certitude que l’on ne nous retrouverait jamais ici. L’après-midi, nous suivions le remblai et nous repérions l’endroit de la plage où la foule était la plus dense. Alors, nous descendions sur cette plage, à la recherche d’un tout petit espace libre pour nous étendre sur nos serviettes de bain. Jamais nous n’avons été aussi heureux qu’à ces moments-là, perdus dans la foule au parfum d’ambre solaire. Les enfants autour de nous bâtissaient leurs châteaux de sable et les marchands ambulants enjambaient les corps et proposaient leurs crèmes glacées. Nous étions comme tout le monde, rien ne nous distinguait des autres, ces dimanches d’août.