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« Zuis tizte, Loze.

— Je sais que t’es triste. Moi aussi, je suis triste. »

Elle ne l’était pas — elle était furieuse — mais ça sonnait mieux.

« Landi m’manque. »

Andi, oui — nom pecno Andrea Steiner, dont le père l’avait vidée à coups de queue de toute humanité longtemps avant que le Nœud Vrai ne la trouve. Rose se rappelait comment elle l’avait observée un jour dans un cinéma, et comment plus tard elle l’avait vue lutter pour survivre au Retournement avec une pure hargne et une absolue volonté. Andi la Piquouse serait restée, elle. La petite Piquouse aurait marché à travers le feu, si Rose avait dit que la survie du Nœud Vrai en dépendait.

Elle tendit les bras. Sarey vint en trottinant poser sa tête contre son buste.

« Sanzelle ze veu mouwi.

— Mais non, chérie, tu n’y penses pas. » Rose attira la petite chose dans le lit et la serra bien fort. Elle n’était qu’un râtelier d’os maintenus ensemble par une chair maigre. « Dis-moi ce que tu veux vraiment. »

Sous la frange trop longue, deux yeux flamboyèrent, des yeux de fauve. « Venzance.  »

Rose baisa une joue, puis l’autre, puis les fines lèvres sèches. Elle s’écarta un peu pour la regarder et dit: « Oui. Et tu l’auras. Ouvre la bouche, Sarey. »

Sarey obéit. Leurs lèvres se joignirent à nouveau. Encore chargée de vapeur, Rose Claque exhala dans la gorge de Sarey la Muette.

15

Les murs du bureau de Concetta étaient tapissés de mémos, de fragments de poèmes et de lettres auxquelles elle ne répondrait jamais. Dan tapa les quatre caractères du mot de passe, lança Firefox et entra Bluebell Campground dans Google. Leur site web ne contenait pas des masses d’informations, probablement parce que les propriétaires se souciaient peu d’attirer des visiteurs ; c’était juste la vitrine de base. Mais il y avait des photos que Dan examina avec la fascination réservée généralement aux vieux albums de famille récemment retrouvés.

L’Overlook avait depuis longtemps disparu mais il reconnut le terrain. Autrefois, juste avant les premières chutes de neige qui les avaient isolés pour l’hiver, lui et ses parents s’étaient tenus sous le vaste porche d’entrée de l’hôtel (qui semblait d’autant plus vaste que les chaises longues et les meubles d’extérieur en rotin avaient été rangés), balayant du regard la longue pelouse en pente douce. Tout en bas, où les cerfs et les antilopes venaient souvent jouer, il y avait à présent un long bâtiment rustique baptisé l’Overlook Lodge. Ici, disait la légende, les visiteurs pouvaient dîner, jouer au bingo et danser au son de véritables orchestres les vendredis et samedis soir. Le dimanche s’y tenaient des services religieux animés à tour de rôle par des ecclésiastiques des deux sexes de Sidewinder.

Jusqu’aux premières neiges, mon père a tondu cette pelouse et taillé les buis qu’il y avait là. Il disait qu’il avait taillé les buis de beaucoup de dames en son temps. Moi, je comprenais pas la blague, mais ça faisait beaucoup rire maman.

« Sacrée blague », dit-il à voix basse.

Il aperçut des rangées d’armoires de raccordement rutilantes pour véhicules de loisirs, des borniers de branchements dignes de forains fournissant aussi bien le gaz que l’électricité. Il y avait des sanitaires hommes et femmes aussi grands que dans les méga-relais routiers pour poids lourds tels que Little America ou Pedro’s au sud de la frontière. Il y avait un terrain de jeux pour les gamins. (Dan se demanda si les loupiots qui jouaient là voyaient ou sentaient parfois des choses troublantes, comme c’était arrivé jadis à Danny « Doc » Torrance sur le terrain de jeux de l’Overlook.) Il y avait aussi un terrain de soft-ball, un emplacement pour jouer aux palets, deux courts de tennis, et même un espace pour la pétanque.

