Выбрать главу

« Nous devons retourner à Anniston, vite. Je n’arrive plus à capter Billy. J’ai perdu la connexion.

— Et avec Abra ? demanda Dave. Avec Abra  ? »

Dan ne voulait pas le regarder — la voix de Dave était étranglée par l’angoisse — mais il s’y obligea. « Avec elle aussi. Et avec la femme au chapeau. Elles ont toutes les deux disparu du radar.

— Et ça veut dire quoi ? » Dave agrippa le T-shirt de Dan à deux mains. « Ça veut dire quoi ?

— Je ne sais pas. »

C’était la vérité. Mais il avait peur de savoir.

CHAPITRE 14

SKUNK

1

Viens me voir, Papa, avait dit Barry le Noiche. Penche-toi.

C’était juste après que la Piquouse avait mis le premier DVD porno acheté à la boutique de Sidewinder. Skunk était allé voir Barry et avait même tenu la main du mourant pendant son cycle suivant. Et à son retour…

Écoute-moi bien. Elle était bien là, elle regardait. Mais quand le porno a commencé…

C’était dur d’essayer d’expliquer ça à quelqu’un qui n’était pas rabatteur, surtout quand celui qui essayait d’expliquer était mortellement malade, mais Skunk pigea l’essentiel. La petite partie de jambes en l’air au bord de la piscine avait choqué la fille, tout comme Rose l’avait espéré, mais ça avait fait plus que la faire déguerpir et arrêter de les espionner. Pendant quelques secondes, il avait semblé à Barry recevoir d’elle une double écholocalisation. La môme était toujours avec son père à bord du train miniature roulant vers l’aire de pique-nique, mais le choc qu’elle avait reçu avait produit une image fantôme totalement absurde. Cette image la montrait dans une salle de bains, assise sur les chiottes en train de pisser.

« Peut-être que t’as vu un souvenir, lui dit Skunk. Ça serait pas possible ?

— Si, répondit Barry. Les pecnos pensent à tout un tas de conneries. C’est sûrement rien. Mais pendant un moment, c’est comme si elle avait été des jumelles, tu comprends ? »

Skunk ne comprenait pas vraiment, mais il acquiesça.

« Sauf que si c’est pas ça, c’est qu’elle est peut-être en train de nous couillonner. Passe-moi la carte. »

Jimmy Zéro avait tout le New Hampshire sur son ordinateur. Skunk le présenta à Barry.

« Elle est là, dit Barry en tapotant l’écran. En route pour Cloud Glen avec son père.

— Gap, corrigea Skunk. Cloud Gap.

— Glen, Gap, on s’en fout. » Barry déplaça son doigt vers le nord-est. « Et c’est de là que le ping fantôme m’est parvenu. »

Skunk prit l’ordinateur et regarda à travers la goutte de sueur sans aucun doute contaminée que Barry avait laissée sur l’écran. « Anniston ? C’est là qu’elle habite, Bar. Elle a sans doute laissé des traces psychiques d’elle dans tout le bled. Comme des peaux mortes.

— C’est ça. Des souvenirs. Des rêves. Tout un tas de conneries. C’est ce que je dis.

— Mais tu les captes plus, maintenant.

— Non, mais… » Barry saisit le poignet de Skunk. « Si elle est aussi puissante que Rose le dit, c’est bien possible qu’elle est vraiment en train de nous couillonner. D’envoyer des faux signaux, tu vois.

— T’as déjà rencontré une tronche-à-vapeur capable de faire ça ?

— Non, mais y a une première fois à tout. Je suis quasi sûr qu’elle est avec son père, mais c’est à toi de décider si quasi sûr suffit pour… »

C’était là que Barry s’était remis à cycler, et toute communication sensée avait cessé. Skunk s’était retrouvé avec une décision difficile à prendre. C’était sa mission, et il se faisait confiance pour l’assumer, mais c’était aussi le plan de Rose et — plus important — l’obsession de Rose. S’il merdait, elle n’aurait pas fini de le lui faire payer.

