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Cette fois, elle le pouvait.

12

« Lâchez-moi, les gars », dit Dan. Il avait retrouvé sa voix. « Je suis dans mon assiette. Je crois. »

John et Dave le lâchèrent, prêts à le rattraper s’il titubait, mais il ne tituba pas. Ce qu’il fit, c’est se palper le corps: cheveux, visage, poitrine, jambes, bras. Puis il hocha la tête. « Ouais, dit-il. Je suis là. » Il regarda autour de lui. « , d’ailleurs ?

— Newington Mall, dit John. À un peu moins de cent bornes de Boston.

— OK, on reprend la route.

— Et Abra, dit Dave. Abra ?

— Abra va bien. Elle a repris sa place.

— Sa place est chez elle, répliqua Dave, non sans une pointe de ressentiment. Dans sa chambre, à s’envoyer des textos avec ses copines ou à écouter ces garçons débiles de ’Round Here sur son iPod. »

Elle est chez elle, songea Dan. Si l’on est chez soi dans son corps, alors elle y est.

« Elle est avec Billy. Billy prendra soin d’elle.

— Et celui qui l’a kidnappée. Ce Skunk ? »

Dan s’arrêta devant la portière arrière du Suburban de John. « Vous n’avez plus à vous soucier de lui. Celle dont nous devons nous soucier à présent, c’est Rose. »

13

Le Crown Motel était situé à Crownsville, État de New York, juste de l’autre côté de la frontière du Vermont. C’était un endroit tout décati avec un néon asthmatique au-dessus de l’entrée annonçant CH MBRES L BRES et NOMBR USES CHA NES C BLÉES ! Seuls quatre véhicules étaient garés sur la trentaine d’emplacements. Le type derrière le comptoir était une montagne affaissée de graisse avec une queue de rat qui lui pendait jusqu’au milieu du dos. Il passa la carte Visa de Billy dans son lecteur et lui remit les clés des deux chambres sans quitter des yeux l’écran de sa télé où deux femmes sur un canapé rouge étaient occupées à se faire d’ardentes papouilles.

« Elles communiquent ? » demanda Billy. Et, regardant les deux femmes: « Je veux dire les chambres.

— Ouais, ouais, elles communiquent toutes. Vous ouvrez juste la porte.

— Merci. »

Il roula jusqu’aux numéros 23 et 24 et se gara en face. Abra était lovée sur la banquette, un bras sous la tête en guise d’oreiller, et elle dormait à poings fermés. Billy ouvrit les chambres, alluma les lumières, déverrouilla la porte de communication. Il jugea leur apparence miteuse mais pas complètement pouilleuse. Tout ce qu’il voulait maintenant, c’était mettre Abra au lit et s’endormir lui aussi. De préférence pour une bonne dizaine d’heures. Il se sentait rarement vieux, mais ce soir-là, il se sentait antique.

Abra se réveilla un peu quand il l’allongea sur le lit. « On est où ?

— Crownville, État de New York. Nous sommes en sécurité. Je serai dans la chambre à côté.

— Je veux mon papa. Et je veux Dan.

— Bientôt. » Et il espérait qu’il disait vrai.

Abra ferma les yeux, puis les rouvrit lentement. « J’ai parlé à la femme. La pétasse.

— Ah bon ? » Billy ne voyait pas ce qu’elle voulait dire.

« Elle sait ce qu’on a fait. Elle l’a senti. Et ça lui a fait mal. » Une lueur brutale s’alluma momentanément dans les yeux d’Abra. Billy trouva que c’était comme voir le soleil flamboyer à la fin d’une journée froide et couverte de février. « Je suis contente.

— Rendors-toi, ma puce. »

La froide lueur hivernale luisait toujours dans le petit visage pâle et fatigué. « Elle sait que j’arrive. »

Billy pensa écarter ses cheveux de ses yeux mais, si elle mordait ? C’était probablement idiot, mais… cette lumière dans ses yeux. La mère de Billy avait parfois cet air-là juste avant de perdre son calme et de flanquer une volée à l’un de ses marmots. « Tu te sentiras mieux demain matin. J’aimerais pouvoir rentrer ce soir — je suis sûr que ton père aimerait ça autant que moi — mais je suis pas en état de conduire. J’ai déjà eu de la chance d’arriver jusqu’ici sans nous envoyer dans le décor.

