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CHAPITRE 16

CE QUI A ÉTÉ OUBLIÉ

1

À la seconde où Dan referma son téléphone, Dave dit: « Passons prendre Lucy et allons la chercher. »

Dan secoua la tête. « Elle dit qu’elle va bien et je la crois.

— Elle a quand même été droguée, observa John. Ses facultés de jugement pourraient en être altérées.

— Elle a eu la tête assez claire pour m’aider à régler son compte à celui qu’elle appelait le Skunk, dit Dan. Et je fais confiance à son jugement. Laissons-les dormir pour récupérer des effets du poison que ce salopard leur a injecté. Nous avons d’autres choses à faire. Des choses importantes. Vous devez me faire un petit peu confiance. Vous retrouverez votre fille assez tôt, David. Pour le moment, écoutez-moi bien. Nous allons vous déposer à l’appartement de votre grand-mère par alliance. Et vous conduirez votre épouse à l’hôpital.

— Je ne sais pas si elle me croira quand je lui raconterai ce qui s’est passé aujourd’hui. J’ignore jusqu’à quel point je peux être convaincant alors que j’ai le plus grand mal à y croire moi-même.

— Dites-lui que l’histoire peut attendre jusqu’à ce que nous soyons tous ensemble. J’inclus la Momo d’Abra.

— Je doute qu’ils vous laissent la voir. » Dave jeta un coup d’œil à sa montre. « Les heures de visite sont terminées depuis longtemps et elle est très malade.

— Le personnel hospitalier n’est pas très regardant sur les horaires de visites pour les patients proches de la fin », dit Dan.

Dave regarda John qui haussa les épaules. « Notre homme travaille dans un hospice. Je crois que vous pouvez lui faire confiance là-dessus.

— Elle risque de ne même pas être consciente, dit Dave.

— Inquiétons-nous d’une chose à la fois.

— Qu’est-ce que Chetta a à voir avec tout ça, de toute façon ? Elle n’est au courant de rien ! »

Et Dan répondit: « À mon humble avis, elle en sait plus que vous ne le pensez. »

2

Ils déposèrent Dave à la copropriété de Marlborough Street et le suivirent des yeux depuis le trottoir pendant qu’il montait les marches et pressait l’une des sonnettes.

« Il a l’air d’un petit garçon qui sait qu’on va lui baisser la culotte pour lui donner une fessée, dit John. Ça va être une rude épreuve pour leur couple, quelle que soit l’issue des événements.

— Quand une catastrophe naturelle se produit, c’est la faute de personne.

— Tu essaieras de convaincre Lucy Stone de ça. Ce qu’elle va penser, c’est: “Vous avez laissé ma fille toute seule et un cinglé l’a enlevée.” À un certain niveau, elle le pensera toujours.

— Abra saura sûrement la faire changer d’avis. Pour ce qui est d’aujourd’hui, on a fait ce qu’on a pu et jusqu’ici, on s’en est pas trop mal tirés.

— Mais ce n’est pas fini.

— Non. Loin de là. »

Là-bas, Dave pressait une deuxième fois la sonnette, scrutant le petit vestibule à travers la porte vitrée, quand l’ascenseur s’ouvrit. Lucy Stone en jaillit. Elle avait le visage pâle et les traits tirés. Dave commença à parler dès qu’elle ouvrit la porte. Elle aussi. Elle l’attira à l’intérieur — le tira à l’intérieur — en le saisissant par les deux bras.

« Oh, mon pote, dit John doucement, ça me rappelle moi, toutes les nuits où j’ai pu débarquer bourré à trois heures du matin.

— Soit il arrive à la convaincre, soit il n’y arrive pas, dit Dan. Nous, on a autre chose à faire. »

3

Dan Torrance et John Dalton arrivèrent à l’hôpital général du Massachusetts peu après vingt-deux heures trente. C’était un moment calme à l’étage des soins intensifs. Dans le couloir, projetant une ombre en forme de méduse, un ballon d’hélium un peu dégonflé avec PROMPT RÉTABLISSEMENT écrit en lettres multicolores dérivait mollement au plafond. Dan s’approcha du bureau des infirmières, se présenta comme un membre du personnel de l’hospice où Ms. Reynolds devait être accueillie, montra sa carte professionnelle de la Maison Helen Rivington et précisa que John Dalton était le médecin de famille (une extrapolation, pas un véritable mensonge).

