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Un silence léger comme un duvet de pissenlit dans l’air matinal (ça fait bien dans un livre et ça ne me coûte rien) succède à ma brève communication.

Je croise mes mains énergiques et investigateuses devant moi et me mets à contempler mon vis-à-vis d’un œil nouveau. Il fait, effectivement, très nazi de la belle époque qu’on t’arrachait les burnes pour en faire du savon aux petits Allemands bien propres et que je sais encore des montres en or teutonnes faites avec des dents en or qui broyaient casher.

— Vous venez donc m’exposer un problème délicat, dis-je pour en terminer avec nos préambulades, mais en conservant l’incognito ?

— Exactement.

— Eh bien, je vous écoute.

Il gratte sa chevelure raide comme de la paille à coiffer les si bioutifoules maisons Northwood.

— Je vous préviens que c’est à la fois tragique et rocambolesque.

Je m’abstiens de lui répondre une culterie du style « J’y compte bien », ou « Ce n’est pas fait pour me déplaire ». Pas désarçonner un gus en instance de confidence, que sinon il recroqueville de l’épanchement, se colimaçonne l’élan, comprends-tu, Lecteur Motorisé ? Je le mitonne de la prunelle, l’ami Kimkonssern. L’avantage de connaître un secret que ton terlocuteur croit que tu ignores est incalculable. Depuis l’invention des chiffres romains par Jules César, on n’a rien découvert de plus bandant.

— Vous avez entendu parler de Stéphane Lhurma ? me demande-t-il.

— Le fabricant d’appareils sanitaires ? Concurrent de mes joyeux camarades, les duettistes Jacob et Delafon ?

— Donc, vous connaissez, enregistre l’Allemand.

Je connais, et suis surpris. Qu’est-ce que le fameux équipeur de salles de bains peut bien avoir à faire avec un ancien espion allemand expatrié ? Tu vois, Lecteur Sodomisé, dans mon job, ça reste intéressant non-stop (ou nonne-stop, comme disent les carmélites en vacances) ; t’imagines avoir épuisé le filon scabreux des stupéfiances, mais ça continue de pleuvre. Blasé, pas blasé, faut que tu passes à la moulinette de la surprenance. Un vrai cadeau, tout beurre, ruban doré, poil au paf !

Vu que je silence, il est contraint d’enchaîner, du moment qu’il représente la partie prenante. Quand t’entres dans un magasin, c’est pas à la vendeuse de causer en premier, mais à ta pomme.

— Stéphane est un vieil ami. Nous fûmes condisciples, jadis, en Suisse, au Rosay.

— Ça crée des liens, veux-je bien convenir, manière d’ouatiner son entonnoir à confidences.

— J’ai vécu longtemps à l’étranger.

Il toussote. Son regard couleur d’huîtres des mers du Sud se détourne de ma personne malgré la force attractive qui la caractérise.

— Stéphane Lhurma a fait récemment un voyage en Am… au pays que j’habite et le hasard a voulu que nous nous rencontrions dans un restaurant. Quelle émotion ! Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Bien entendu, mon ami m’a raconté sa vie. Plutôt sinistre malgré sa réussite sociale. Il est veuf, et son unique enfant s’est tué dans un accident. Lhurma m’a invité en France, j’ai accepté.

Il est bizarre, l’accent de Hans Kimkonssern. Voilà un pèlerin qui parle parfaitement le français. Au début il devait avoir l’accent germain, mais à vivre dans un pays espagnolisant, celui-ci s’est assoupli, arrondi. L’érosion latine l’a poli.

— J’ai débarqué chez Stéphane voici quatre jours. Il habite une confortable maison de La Celle-Saint-Cloud. Toutefois, cette propriété n’est pas en rapport avec sa situation. C’est une demeure « Ile-de-France », de six pièces, qu’une seule domestique suffit à entretenir. La vieille maison de famille, si vous voyez ? D’ailleurs, mon ami y est né.

Kimkonssern raconte bien. Campe doucement la situation, plante le décor. Maintenant, il va pouvoir éjaculer sa petite historiette.