— J’aimerais bien parler à papa et maman. »

Le père et la mère de Billy — qui, même au mieux de leurs possibilités, n’avaient jamais concouru pour le titre de Parents de l’Année — étaient morts depuis belle lurette, et tout ce dont Billy avait envie, c’était d’aller se pieuter. Par la porte ouverte, il jeta un coup d’œil languissant au lit dans la pièce à côté. Bientôt, mais pas tout à fait encore. Il sortit son téléphone portable et l’ouvrit. Au bout de deux sonneries, il parlait à Dan. Au bout de quelques secondes, il passait le téléphone à Abra. « Ton père. Ton vœu est exaucé. »

Abra s’empara du téléphone. « Papa ? Papa ? » Des larmes lui montèrent aux yeux. « Oui, ça va, je suis… arrête, papa, oui, je vais bien. Mais j’ai tellement sommeil que je peux à peine… » Ses yeux s’agrandirent lorsqu’une pensée la frappa: « Et toi, ça va ? »

Elle écouta. Les yeux de Billy se fermèrent et il les rouvrit en sursaut. La petite pleurait maintenant comme une Madeleine et ça le rassurait. Les larmes avaient éteint la drôle de lueur dans ses yeux.

Elle lui rendit le téléphone. « C’est Dan. Il veut vous reparler. »

Billy prit le téléphone, écouta. Puis: « Abra, Dan veut savoir s’il y a d’autres méchants en route. Et s’ils seraient assez près d’ici pour arriver cette nuit.

— Non. Je crois que le Skunk avait prévu d’en retrouver d’autres, mais ils sont encore très loin. Et ils peuvent pas savoir où on est… » — un énorme bâillement l’interrompit — « sans le Skunk pour leur dire. Dites à Dan qu’on est en sécurité. Et dites-lui de bien passer le message à papa. »

Billy n’y manqua pas. Lorsqu’il mit fin à la communication, Abra s’était recroquevillée sur le lit, dans la position du fœtus, et elle ronflait doucement. Billy posa sur elle une couverture qu’il trouva dans le placard, puis alla mettre la chaîne à la porte. Il réfléchit un instant puis, par acquit de conscience, cala le bureau sous la poignée. Mieux vaut prévenir que guérir, son père aimait bien dire.

14

Rose ouvrit le compartiment dans le plancher et sortit l’une des cartouches. Encore agenouillée entre les sièges avant de son EarthCruiser, elle l’entrouvrit et plaqua sa bouche sur le sifflement du joint de sûreté. Sa mâchoire se décrocha jusqu’à sa poitrine et le bas de son visage devint un trou noir d’où saillait une seule dent. Ses yeux, d’ordinaire légèrement relevés en amande, s’affaissèrent aux coins et noircirent. Son visage devint un masque mortuaire lugubre en surimpression sur le crâne nettement visible en dessous.

Elle prenait de la vapeur.

Quand elle eut fini, elle replaça la cartouche et s’assit au volant de son véhicule, les yeux fixés droit devant. Vous fatiguez pas à venir me chercher, Rose… c’est moi qui arrive. Voilà ce que la môme avait dit. Voilà ce qu’elle avait osé lui dire, à elle, Rose O’Hara, Rose Claque. Pas juste forte, alors: vindicative, aussi. Et colérique.

« Arrive, ma chérie, dit-elle. Et reste en colère. Plus t’es en colère, plus tu seras imprudente. Viens voir tata Rose. »

Il y eut un craquement. Elle baissa les yeux et vit qu’elle avait brisé la partie inférieure du volant de son EarthCruiser. La vapeur communiquait de la force. Ses mains saignaient. Rose rejeta loin d’elle le demi-cercle de plastique cassé, leva les paumes vers son visage et se mit à les lécher.