« Nous avons besoin d’évaluer son état de santé avant le transfert, dit Dan. Deux membres de la famille ont demandé à être présents. Il s’agit de la petite-fille de Ms. Reynolds et de son époux. Je suis désolé de l’heure tardive mais nous n’avons pu faire autrement. Ils ne vont pas tarder à arriver.

— Je connais les Stone, dit la surveillante. Ce sont des gens charmants. Lucy a été très présente pour sa grand-mère. Concetta est spéciale. J’ai lu ses poèmes, ils sont merveilleux. Mais si vous espérez une réponse de sa part, messieurs, je crains que vous ne soyez déçus. Elle a sombré dans le coma. »

C’est ce que nous allons voir, pensa Dan.

« Et… » L’infirmière adressa un regard hésitant à John. « Ce n’est peut-être pas mon rôle de vous le dire mais…

— Allez-y, dit John. Je n’ai encore jamais rencontré de surveillante qui ne soit pas en avance sur la musique. »

La femme lui sourit, puis se tourna à nouveau vers Dan. « J’ai entendu des choses formidables sur l’hospice Rivington, mais je doute fort que Concetta le voie jamais. Même si elle est encore avec nous lundi, je ne suis pas sûre qu’il y ait un intérêt à la transporter. Il serait plus humain de lui laisser terminer son voyage ici. Et si j’outrepasse mes prérogatives, veuillez m’en excuser.

— Pas du tout, dit Dan. Et nous prendrons votre avis en considération. John, voulez-vous descendre dans le hall attendre les Stone pour les accompagner lorsqu’ils arriveront ? Je peux commencer sans vous.

– Êtes-vous sûr…

— Oui, dit Dan en plantant son regard dans le sien. Absolument sûr.

— Elle est à la 9, indiqua la surveillante. C’est la chambre individuelle au bout du couloir. Sonnez, si vous avez besoin de moi. »

4

Le nom de Concetta figurait sur la porte de la chambre 9, mais l’emplacement pour les prescriptions médicales était vide et le moniteur surveillant les fonctions vitales n’affichait rien d’encourageant. Dan pénétra dans des effluves qu’il connaissait bien: assainisseur d’air, antiseptique et maladie mortelle, celle-ci étant une odeur aiguë qui vibrait dans sa tête comme un violon ne sachant jouer qu’une seule note. Les murs étaient couverts de photos, dont beaucoup représentaient Abra à tous les âges. L’une d’elles montrait une grappe de bambins bouche bée dévorant des yeux un magicien tirant un lapin blanc de son chapeau. Dan était sûr qu’elle avait été prise lors du fameux goûter d’anniversaire, le Jour des Cuillères.

Entourée de ces images, une femme squelettique dormait, la bouche ouverte, un rosaire de perles enroulé autour des doigts. Les cheveux qui lui restaient étaient si fins qu’ils se fondaient presque dans l’oreiller. Sa peau, naguère de teinte olivâtre, était jaune désormais. Le mouvement de son buste était à peine perceptible. Un regard suffit pour confirmer à Dan que la surveillante était effectivement en avance sur la musique. Si Azzie avait été là, il l’aurait trouvé dans cette chambre, lové auprès de la vieille dame, attendant qu’arrive Docteur Sleep pour pouvoir reprendre sa patrouille nocturne dans des couloirs désertés par tous, sauf ce que seuls les chats peuvent voir.

Dan s’assit au bord du lit, notant que la seule perfusion à laquelle elle était reliée était une solution saline. Il n’y avait plus qu’un seul médicament qui puisse l’aider maintenant et la pharmacie de l’hôpital ne l’avait pas en réserve. Sa canule s’était déplacée. Il la redressa. Puis il prit sa main et contempla le visage endormi.