Dave dit: « Ce que vous proposez est fou, mais ne manque pas d’attraits. Le principal étant de me donner peut-être l’occasion de voir ces… créatures… de mes propres yeux. Je crois que j’en ai besoin, parce que, en dépit de tout ce que vous m’avez raconté, je trouve encore difficile de croire à leur existence. Même avec le gant, et le corps que vous dites avoir trouvé. »
Abra ouvrit la bouche pour parler. Son père leva la main pour l’arrêter.
« Je veux bien croire que tu y crois, poursuivit-il. Que vous y croyez tous les trois. Et je veux bien croire aussi qu’un groupe d’individus dangereux et sérieusement dérangés sont peut-être — je dis bien peut-être — aux trousses de ma fille. Et j’adhérerais volontiers à votre idée, Mr. Torrance, si elle n’impliquait pas d’emmener Abra. Je refuse d’utiliser mon enfant comme un appât.
— Ce ne sera pas nécessaire », dit Dan. Il n’avait pas oublié comment la présence d’Abra dans la zone du quai de l’usine d’éthanol avait fait de lui une sorte de chien limier pour restes humains et combien sa vision s’était aiguisée quand Abra avait ouvert les yeux à l’intérieur de sa tête. Il avait aussi pleuré ses larmes à elle, même si aucun test ADN n’aurait pu le prouver.
À moins que… pensa-t-il. Qui sait ?
« Que voulez-vous dire ?
— Votre fille n’a pas besoin d’être avec nous… pour être avec nous. C’est sa façon d’être unique. Abra, as-tu une copine chez qui tu pourrais aller demain après l’école ? Peut-être même y rester pour la nuit ?
— Oui, Emma Deane, bien sûr. » À la lueur d’excitation qui dansait dans ses yeux, il vit qu’elle avait déjà compris ce qu’il avait en tête.
« Mauvaise idée, dit Dave. Je refuse de la laisser sans protection.
— Abra a été protégée durant tout le temps que nous avons passé en Iowa », dit John.
Les sourcils d’Abra se froncèrent et sa bouche s’entrouvrit. Dan s’en réjouit. Il était persuadé qu’elle aurait pu pêcher cette info dans son cerveau à tout moment, mais elle ne l’avait pas fait. Elle s’était conformée à ce qu’il lui avait demandé.
Dan sortit son téléphone portable, sélectionna rapidement un contact, l’appela. « Billy ? Si tu venais nous rejoindre ? On t’attend. »
Trois minutes plus tard, Billy pénétrait dans la maison des Stone. Il portait un jean, une chemise de flanelle rouge dont les pans lui descendaient presque à hauteur des genoux et une casquette Chemin de fer de Teenytown qu’il ôta pour serrer la main à Dave et à Abra.
« Tu l’as aidé pour son estomac, dit Abra en se tournant vers Dan. Je m’en souviens.
— Ah, tu as quand même un peu fureté », dit Dan.
Abra rougit. « Pas exprès. Jamais. Mais des fois… ça arrive, c’est tout.
– À qui le dis-tu.
— Avec tout le respect que je vous dois, Mr. Freeman, dit Dave, vous êtes un tout petit peu âgé pour jouer les gardes du corps, et c’est de ma fille dont il est question, ici. »
Billy souleva un pan de sa chemise, révélant un pistolet automatique rangé dans un vieux holster râpé. « Colt 9 mm, dit-il. Entièrement automatique. Modèle authentique de la Seconde Guerre mondiale. Lui aussi il est vieux, mais il fera le boulot.
— Abra ? interrogea John. Penses-tu que les balles sont capables de tuer ces choses, ou seulement les maladies infantiles ? »
Abra regardait le pistolet. « Oh, oui, dit-elle. Les balles en viendront à bout. Ce sont pas des gens-fantômes. Ils sont réels, tout comme nous. »
John regarda Dan. « Je ne pense pas que tu possèdes une arme ? »
Dan secoua la tête et regarda Billy. « J’ai un fusil de chasse que je peux te prêter.
– Ça risque… de ne pas suffire », dit Dan.
