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Deux mauvais se retournent. En lesquels je reconnais les rouleurs de bobs du Bar Aka. Ceux qui s’expliquaient sur le gazon de la piste de dés lors de ma première visite à l’établissement.

— On ne bouge pas, on met ses mains sur sa nuque et on attend un complément d’indormation ! enjoins-je.

Je t’ai dit que leur chignole se trouve en bordure de trottoir ? Non ? Ben j’ te le dis ! Ça simplifie la manœuvre, hein ? Bérurier s’assied sur le capot, tourné face au pare-brise. Derrière nous, une meute mécanique aboie de tous ses klaxons, malgré l’œuvre du cher Dubois, afin de réclamer le passage. Béru leur fait « poupougne » de la main, le pouce s’opposant aux autres doigts, tu sais, comme ça ? Ce qui lui vaut des appellations non contrôlées de « sale con », « tête de nœud », « figure de fesses » (ce qui est presque une redite par rapport à la précédente invective), « enc… de frais », « gueule de paf » (autre synonyme), « goret pourri », « cul en fleur », « baudruche », « tas de merde », « sac à vache », « gros dégueulasse », « trogne de con », « bouille à claques », et je vais te dire : « capitaliste ».

Ce que je pensais pas de te signaler, mon Lecteur Aphrodisiaque, c’est que les deux flambeurs poussent des bobines pas comestibles. L’air ronchon, oh ! là là ! comme tu peux pas t’imaginer.

— Qu’est-ce y vous prend ? demande l’un deux.

A son chevrotement, je le catalogue barbiquet de bas étage. Merdurier de série pour bouches de métro. Je lui mets un féroce coup de crosse au soubassement du cigare. Il part du pif en avant, le cerveau crépitant d’étincelles rouges et dorées.

— Ça, je dis. J’ai mes nerfs. S’agit pas de me faire grimper en mayonnaise, je serais capable de vous assaisonner tous les deux en pleine rue, dans votre calèche, comme ce pauvre Henri IV qui a tant fait pour les maisons Liebig et Royco.

— Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? pleurniche le chauffeur.

— La courette, mon chéri, et j’ai horreur.

— On vous suivait, nous ?

Petit saint, va ! Faudrait l’empailler pour le blottir dans une châsse, qu’y prenne pas froid.

Il a droit à ma bénédiction au goupillon à répétition, lui aussi. Comme ça, pas de jaloux, chacun sa taupinière, ces messieurs vont pouvoir interpréter bobosses.

— Y en a-t-il encore un dans la salle qui ose prétendre qu’il ne me suivait pas ?

Cette fois, silence. Ils se massent l’arrière du heaume en émettant des petites plaintes nasales qui te font penser à un chenil au moment qu’on apporte la bouffe.

— Bon, puisque vous admettez que vous me filochiez, dites-moi pourquoi, les gars ? On va pas laisser s’accentuer ce début de brouille, ce serait dommage pour vos pedigrees.

— Ben, on était inquiets, bredouille le premier sonné.

— Pourquoi ? Pour qui ?

— Deux fois qu’on vous voit entrer au Bar Aka pendant qu’on s’y trouve, on s’est demandé si vous nous en aviez après. Alors, on cherchait à en savoir un peu plus sur vous, faut comprendre… On vous situait policier, au départ, et après, on a eu des doutes. Bref, dans un sens ou dans l’autre, on pige pas ce qu’on a pu vous faire qui vous offense.

Deux larves. Des rouleurs bidons. Terreurs en peau de lapin mitée. Juste bons à faire de l’esclandre dans un bistrot de banlieue pour joueurs de belote.

— Aboulez-moi vos fafs, et surtout pas de mouvements pernicieux car j’aurais trente mille fois le temps de vous fourrer avant que vous puissiez dégainer la moindre rapière…

Piteux, ils me proposent des pièces d’identité déjà fatiguées d’avoir été attribuées à des locdus de cet acabit. Des noms passe-partout : René Lemoine, Gaston Blanc. L’un, soi-disant plombier-zingueur, l’autre chauffeur commercial.

Je balance leurs brèmes par la portière, après les avoir déchirées, comme s’il s’agissait de papiers ayant enveloppé du pâté de foie.

Une carte d’identité déchirée, tu peux pas savoir l’effet psychologique sur son propriétaire. Les deux tordus regardent voleter ces papillons avec des yeux ravagés par la débine.

— Aôoooo ! que fait l’un.

— Hhhhhhmmmm ! dit l’autre.

— Pourquoi me suiviez-vous ?

