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Les AA n’ont pas de règles mais de nombreuses traditions (qui, de fait, sont des règles). L’une des plus strictes est qu’on ne rend jamais seul une visite de la douzième étape à un alcoolique dur, à moins que l’alcoolo en question ne soit incarcéré en toute sécurité dans un hôpital, un centre de désintoxication, ou l’asile d’aliénés du coin. Si l’on s’y risque, on a toutes les chances de finir en bordée avec l’alcoolo dur, à rivaliser coup pour coup, et ligne pour ligne, avec lui. Comme aimait bien dire Casey Kingsley, l’addiction est une source intarissable de bienfaits.

Dan regarda Billy Freeman et sourit. « Tu as quelque chose à dire ? Vas-y, je t’en prie.

— Je crois pas que tu as un oncle. Je suis même pas sûr que tu aies encore de la famille.

— Ah ouais ? T’es juste “pas sûr” ?

— Ben… t’en parles jamais.

— Y a des tas de gens qui ont de la famille et qui n’en parlent pas. Mais tu sais que je n’ai personne, hein, Billy ? »

Billy, l’air embarrassé, ne répondit rien.

« Danny, je peux pas aller en Iowa, dit John. J’ai des rendez-vous toute la semaine et jusqu’au week-end. »

Dan était toujours concentré sur Billy. Il plongea la main dans sa poche, la ressortit poing fermé. « Qu’est-ce que j’ai ? »

Billy avait l’air plus embarrassé que jamais. Il glissa un coup d’œil à John, ne décela aucune aide de ce côté-là, et revint à Dan.

« John sait ce que je suis, dit Dan. Je l’ai aidé une fois, et il sait que j’en ai aidé quelques autres du Programme. On est entre amis, ici. »

Billy réfléchit, puis dit: « Peut-être une pièce, mais je crois plutôt que c’est une de tes médailles des AA. Celles qu’on vous donne chaque fois que vous fêtez une année de plus de sobriété.

— De quelle année est celle-ci ? »

Billy hésita, les yeux posés sur le poing fermé de Dan.

« Laissez-moi vous aider, dit John. Il est sobre depuis le printemps 2001, donc s’il a une médaille récente dans sa poche, c’est probablement une 12e année.

— Logique, mais c’est pas ça. » Billy se concentrait et deux sillons verticaux ridaient son front entre les deux yeux. « Je pense que c’est… une 7e année ? »

Dan ouvrit la paume. La médaille portait un grand VI gravé dessus.

« Bordel à queue, fit Billy. Je suis bon pour les devinettes, en général.

— T’étais pas loin, dit Dan. Et c’est pas de la devinette, c’est de la voyance. »

Billy sortit ses cigarettes, jeta un coup d’œil au médecin assis sur le banc à côté de lui et les remit dans sa poche. « Si tu le dis.

— Laisse-moi te parler un peu de toi, Billy. Quand tu étais petit, tu étais doué pour deviner des trucs. Tu savais quand ta mère était de bonne humeur et que tu pouvais lui taper un ou deux dollars de plus. Tu savais quand ton père était à cran et tu évitais de le caresser à rebrousse-poil.

– Ça oui, y avait des soirs où je savais que rouspéter parce qu’on mangeait encore les restes du rôti du dimanche était une vache de mauvaise idée, confirma Billy.

— Tu as été joueur ?

— Courses de chevaux à Salem, oui. J’ai souvent raflé la mise. Et puis, autour de vingt-cinq ans, comme ça, j’ai comme qui dirait perdu le truc de flairer les gagnants. Un mois, j’ai dû demander un délai pour payer mon loyer et ça m’a guéri du virus des champs de courses.

— Oui, le Don s’estompe avec l’âge, mais tu l’as encore un peu.

— Tu l’as beaucoup plus », dit Billy. Aucune hésitation, cette fois.

« Tout ça est réel, je rêve pas ? » dit John. C’était plus une observation qu’une question.

