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John trouva la page. Église méthodiste de Frazier. Une réunion qu’il connaissait mais à laquelle il assistait rarement. Sous le commentaire de la réunion, en lettres tarabiscotées, était écrit ABRA.

John leva un regard incrédule vers Dan. « Tu veux dire qu’elle t’a contacté à l’âge de deux mois ?

— Tu vois ma réunion suivante juste en dessous, dit Dan. Donc, j’ai pas pu rajouter son nom après coup pour t’impressionner. À moins d’avoir falsifié tout le carnet. Or il y a des tas de gens dans le Programme qui se souviendront de m’avoir vu avec.

— Moi y compris, dit John.

— Ouais, toi y compris. À cette époque, j’avais toujours mon calepin de réunions dans une main et un gobelet de café dans l’autre. C’étaient mes boucliers de sécurité. J’ignorais qui était Abra à ce moment-là, et j’avoue que je m’en souciais peu. C’était juste un de ces contacts de hasard. Un peu comme un bébé dans un berceau qui tend la main et t’effleure le bout du nez.

« Et puis, deux ou trois ans plus tard, elle m’a écrit un mot sur le tableau noir que j’ai dans ma chambre et où je note mon planning. Un seul mot: hello. Et après ça, elle a continué à se manifester à intervalles plus ou moins réguliers. Comme pour vérifier que le contact n’était pas rompu. Je ne suis même pas sûr qu’elle en avait conscience. Mais j’étais là. Et quand elle a eu besoin d’aide, c’est à moi qu’elle a pensé, c’est moi qu’elle connaissait et c’est moi qu’elle a appelé.

— Et de quelle aide a-t-elle besoin ? Quel danger court-elle ? » John se tourna vers Billy. « Vous le savez, vous ? »

Billy secoua la tête. « J’ai jamais entendu parler de cette gosse et je mets quasiment jamais les pieds à Anniston.

— Qui a dit qu’Abra vivait à Anniston ? »

Billy tourna le pouce vers Dan. « Lui. Il l’a pas dit ? »

John se retourna vers Dan. « D’accord. Disons que je suis convaincu. Raconte-nous toute l’histoire. »

Dan leur raconta le cauchemar d’Abra. Le p’tit gars du base-ball. Les silhouettes aux lampes torches braquées sur lui. La femme au couteau, léchant le sang du gosse sur ses mains. Et, beaucoup plus tard, comment Abra était tombée sur une photo de ce même garçon dans le Shopper.

« Et si elle a pu le voir en rêve, c’est parce que ce gosse qu’ils ont tué avait le Don ? Comme elle, et comme vous ?

— Je suis à peu près sûr que c’est comme ça qu’a eu lieu le premier contact, oui. Le gamin a dû chercher à se connecter pendant que ces gens le torturaient — Abra n’a aucun doute à ce sujet, c’était bien de la torture — et cela a créé un lien entre eux.

— Un lien qui s’est conservé même après la mort de… Brad Trevor, c’est ça ?

— Je pense que le dernier point de contact d’Abra avec lui est un objet qu’il possédait: son gant de base-ball. Et elle a pu entrer en contact avec ses meurtriers car l’un d’eux a essayé ce gant. Elle ignore comment elle fait ça, et je n’en sais pas plus qu’elle. Tout ce que je sais, c’est qu’elle a un pouvoir prodigieux.

— Comme toi.

— Voilà toute l’histoire, récapitula Dan. Ces gens — si ce sont des gens — sont menés par une femme qui se charge elle-même de l’exécution. Le jour où Abra est tombée sur la photo de Brad dans le gratuit du coin, elle est entrée dans la tête de cette femme. Et cette femme est entrée dans la tête d’Abra. Pendant quelques secondes, chacune a vu par les yeux de l’autre. » Il leva ses deux poings serrés et les fit permuter. « Dans un sens, et dans l’autre. Abra pense qu’ils sont peut-être déjà à sa recherche. Je le pense aussi. Car elle pourrait représenter un danger pour eux.

— Mais pas uniquement, n’est-ce pas ? » demanda Billy.

Dan le regarda, attendant la suite.

« Ces gosses qui ont le Don ont aussi autre chose, pas vrai ? Quelque chose que veulent ces gens. Et qu’ils ne peuvent se procurer qu’en les tuant.