Billy réfléchit. « D’accord, je connais un gars du côté de Madison. Il achète et revend des armes plus puissantes. Certaines vraiment très puissantes.
— Oh, Seigneur, dit Dave. C’est de pire en pire. » Mais il n’ajouta plus rien.
Dan reprit: « Billy, est-ce qu’on pourrait réserver le train pour demain, si on veut aller pique-niquer au crépuscule à Cloud Gap ?
— Bien sûr. Les gens font ça tout le temps, surtout après Labor Day, quand les prix baissent. »
Abra sourit. C’était un sourire que Dan avait déjà vu avant. Son sourire mauvais. Il se demanda si ces Vrais auraient changé d’avis s’ils avaient su que leur cible avait ce genre de sourire à son répertoire.
« Bien, dit-elle. Bien.
— Abra ? » Dave paraissait déconcerté et un peu effrayé. « Abra ? »
Un instant, elle l’ignora. C’est à Dan qu’elle s’adressa: « Ils le méritent pour ce qu’ils ont fait au p’tit gars du base-ball. » De sa main en coupe, elle s’essuya la bouche, comme pour effacer ce sourire, mais quand elle la retira, le sourire était toujours là, et ses lèvres amincies laissaient voir la pointe de ses dents. Elle crispa le poing.
« Ils le méritent. »
TROISIÈME PARTIE
QUESTIONS DE VIE ET DE MORT
CHAPITRE 13
CLOUD GAP
EZ Mail Services était situé dans un centre commercial en enfilade, entre un café Starbucks et un Pièces Auto O’Reilly. Skunk y entra juste après dix heures, justifia de son identité d’Henry Rothman, signa le récépissé pour un colis de la taille d’une boîte à chaussures et ressortit avec le paquet sous le bras. Celui-ci portait comme adresse d’expéditeur une entreprise de fournitures sanitaires de Flushing, État de New York. Cette entreprise existait bel et bien, mais elle n’avait joué aucun rôle dans cette expédition particulière.
Malgré la clim’, l’atmosphère dans le Winnebago empestait l’odeur fétide de la maladie de Barry, mais tous s’y étaient habitués et ne la sentaient quasiment plus. Sous les regards attentifs de Skunk, la Piquouse et Zéro, Teuch trancha l’adhésif avec son couteau suisse et souleva les rabats du carton. Il en sortit un emballage de plastique à bulles puis une double épaisseur de peluche de coton. En dessous, encastrés dans du polystyrène, apparurent un grand flacon sans étiquette empli de liquide jaune paille, huit seringues, huit fléchettes et un pistolet en alu.
« Bonté divine, y en a assez pour expédier toute sa classe en Terre du Milieu, lâcha Jimmy.
— Rose a le plus grand respect pour cette petite chiquita », observa Skunk. Il sortit le pistolet anesthésiant de sa coque de polystyrène, l’examina, le remit à sa place. « Et nous en aurons aussi.
— Skunk ! » La voix de Barry était rauque et encombrée. « Viens ici. »
Skunk confia le contenu de la boîte à Teuch et rejoignit l’homme en sueur sur le lit. Barry était maintenant couvert de centaines de pustules rouge vif, ses paupières étaient presque soudées sur ses yeux gonflés, ses cheveux emmêlés lui collaient au front. Skunk sentait la fièvre irradier de lui comme d’un four, mais le Noiche était vachement plus solide que le pauvre Flop. Il n’avait pas encore commencé à cycler.
« Ça va, vous autres ? demanda Barry. Pas de fièvre ? Pas de plaques ?
– Ça va. T’inquiète pas pour nous, t’as besoin de te reposer. Essaye de dormir un peu.
— Je dormirai quand j’serai mort, et j’suis pas encore crevé. » Ses yeux striés de filaments rouges luisaient. « Je la capte. »
Skunk saisit sa main sans y penser, se fit intérieurement la remarque de la laver ensuite à l’eau bien chaude avec beaucoup de savon, puis se demanda à quoi bon. Ils respiraient tous son air vicié, s’étaient tous relayés pour l’aider à se traîner jusqu’aux toilettes. Leurs mains l’avaient touché de partout. « Tu sais laquelle des trois gamines c’est ? T’as capté son nom ?