« Tu as un seul rendez-vous la semaine prochaine que tu ne te sens pas le droit d’annuler ou de reporter, dit Dan. Une petite fille qui a un cancer de l’estomac. Elle s’appelle Felicity…

— Frederika, corrigea John. Frederika Bimmel. Elle est à l’hôpital Merrimack Valley. J’ai une rencontre prévue avec son oncologue et ses parents.

— Samedi matin.

— Ouais. Samedi matin. » John jeta un regard stupéfait à Dan. « Bon Dieu de bon Dieu. J’avais jamais réalisé que… ce truc que tu as… tu l’as tellement fort.

— Je te promets que tu seras rentré d’Iowa jeudi. Vendredi maximum. »

À moins qu’on ne se fasse arrêter, songea-t-il. Dans ce cas, on devra y rester un tout petit peu plus longtemps. Il regarda Billy pour voir s’il avait capté cette pensée moins réjouissante. Aucun signe qu’il l’ait perçue.

« Tu peux m’expliquer de quoi il s’agit ?

— Une autre de tes patientes. Abra Stone. Elle est comme Billy et moi, John, mais ça, je crois que tu le sais déjà. Sauf qu’elle, elle est encore plus puissante. Je l’ai plus que Billy, mais à côté d’elle, j’ai l’air d’un hypnotiseur de foire.

— Oh, mon Dieu, le truc des cuillères…

— Quand elle les a suspendues au plafond ? »

John le dévisagea, les yeux écarquillés. « T’as lu ça dans mes pensées ?

— Un tout petit peu moins prestigieux, mon pote. Elle me l’a dit.

— Quand ? Quand ?

— On va y venir, mais pas tout de suite. D’abord, on va s’essayer à un peu d’authentique transmission de pensées. » Dan prit la main de John. Ça aidait ; le contact physique aidait presque toujours. « Ses parents — il y avait peut-être une tante ou une grand-mère aussi — sont venus t’en parler quand elle était juste en âge de marcher. Avant même qu’elle ne décore la cuisine d’argenterie. Ils s’inquiétaient parce qu’il se produisait déjà toutes sortes de phénomènes paranormaux dans la maison. Une histoire de piano… Billy, aide-moi sur ce coup-là, tu veux. »

Billy se saisit de l’autre main de John et Dan prit sa main libre, créant ainsi un mini-cercle connecté. Séance de spiritisme miniature à Teenytown.

« De la musique des Beatles, dit Billy. Au piano, pas à la guitare. C’est… je sais pas. Ça les a déboussolés pendant un temps. »

John le regardait fixement.

« Écoute-moi, dit Dan. Elle te donne la permission de parler. Elle veut que tu le fasses. Fais-moi confiance là-dessus, John. »

John Dalton pesa le pour et le contre pendant une bonne minute. Puis il leur raconta tout, à une exception près.

Le truc des Simpson sur toutes les chaînes en même temps était vraiment trop dur à avaler.

4

Lorsqu’il eut terminé, John posa la question évidente: comment Dan connaissait-il Abra ?

De sa poche arrière, Dan sortit un vieux calepin fatigué. Sur la couverture figurait une photo de vagues déferlant sur un promontoire rocheux avec cette légende AUCUNE GRANDE CHOSE NE S’EST CRÉÉE EN UN INSTANT.

« Ça fait longtemps que tu le trimballes celui-là, dit John.

— Ouais. Tu connais Casey K., mon parrain ? »

John leva les yeux au ciel. « Comment je pourrais l’oublier, alors que chaque fois que tu ouvres la bouche en réunion, tu commences par “Mon parrain, Casey K., dit toujours…”.

— John, personne aime trop les petits malins.

— Si, ma femme, répondit l’intéressé. Parce que je suis un petit malin qui a des couilles en plus d’avoir un cerveau. »

Dan soupira. « C’est ce qu’on va voir. Regarde dans mon calepin. »

John le feuilleta. « C’est des réunions. Depuis 2001.

— Casey m’avait demandé d’en faire quatre-vingt-dix en quatre-vingt-dix jours, et de les noter. Va voir à la huitième. »