— J’ai passé trois jours de vraie détente en compagnie de mon vieux camarade. Nous étions restés trente-cinq ans sans nous voir et nous avions pas mal de choses à nous raconter… Et puis, hier après-midi, mon ami a dû s’absenter, appelé à Amsterdam pour ses affaires.

Hans Kimkonssern soupire et son regard blanchit un peu plus mieux.

— En fin d’après-midi, alors que je lisais des illustrés sur la terrasse, un scotch à portée de la main, on a sonné à la grille. La bonne a introduit une superbe fille, rousse aux yeux verts, habillée de façon un peu tapageuse. Elle m’a dit qu’elle se prénommait Julie et qu’elle représentait une « petite surprise pour moi » dépêchée par mon ami Lhurma. Il m’a fallu un moment pour comprendre et j’ai dû avoir l’air stupide. En fait, cette personne appartenait à une maison spécialisée dans la galanterie de luxe, et ce sacré Stéphane l’avait « commandée » à mon intention, pour distraire ma solitude pendant son absence, car je lui avais précisé que mes appétits sexuels restaient grands malgré mon âge.

— Délicate attention, fais-je, vous possédez des amis exquis, cher monsieur.

Il a un piètre sourire.

— Il n’empêche que ce genre de présent est quelque peu embarrassant. Non pas que je dédaigne le beau sexe, mais enfin, quand une fille vient se proposer de but en blanc, cela désoriente, n’est-ce pas ?

— Un moment de honte est vite passé, récité-je, en parfait Français moyen disposant d’un solide stock de lieux communs légués par ses aïeux.

Kimkonssern a une moue précieuse.

— La ravissante Julie a su, évidemment, me faire surmonter mon désarroi. Nous avons commencé par bavarder, en amis, ensuite ç’a été le dîner aux chandelles et, mon Dieu, les choses ont pris la tournure qu’elles devaient prendre.

— C’était chouette ? demandé-je étourdiment.

Sur le cadran de mon calendrier électronique, une phrase rageuse déferle :

« Surveillez votre langage, San-Antonio ! »

Le vieux Croqueminouche qui joue les pions ! Je pressens que ça ne va pas faire long avant que je flanque notre relais en rideau.

— Une grande technicienne, me répond l’Allemand, non formalisé. J’ai passé une nuit de grande qualité.

Bon, je catimine un chouille pour te livrer ma façon de penser, ô Lecteur Variqueux. Je sens venir la chute de l’aventure comme une garde-barrière cardiaque sent venir le Mistral pendant qu’elle compte ses gouttes de digitaline. A mon avis, la bath rouquine a engourdi l’artiche de Hans Kimkonssern, plus quelques bibelots précieux à son hôte. Vu sa situation en porte à faux, l’ancien nazi ne peut porter le suif, alors il vient me gilet-pleurer pour que je retrouve en loucedé sa pétroleuse. Décidément, j’ai eu tort de bandocher trop vite. En fait, mon premier client en qualité de « private » ne représente qu’une affaire vomique et merdouillarde. C’est fretaille, galoupe mineure, entourloupe touristique. Hübsch Mademoiselle, Gross Pariss, arnaquemitch, schön pigeon !

Y a pas suffi que je précise sur ma bathouze plaque que la Paris Detective Agency s’occupe pas des cornards. Reste tout de même les délits glandeux à détourner de ma tour de contrôle.

— Et alors ? exhalé-je dans un soupir déjà consterné.

L’Allemand accroche les deux trous bleus de ses yeux à mon regard proéminent de mépris, comme l’écrivait Alfred Proust dans « La Trouvaille du Temps Gagné » qui lui valut, je crois bon de le rappeler, le Prix Goncourt avec palme et une boîte de biscuits nantais.

— Alors ? répète Kimkonssern.

— Oui, alors ?

— Alors ce matin, tandis que je dormais, le téléphone a sonné. Le directeur de l’hôtel Van de Schishoon d’Amsterdam nous informait du décès de mon cher Stéphane Lhurma dans son établissement. Crise cardiaque au milieu de la nuit. Il a eu un malaise, il a sonné, mais quand le garçon d’étage s’est présenté, il était déjà mort, et le docteur appelé d’urgence npu que constater le décès.