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Dan l’interrompit: « Je ne vous dirai pas que c’est une mauvaise idée avant d’avoir vu ce qu’Abra peut faire avec le gant de base-ball, mais vous devez réfléchir sérieusement aux conséquences. Pour John, pour moi, pour vous et votre épouse, mais surtout pour Abra.

— Je ne vois pas quel genre d’ennuis John et vous pourriez… »

John remua avec impatience sur sa chaise. « Enfin, Dave. Qui a trouvé le corps ? Qui l’a exhumé et ré-enterré après avoir retiré une pièce à conviction que la police scientifique considérerait certainement comme capitale ? Qui a transporté cette pièce à conviction à travers la moitié du pays pour qu’une collégienne de treize ans s’en serve comme d’une planchette de ouija ? »

Malgré lui, Dan monta au créneau. Ils faisaient bloc et, en d’autres circonstances, il aurait pu en éprouver des scrupules, mais pas là. « Écoutez, Mr. Stone, votre famille a déjà à affronter une épreuve. Votre grand-mère par alliance est mourante, votre épouse est sérieusement éprouvée, et épuisée. Cette nouvelle fera l’effet d’une bombe dans la presse et sur internet. Clan de nomades meurtriers contre collégienne aux pouvoirs parapsychiques. Ils la voudront sur tous les plateaux télé, vous refuserez, et cela ne fera qu’attiser leur avidité. Votre rue se transformera en studio en plein air, Nancy Grace n’hésitera pas à emménager dans la maison d’à côté et il faudra moins d’une semaine pour que tout le gang des médias hurle canular d’une seule voix. Vous vous souvenez du papa de Balloon Boy ? Vous n’aimeriez pas être à sa place, n’est-ce pas ? Et pendant ce temps-là, ces gens qu’Abra appelle la Tribu des Winnebago courront toujours.

— Et qui sera censé protéger ma petite fille, s’ils viennent l’enlever ? Vous deux ? Un toubib et un aide-soignant d’hospice ? Ou vous êtes juste l’homme de ménage ? »

Si tu savais qu’un vieil employé municipal de soixante-treize ans monte la garde en bas dans ta rue, pensa Dan. Et il ne put s’empêcher de sourire. « Je suis un peu les deux. Écoutez, Mr. Stone…

– Étant donné que vous et ma fille semblez être de grands copains, j’imagine que vous pouvez m’appeler Dave.

— Va pour Dave. À mon avis, la décision que vous allez prendre dépend du pari que vous êtes prêt à faire sur la capacité des forces de l’ordre à croire votre fille. Surtout quand elle leur dira que la Tribu des Winnebago sont des vampires qui sucent la vie des enfants.

— Merde, dit David, je ne peux pas raconter ça à Lucy. Elle va péter un câble. Tous ses câbles.

— Ce qui tendrait à résoudre le dilemme d’appeler ou non la police », fit remarquer John.

Le silence s’établit durant quelques secondes. Quelque part dans la maison, on entendait le tic-tac d’une horloge. Quelque part à l’extérieur, l’aboiement d’un chien.

« Le tremblement de terre, dit David brusquement. Ce miniséisme. C’était toi, Abby ?

— J’en suis quasiment sûre », chuchota-t-elle.

Dave la serra contre lui, puis il se leva et déplia la serviette qui enveloppait le gant de base-ball. Il le tint devant lui, l’examinant sous toutes les coutures. « Ils l’ont enterré avec, dit-il. Ils l’ont enlevé, torturé, assassiné, et ils l’ont enterré avec son gant de base-ball.

— Oui », confirma Dan.

Dave se tourna vers sa fille. « Tu veux vraiment toucher ça, Abra ? »

Elle tendit les mains et dit: « Non. Mais donne-le-moi quand même. »

5

David Stone hésita, puis le lui tendit. Abra le prit dans ses mains et regarda à l’intérieur de la paume. « Jim Thome », dit-elle. Dan aurait parié toutes ses économies (et après douze ans de travail régulier et de sobriété sans faille, il en avait de fait accumulé un peu) qu’elle n’avait jamais rencontré ce nom auparavant, or elle le prononça correctement: Toe-may. « Il fait partie du Six Hundred Club.