— C’est ce que je crois, oui. » En réalité, il en était persuadé.

John intervint: « Cette femme sait-elle où habite Abra ?

— Non, Abra ne le pense pas. Mais, souviens-toi qu’elle n’a que treize ans ; elle pourrait se tromper.

— Et Abra sait-elle où se trouve cette femme ?

— Tout ce qu’elle sait, c’est que lorsque ce contact — cette vision réciproque — s’est produite, la femme se trouvait dans un supermarché Sam’s. C’est-à-dire quelque part dans l’Ouest, mais il y a des Sam’s dans pas moins de neuf États.

— Dont l’Iowa ? »

Dan secoua la tête.

« Dans ce cas, je ne vois pas à quoi ça nous avancerait d’aller là-bas.

— Nous pourrions récupérer le gant, dit Dan. Abra pense qu’avec le gant, elle pourra entrer en contact avec l’homme qui l’a enfilé et a gardé sa main dedans pendant quelques instants. Elle l’appelle Barry le Chinois. »

La tête penchée en avant, John réfléchissait. Dan le laissa faire.

« D’accord, dit John. Tout cela est complètement fou, mais je marche. Vu ce que je sais de l’histoire d’Abra et de ma propre histoire avec toi, j’aurais du mal à faire autrement. Mais si cette femme ignore où habite Abra, ne serait-il pas plus sage de laisser les choses en l’état ? d’éviter de foutre un coup de pied au chien qui dort, ou quelque chose comme ça ?

— Je ne crois pas que le chien dorme, dit Dan. Ces

(démons vides)

illuminés la veulent pour la même raison qu’ils voulaient le petit Trevor: je suis sûr que Billy a raison sur ce point. Ils savent aussi qu’elle représente un danger pour eux. Pour parler en termes AA, elle a le pouvoir de rompre leur anonymat. Quant à eux, il est possible qu’ils disposent de ressources que nous ne pouvons même pas imaginer. Voudrais-tu qu’une de tes patientes vive dans la peur, mois après mois, année après année, craignant qu’à tout moment une famille Manson paranormale se matérialise pour la kidnapper en pleine rue ?

— Bien sûr que non.

— Abra pense que ces salopards vivent en se nourrissant d’enfants comme elle. Et comme l’enfant que j’ai été. Des enfants-voyants. » Il fixa John Dalton avec intensité. « Si c’est vrai, il faut les arrêter. »

Billy ajouta: « Quel sera mon rôle, si je ne vais pas en Iowa ?

— Eh bien, dit Dan, tu vas profiter de la semaine qui vient pour rattraper ton retard dans ta connaissance d’Anniston. Si Casey te donne un congé, tu vas même aller t’installer là-bas dans un motel. »

5

Rose finit par entrer dans l’état de méditation qu’elle recherchait. Le plus difficile fut d’oublier ses craintes pour Grand-Pa Flop, mais elle finit par passer outre. Passer par-dessus, plutôt. À présent, elle voguait à l’intérieur d’elle-même, répétant les formules antiques — sabbatha hanti, lodsam hanti, cahanna risone hanti — encore et encore, ses lèvres remuant à peine. Il était trop tôt pour rechercher la petite fauteuse de troubles, mais maintenant qu’elle avait enfin la paix et que le monde — extérieur et intérieur — était silencieux, elle n’était pas pressée. La méditation en soi était une saine activité. Rose s’y adonnait, rassemblant ses instruments, affûtant sa concentration, procédant lentement et méticuleusement.

Sabbatha hanti, lodsam hanti, cahanna risone hanti : des mots qui étaient déjà anciens du temps où le Nœud Vrai sillonnait l’Europe en roulotte, vendant briques de tourbe et colifichets. Sans doute déjà vieux du temps où Babylone était jeune. La gamine était puissante mais le Nœud Vrai était tout-puissant et Rose ne prévoyait aucune difficulté réelle. La môme dormirait et elle se déplacerait furtivement et silencieusement, prélevant des informations, implantant des suggestions tels des explosifs miniatures. Pas juste un ver, mais tout un nid grouillant. La fille pourrait peut-être en détecter certains, et les désamorcer.