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La porte était ouverte. Debout devant le cadavre de Serge Goldman, vêtue de sa mini-chemise de nuit et de son vison blanc, l’œil gauche au beurre noir, Marisa pleurait convulsivement. En apercevant Malko, elle recula vers la fenêtre, les yeux agrandis de terreur. Elle eut un sanglot et dit à voix basse.

— Ne me tuez pas, je vous en supplie, ne me tuez pas.

6

Malko et Marisa restèrent une seconde face à face sans parler. La jeune fille tremblait convulsivement. Elle ne portait pas de bas et la chair de poule hérissait ses jambes. Malko s’approcha d’elle et la prit par le bras. Elle se laissa faire, les yeux agrandis d’horreur, rivés au cadavre de Serge Goldman.

— Comment êtes-vous venue jusqu’ici, demanda-t-il en l’entraînant hors de la pièce.

Elle répondit à voix basse :

— J’avais peur toute seule dans ma chambre. Après qu’on se soit… bagarrées j’ai été voir dans votre chambre si vous étiez là. J’ai cherché partout. Je vous ai entendu aller par ici. Je me suis cachée et j’ai été voir quand il n’y avait plus personne.

Tout doucement, il la poussait vers l’escalier. Elle posa ses grands yeux sur lui :

— Dites, pourquoi vous l’avez zigouillé, Toto ?

On aurait dit qu’elle lui cherchait presque une excuse. Malko secoua la tête :

— Je ne l’ai pas tué. Si j’avais pu, j’aurais empêché qu’il soit assassiné.

— Mais pourquoi ?

— Je ne peux pas vous expliquer. D’ailleurs je ne sais pas tout moi-même des raisons pour lesquelles on l’a tué. Vous le connaissiez depuis longtemps ?

— Quatre jours.

— Vous savez pourquoi il est venu ici. Elle secoua la tête, avec une moue d’enfant.

— On devait aller aux Iles Vierges. Un chouette coin avec du soleil. Du moins, c’est ce qu’on dit. Pis, le soir où on partait y a quelqu’un qui est venu le voir. J’l’ai pas vu, Toto y m’avait planqué dans la chambre. Mais après Toto m’a dit qu’on partait plus aux Iles Vierges et qu’on allait en Europe. Et voilà. Après on vous a rencontré à l’aéroport.

Tout en parlant, ils avaient regagné la bibliothèque. Malko alla au bar et versa deux solides vodkas, ils en avaient besoin.

— Dites, fit Marisa, vous auriez pas un bout de viande ?

— De viande ?

— Ouais, pour mon œil.

C’est vrai, il virait au bleu. Malko se leva, alla à la cuisine et revint avec un bout d’escalope que Marisa étala sur son œil meurtri. Soudain, on entendit des pas dans l’escalier. La porte de la bibliothèque s’ouvrit et Alexandra parut.

Jamais Malko ne l’avait vue aussi belle. Elle avait défait ses longs cheveux qui coulaient sur ses épaules comme du miel. Ses yeux verts, agrandis et soulignés de noir, semblaient immenses. Elle qui ne se maquillait presque pas avait fait sa bouche, dessiné ses sourcils. Quant à ses seins, elle avait dû les gonfler à la main, tellement ils menaçaient de crever le chandail à col roulé. Elle se tourna à demi, mettant en valeur ses fesses cambrées et serrées dans le jodpur et dit d’une voix angélique :

— Bonsoir.

Il y eut un silence sidéral. Malko était statufié par cette apparition de rêve.

— Ne répondez pas tous à la fois, fit Alexandra, de plus en plus angélique.

Elle eut un petit geste désinvolte :

— D’ailleurs, lieber{Chéri.}, je passais seulement dire bonsoir. Au revoir, beau Prince.

Elle virevolta sur un sourire ironique et les talons de ses bottes claquèrent dans le hall.

Malko bondit de son fauteuil. Il rattrapa Alexandra la main sur le bouton de la porte.

— Où vas-tu ?

