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Pour un ancien crack du contre-espionnage, je le trouve un peu désemparé, Herr Hans. Le temps ne pardonne pas. Un boxeur sans ring devient vite une chiffe. Il me fait un peu pitié, Kimkonssern. Et toi, Lecteur Sagace, tu te dis « Non mais, il coupe dans les vannes de ce requin, le Sana. Il croit à l’histoire de la fille égorgée près de lui dans son sommeil ! Il a du caramel sous la coiffe, ou quoi ? ».

Eh bien, je vais t’en boucher une surface grande comme la place de la Concorde : je ne mets pas en doute sa version des faits. Il a un côté piégé, mon client, qui ne doit pas tromper. On sent le bonhomme coincé dans un collimateur épouvantable. Il a mis le doigt dedans sans s’en apercevoir.

On se porte un toast muet. Son regard décoloré adhère à ma personne. Il n’est pas suppliant, mais direct. C’est le regard d’un zig dépassé, mais qui est prêt à subir son destin s’il n’y a vraiment pas moyen de faire autrement. Seulement, s’il y a moyen de faire autrement, il est pour. A bloc !

— J’ai de l’argent, articule-t-il.

Je reste impavide.

— Beaucoup ! ajoute Kimkonssern.

Mon rôle voudrait que je me montre intéressé voire un tantisoit cupide. Le hic, c’est que la fraîche, tu le sais, ô Lecteur de mes fesses, est une denrée secondaire pour moi. J’appartiens à ceux qui en veulent suffisamment, pas à ceux qui en exigent beaucoup.

— Ça peut aider, conviens-je.

Hans Kimkonssern déboutonne sa chemise et me montre une ceinture de toile, à poches multiples.

— Deux cent mille dollars ! il annonce.

Je fais un rapide calcul. Malgré qu’il soit en baisse, le petit « s » barré, voilà qui représente plus d’une centaine d’anciens millions.

— On a sûrement moins froid, avec ce petit matelas autour du ventre.

— Il faut me tirer de là, monsieur Antonio. Je suis innocent du meurtre de cette fille !

— Comment imaginez-vous votre salut, monsieur Kimkonssern ?

— D’urgence, j’ai besoin d’un passeport et d’une place d’avion pour l’Amérique du Sud.

— Vous savez que l’extradition existe avec l’Uruguay pour les droits communs ?

— Peu importe. Une fois là-bas, je me débrouillerai, j’ai des relations importantes.

Je secoue la tête.

— Hélas, vous confondez mon agence avec une officine pour malfrats. Le faux document ne figure pas à notre catalogue.

Il paraît se voûter un peu.

Murmure : « Oui, bien sûr… »

Et il semble tout à coup infiniment misérable.

— Ainsi vous ne pouvez rien pour moi ?

— Je n’ai pas dit cela.

Je presse un timbre (à trois francs, mais en vente chez les quincailliers, celui-là). Hans Kimkonssern a redressé le chef. L’espoir est un soleil. Le voici qui sort de l’ombre de l’angoisse qui me frétille du regard en attendant ma bouée.

— L’adresse de Lhurma à La Celle-Saint-Cloud ?

Il me la refile. Je la note. Mathias frappe à la porte. Je lui dis d’entrer et lui désigne l’ancien contre-espion.

— Monsieur s’est réveillé ce matin au côté d’une demoiselle égorgée. Il pense que c’est une blague qu’on lui a faite. J’aimerais cependant que tu procèdes à un examen très poussé de ses mains.

Kimkonssern a un léger haut-le-corps. Mais il suit Mathias sans difficultés.

La porte ne s’est pas refermée sur leurs talons que le bigoche tinte comme un fou. C’est le Vieux.

— Eh bien, dites donc, pour une première affaire, voilà qui promet. Que comptez-vous faire, San-Antonio ?

Je baisse délibérément la manette du disjoncteur.

— Le nécessaire, monsieur, réponds-je.

Et je raccroche.

Manière qu’il comprenne bien que lorsqu’on est chef d’une agence privée, les z’hauts fonctionnaires de son acabit n’ont plus le droit de vous tenir la zézette quand vous allez faire pipi.

3

Et même s’il prenait un coup de sang, qu’est-ce tu voudrais qu’il fasse, mon ex-dirluche, puisqu’il est « EX » ? Y aurait divergences de vues, et la Paris Detective éclaterait ; tu mords, d’où tu es, le scandale, dis, Lecteur Scabreux ? T’entends le mignon concert des journaux, à propos des polices parallèles et autres ? Sous la baguette du Canard, avec Minute en solo de flûte et l’Huma à la batterie ! Ce serait sa démission anticipée, au Vieux Melon.

Faut bien que je mette les choses au poing, d’entrée de jeu, sinon il s’occupera vite de tout, le Tondu. Viendra remplir les encriers et nettoyer les chiches. Regardera si nos ongles sont propres et la couleur de nos urines. Les commandeurs de son style, c’est vérolards et consort, investisseurs, violeurs, gardes-chiourme. Ils pénètrent dans ta personnalité comme dans une cabine téléphonique. Terrain conquis. T’as plus qu’à dire « yes, sir », le bout des doigts plaqué sur la couture du futal, le regard perdu dans l’infini de la soumission.

Content de mon coup de force, je me rends au labo. Pièce claire, encombrée d’un matériel dingue que si tu peux me citer le nom de trois des objets qui s’y trouvent, t’auras droit à un lavement à la lavande des Alpes.

Mathias a ses yeux de lapin albinos posés sur les lentilles d’un microscope bi-oculaire.

Il examine les avant-bras velus d’Hans Kimkonssern.

— Alors ? guilleré-je.

— Négatif ! répond Mathias en arrachant son regard des œilletons.

Il a les yeux tout pétris d’attention, comme l’écrivait Maurice Druon dans son essai (non transformé) sur la culture du partisan domestique en Angleterre.

— Pas la moindre éclaboussure de sang sur ses doigts ou ses ongles. En revanche, j’en ai découvert sur ses cheveux, derrière sa tête, ce qui confirmerait qu’il tournait le dos à sa compagne de lit pendant le meurtre.

— En ce cas, j’ai le plaisir de vous confirmer mon acceptation, monsieur Kimkonssern. Si vous voulez me suivre…

Il rabat ses manches. Je les lui laisse boutonner et l’entraîne dans le hall de l’agency. Maryse, derrière un bureau nickelé, retape une page du Point consacrée au cancer de la gorge chez les fumeurs pour se donner l’air affairé.

Je lui passe outre et vais ouvrir une porte sur laquelle est écrit archives, en caractères dorés d’un très joli effet. Une petite pièce garnie de rayonnages bourrés de dossiers neufs. Le fond pivote, exactement comme la bibliothèque du château hanté de Lord Branlburn dans « Le Vampire suce comme un dieu ». Il découvre une chambre élégante, style anglais.

— Vous allez vous installer ici pour quelque temps, monsieur Kimkonssern. La salle de bains se trouve là, vous voyez. Et dans le petit dressing attenant, une porte donne sur le palier d’un autre immeuble. Vous pourrez écouter la radio, regarder la télévision, lire les revues qui se trouvent sur la commode. Mes employées s’occuperont de votre nourriture et aussi de vous fournir les objets dont vous pourriez avoir besoin. Je vous tiendrai au courant du développement de mon enquête.

Je m’apprête à me retirer, mais il m’empoigne par une aile.

— Et… heu… les conditions ?

— Dix mille francs en cas d’échec, cent mille en cas de réussite, correct ?

Il caresse son menton et murmure :

— En cas de réussite, je vous donnerai bien davantage.