Mais pas de roque… non, pas ça. Ça n’existe plus.

À mi-pente, là où les haies taillées en forme d’animaux s’élevaient autrefois, s’alignait une rangée de paraboles à satellite d’un blanc immaculé. Au sommet, à l’endroit où l’hôtel lui-même s’était dressé, se trouvait une plate-forme de bois avec une longue volée de marches pour y accéder. Ce site, aujourd’hui propriété de l’État du Colorado et administré par ses soins, était identifié sous le nom de «  Roof O’ the World  », le Toit du Monde. Les visiteurs du Bluebell Campground y avaient libre accès, de même qu’aux sentiers de randonnée alentour. Les sentiers sont réservés aux randonneurs chevronnés, disait la légende, mais le Toit du Monde est accessible à tous. Le point de vue y est spectaculaire !

Dan n’en doutait pas. Il était spectaculaire depuis la salle de restaurant et la salle de bal de l’Overlook… du moins jusqu’à ce que la neige, montant régulièrement, n’ait bloqué toutes les fenêtres. À l’ouest, comme des lances brandies vers le ciel, s’élevaient les pics les plus hauts des montagnes Rocheuses. À l’est, la vue s’étendait jusqu’à Boulder. Diable, elle s’étendait même jusqu’à Denver et Arvada les rares jours où il n’y avait pas trop de pollution.

L’État s’était approprié ce morceau de terre particulier et Dan n’en fut pas surpris. Qui aurait voulu y construire ? Le sol était contaminé et il n’y avait pas besoin d’être télépathe pour le sentir. Mais les Vrais s’en étaient approchés au plus près et Dan avait dans l’idée que leurs hôtes nomades de passage — les nomades normaux — revenaient rarement pour une seconde visite et ne recommandaient pas le Bluebell à leurs amis. Un endroit maléfique attire des gens maléfiques, avait dit John. Auquel cas, l’inverse devait aussi être vrai: il devait repousser les gens bien.

« Dan ? appela David. On démarre.

— Laissez-moi encore une minute ! »

Il ferma les yeux et pressa la paume de sa main sur son front.

(Abra)

Sa voix la réveilla aussitôt.

CHAPITRE 17

PETITE BATARDE

1

L’obscurité enveloppait le Crown Motel, l’aube étant encore à une heure ou plus de poindre, quand la porte du numéro 24 s’ouvrit et qu’une jeune fille en sortit. Un épais brouillard s’était installé et le monde avait presque perdu toute réalité. La jeune fille portait un pantalon noir et une chemisette blanche. Elle s’était fait des couettes et le visage qu’elles encadraient paraissait très juvénile. Elle respira profondément. La fraîcheur de l’air et l’humidité en suspension furent un baume pour son mal de tête persistant mais firent bien peu pour son cœur malheureux. Momo était morte.

Et pourtant, si oncle Dan disait vrai, pas vraiment morte: juste partie quelque part ailleurs. Peut-être devenue une personne-fantôme ; ou peut-être pas. Dans tous les cas, Abra ne pouvait consacrer du temps à y penser. Plus tard, peut-être, elle méditerait sur ses questions.

Dan avait demandé si Billy dormait. Oui, à poings fermés, lui avait-elle répondu. Par la porte ouverte, elle apercevait les pieds et les jambes de Mr. Freeman sous les couvertures et entendait son ronflement régulier. On aurait dit un bateau à moteur tournant au ralenti.

Dan avait demandé si Rose ou l’un des autres avait tenté d’atteindre son esprit. Non. Elle l’aurait su. Ses pièges étaient tendus. Et Rose devait s’en douter. Elle n’était pas stupide.

Il avait demandé s’il y avait un téléphone dans sa chambre. Oui, il y en avait un. Oncle Dan lui avait dit ce qu’il voulait qu’elle fasse. C’était assez simple. Le truc effrayant, c’était ce qu’elle devait dire à la femme étrange du Colorado. Mais elle voulait le faire. Tout au fond d’elle-même, elle voulait le faire depuis le jour où elle avait entendu les cris d’agonie du p’tit gars du base-ball.