— Me coucher. Chez moi.

Elle était droite comme un I, méprisante et sûre d’elle.

— Reste.

Le bruit qu’elle émit tenait du ricanement, du crachement et du hululement.

— Pourquoi ? Tu as envie de faire une partouze ? Avec ta poufiasse américaine.

Malko l’aurait tuée.

— C’est ridicule. Je n’ai…

— Evidemment, tu n’as pas eu le temps… Bon. Laisse-moi partir maintenant.

— Mais pourquoi ce maquillage et, et…

Elle eut une moue amoureuse et ses lèvres effleurèrent celles de Malko, l’imprégnant d’un parfum délicat.

— Juste pour te montrer ce que tu perds, mein Schatz{Mon trésor.}. Adieu petit Prince imbécile.

La porte claqua au nez de Malko, le glaçant d’une rafale de neige. Quelques secondes plus tard, le moteur de la Volkswagen toussota et s’emballa.

Malko revint tristement dans la bibliothèque. Marisa n’avait pas bougé, l’escalope sur l’œil. Une fraction de seconde, il eut envie d’envoyer promener la C.I.A., Goldman et Marisa, et de ramener Alexandra par la peau du cou, quitte à lui faire subir les derniers outrages. Mais il y avait tant de choses à régler avant.

— Allez vous coucher, dit-il à Marisa. Je pense qu’il vaut mieux que vous restiez quelques jours ici.

Marisa était trop fatiguée pour discuter. Elle termina sa vodka, ôta son escalope, et monta l’escalier, suivie de Malko. Elle alla droit à sa chambre où elle entra.

— J’ai trop peur toute seule, expliqua-t-elle timidement. Au point où ils en étaient…

— Couchez-vous, je reviens, dit Malko.

Krisantem ne dormait pas. Assis sur son lit, il était occupé à scier en quatre l’extrémité des balles de son parabellum. Un gadget appris en Corée qui vous envoyait directement en enfer. Apparemment, il n’avait pas aimé que Grelsky lui casse son lacet.

— On ne peut pas laisser Goldman en haut, dit Malko. Krisantem se sentit soudain affreusement fatigué. Décidément, il n’avait pas gagné à son changement de situation. Avant, il tuait des gens, mais n’avait pas à les enterrer, maintenant, on lui faisait enterrer ceux qu’il ne tuait pas. Injuste.

— Je m’en charge, fit-il, résigné.

Rassuré, Malko alla se coucher. Avant d’avancer plus, il fallait contacter le chef de poste de Vienne. Après tout, on lui avait demandé d’intercepter Serge Goldman, sans parler de ce qu’il transportait. Marisa dormait déjà. Elle n’avait pas quitté son vison. Malko se déshabilla rapidement et se glissa dans le lit près d’elle. Elle bougea légèrement, envoya son bras et se rendormit. Malko fit de même, avec un peu d’amertume, en pensant à Alexandra. Si elle avait su…

* * *

Creuser une tombe, ce n’est jamais agréable. Mais la nuit, par une température de -7° ou -8°, avec un vent violent et glacé et un sol dur comme du granit, c’est une vraie partie de plaisir.

Enroulé dans une couverture, Serge Goldman attendait sagement. Krisantem s’était installé au fond du jardin potager, sur une étroite bande de terrain jouxtant la frontière. Dix mètres plus loin, c’étaient les barbelés du rideau de fer, qui mettaient en rage Malko. A cause des rectifications de frontière, son château n’avait pas plus de terrain qu’un pavillon de banlieue.

Une lampe-tempête posée près de lui, le Turc piochait comme si sa vie en dépendait. En vain. Le pic rebondissait sur la terre gelée. En une heure, il avait à peine entamé le sol de dix centimètres. Et Goldman était énorme, mort.

Découragé, le Turc massa ses reins douloureux. Quel métier ! Soudain, il eut une idée de génie. Il y avait une cabane de bois où on rangeait les meubles de jardin à dix mètres de là.