— Exact, dit Dave. Thome…

— Chut », lui intima Dan.

Ils la regardèrent. Elle porta le gant à son visage et en renifla la paume. (Dan se souvint du grouillement d’insectes et dut réprimer un haut-le-corps.) Elle dit: « Pas Barry le Chinois, Barry le Noiche, comme ils disent. Même s’il est pas chinois. Ils l’appellent comme ça parce qu’il a les yeux un peu bridés. C’est leur… leur… je sais pas… attendez… »

Elle berça le gant contre sa poitrine, comme un bébé. Elle avait commencé à respirer plus vite. Sa bouche s’ouvrit, et elle gémit. Dave, alarmé, posa sa main sur son épaule. Abra s’en débarrassa d’une secousse. « Non, papa, non ! » Elle ferma les yeux en serrant le gant contre elle. Ils attendirent.

Enfin, ses yeux s’ouvrirent et elle dit: « Ils viennent me chercher. »

Dan se leva, s’agenouilla à côté d’elle et posa une main sur les siennes.

(combien sont-ils tous ou seulement quelques-uns)

« Seulement quelques-uns. Barry est avec eux. C’est pour ça que je peux voir. Il y en a trois autres. Peut-être quatre. Une femme avec un tatouage de serpent. Ils nous appellent les pecnos. On est des pecnos pour eux. »

(est-ce que la femme au chapeau)

(non)

« Quand vont-ils arriver ici ? demanda John. Tu le sais ?

— Demain. Ils doivent s’arrêter en route pour prendre… » Elle se tut. Ses yeux fouillèrent la pièce, sans la voir. Une de ses mains s’échappa de sous la main de Dan et vint frotter sa bouche. L’autre était cramponnée au gant. « Ils doivent prendre… je sais pas… » Des larmes, non de chagrin mais d’effort, filtrèrent au coin de ses yeux. « Est-ce que c’est un médicament ? C’est… attendez, attendez. Lâche-moi, Dan, je dois… il faut que tu me lâches… »

Dan retira sa main. Il y eut un bref claquement accompagné d’une étincelle bleue d’électricité statique. Le piano joua un arpège de notes discordantes. Sur une petite table près de la porte du couloir, une collection de figurines en céramique Hummel trépidait et sautillait. Abra enfila le gant. Ses yeux s’agrandirent.

« L’un est un skunk ! L’un est un docteur et heureusement pour eux parce que Barry est malade ! Il est malade  ! » Elle promena un regard halluciné sur eux puis éclata de rire. Le son de ce rire fit dresser les poils sur la nuque de Dan. Il pensa que c’est ainsi que doivent rire les aliénés quand ils n’ont pas pris leur traitement à l’heure. Il dut se retenir pour ne pas arracher le gant de la main d’Abra.

« Il a la rougeole ! Grand-Pa Flop lui a filé la rougeole et il va pas tarder à cycler ! C’est ce putain de môme ! Il devait pas être vacciné ! On doit le dire à Rose ! On doit…  »

C’en fut trop pour Dan. Il lui arracha le gant et le jeta de l’autre côté de la pièce. Le piano cessa de jouer. Les figurines Hummel firent entendre une ultime trépidation et s’immobilisèrent, l’une d’elles à l’extrême bord de la table, prête à basculer dans le vide. Dave, la bouche ouverte, regardait fixement sa fille. John s’était levé, mais semblait incapable d’avancer.

Dan prit Abra par les épaules et la secoua vigoureusement. « Abra, sors de ta transe. »

Elle le fixait d’un regard immense, les yeux dans le vague.

(Reviens Abra c’est bon)

Ses épaules, qu’elle avait presque remontées jusqu’aux oreilles, se détendirent peu à peu. Ses yeux le voyaient de nouveau. Elle exhala un long souffle et se laissa aller en arrière dans le cercle du bras de son père.

« Abby ? appela Dave. Abba-Doo ? Ça va ?