Skunk regarda l’heure. Quinze heures ici dans le New Hampshire, treize heures à Sidewinder dans le Colorado. Au Bluebell Campground, ils devaient juste avoir terminé de déjeuner et Rose serait disponible. Il se lança et l’appela. Il s’attendait presque à l’entendre éclater de rire et le traiter de femmelette, mais non.

« Je sais qu’on peut plus vraiment se fier à Barry, lui dit-elle. Mais je me fie à toi. Ton instinct te dit quoi ? »

Son instinct ne lui disait rien de rien: c’est bien pour ça qu’il l’avait appelée. Il le lui dit et attendit.

« Je te laisse décider. Merde pas, c’est tout. »

Merci de rien, Rosie chérie, pensa-t-il…, et il espéra qu’elle n’avait pas capté ça.

Il resta assis, le téléphone fermé dans la main, oscillant d’un côté à l’autre avec les mouvements du camping-car, inhalant l’odeur de maladie de Barry, se demandant combien de temps encore avant que les premières plaques apparaissent sur ses propres bras, ses jambes, son torse. Enfin, il passa à l’avant et posa sa main sur l’épaule de Jimmy.

« Quand t’arriveras à Anniston, arrête-toi.

— Pourquoi ?

— Parce que je descends là. »

2

Papa Skunk regarda les siens s’éloigner de la station-service Gas ’n Go en bas de la rue principale d’Anniston, résistant à l’envie d’envoyer à la Piquouse un message courte portée (tout ce dont il était capable en matière de perceptions extra-sensorielles) avant qu’ils soient tout à fait hors de portée: Revenez les gars, je me suis trompé.

Sauf que, s’il ne s’était pas trompé ?

Quand ils eurent disparu, il jeta un bref regard d’envie à la triste petite rangée de voitures d’occasion en vente à la station de lavage d’à côté. Quoi qu’il découvre à Anniston, il aurait besoin d’une bagnole pour quitter la ville. Il avait largement assez de liquide sur lui pour acheter une caisse qui l’amènerait à leur point de rendez-vous prévu sur l’I-87, près d’Albany ; le problème, c’était le temps. Il faudrait pas moins d’une demi-heure de transactions pour en négocier le prix, et ça risquait d’être une demi-heure de trop. Tant qu’il ne serait pas sûr que c’était une fausse alerte, il devrait juste improviser et compter sur son pouvoir de persuasion. Sur lequel il avait toujours pu compter.

Skunk prit tout de même le temps de pousser la porte du Gas ’n Go pour s’acheter une casquette des Red Sox. Quand t’es en terrain BoSox, fringue-toi comme les fans Bosox. Il hésita à ajouter une paire de lunettes de soleil, puis décida que non. Pour une certaine catégorie de la population, un homme d’âge mûr bien foutu portant des lunettes noires ressemble forcément à un tueur à gages. Merci, la télé. La casquette suffirait.

Il remonta la rue principale jusqu’à la bibliothèque où Abra et Dan avaient naguère tenu un conseil de guerre. Il n’eut pas à aller plus loin que le hall d’entrée pour trouver ce qu’il cherchait. Là, sous l’en-tête DÉCOUVREZ NOTRE VILLE, se trouvait un plan détaillé d’Anniston, avec la moindre de ses rues et ruelles. Il s’orienta par rapport à la rue de la gamine.

« Sacré match hier soir, hein ? » lui fit un type en passant. Il portait une brassée de bouquins.

Un instant, Skunk ne comprit pas de quoi il parlait, puis il se rappela sa casquette toute neuve. « Pour un sacré match, c’était un sacré match », dit-il sans quitter le plan des yeux.

Il attendit que le supporter des Sox se tire avant de quitter le hall de la bibliothèque. Sympa, la casquette, mais il n’avait aucune envie de discuter base-ball. Il trouvait ce jeu débile.

3