— Mais on vous l’a dit, poupour savoir… Essayez de pipiger…

— C’est donc que vous avez la conscience radieuse comme une canalisation de chiottes ?

— Mais nonon…

On toque à la vitre, c’est Bérurier qui s’impatiente.

— Salut, la compagnie ! jette le Jovial. Alors, ça s’esplique ou ça s’esplique pas ?

— On n’a rien à dire ! assure le chauffeur.

— C’est ma partie, répond le Gros d’un ton inquiétant.

— Quoi donc ?

— Les mecs qu’on rien à dire. C’est comme les bouteilles de chianti, les gars. On croit qu’elles sont vides, mais y en reste encore. Et moi, j’sus doué pour faire sortir ce qui reste. Je les entreprends ? me demande-t-il.

— Pourquoi pas ?

— Je vas pratiquer si tellement en douceur que les gens qui nous passent contre s’apercevront même pas qu’on est en froid. Et les deux à la fois. Je parie qu’y z’ont jamais vu un doublé, ces pantins. Ils font un peu branques, dans leur genre, tu n’ trouves pas ?

— Pas mal, oui.

Alors, fectivement, Lord Béruroche se met à charbonner, et c’est une pure merveille de l’artisanat passageatabesque. Un tout superbe reliquat de ce qui se faisait du temps que la police poliçait vraiment d’après les belles vieilles techniques à papa.

Il place sa dextre sur la tempe droite du passager, sa senestre sur la tempe gauche du conducteur, et il fait bravo. Bong, bong, bong, bong, bong, bong, font les crânes entrechoqués de ces messieurs.

Ça se déboulonne outrancièrement dans leur magasin d’accessoires. Les écrous cèdent, se répandent. Quand Mastar les lâche, ils dodelinent en cadence avant de partir en avant.

Béru les cramponne alors par leur col de limouille pour les redresser. Il passe ses deux gentilles paluches par-dessus les épaules de nos amis, et enfonce deux de ses doigts en crochet dans les narines de chacune des gouapes. Puis il tire comme s’il entendait arracher leur appendice.

— Agrgnffffssslouffffff ! font les deux conards.

En chœur !

— C’est pas ce qu’on vous demande, répond Béru en accentuant sa traction à plusieurs reprises, puis il les lâche. J’en connais de beaucoup plus baths, m’assure-t-il, à pratiquer les jours de pluie, quand on ne peut pas sortir. Pas besoin d’avoir tous ses aises pour manipuler un gugussman, à preuve. Bon, qu’est-ce y racontent, ces endoffés ? Vous y allez de la menteuse, camarades, ou je poursuis ?

Le chauffeur, c’est le plus jeune. Il a des tifs frisés, le teint basané, un vague côté gonzesse, il se met à larmoyer.

— Mais on n’a rien à dire ! On n’a rien fait de mal ! Des bricoles, sans plus, on roulotte un peu dans le quartier, c’est pas si grave de piquer une valoche dans une tire, de nos jours, ou la tire elle-même, pour lui prélever ses boudins et sa roue de secours. Quand on pense que d’autres vont braquer les banques et se gênent pas pour défourailler à tout va. Nous autres, vous pouvez nous fouiller, on n’a pas la moindre arme ! Jamais l’idée viendrait de nous charger, on aurait trop peur de provoquer un accident…

— C’est vrai, renchérit l’autre, un demi-brun-pas-si-blond-que-ça à figure grêlée, c’est vrai, pourquoi vous en prendre à nous de cette manière ?

Moi, pendant cette basse comédie pour patronage de grande banlieue, je ne puis m’empêcher de réfléchir. Quand t’es intellectuel, t’intellectes, y a pas. C’est bon gré mal gré, ça, la gamberge. Pas négociable, non endigable. Elle te résurge des profondeurs à tout moment, à tout propos… Et je pense ’xactement ainsi : « V’là une affaire qui a démarré en coup de tonnerre, avec l’histoire de l’espion sur le retour, piégé dans une bourgeoise maison de banlieue auprès d’une pute assassinée. On pouvait croire aux grandes envolées, pleines d’incidences internationales, de ceci cela carabinés. Or, il se passe quoi ? Nous gravitons depuis le début parmi des putasses, des barmaids et des barbiquets sans couleurs. Au lieu de la bathouse épopée, on en est à discutailler avec des roulottiers chiareux de trouille. Merde, c’est indigne de notre pedigree, non ? Ou alors, ça veut dire qu’un maléfice de médiocrité s’attache aux officines de police privée. Que malgré tous les déploiements, toutes les cautions, elles demeurent « officines » !