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Il chargea Goldman sur son dos à grand-peine et repartit. Dans la cabane, il faisait un peu moins froid, -5. Krisantem posa son macabre chargement à terre et regarda autour de lui. Juste près de la porte, il y avait un vieux fauteuil à bascule, un peu défoncé mais encore solide. Avec précaution, il assit le producteur dedans et l’enveloppa de couvertures qui traînaient là. Le fauteuil se balançait un peu en grinçant et c’était du plus charmant effet. Beaucoup plus gai qu’un trou dans la terre. Le Turc installa le mort confortablement, et partit sur la pointe des pieds, après avoir refermé le cadenas de la porte. Goldman était tranquille jusqu’au printemps, avec le temps qu’il faisait. On l’enterrerait en faisant les premiers semis.

* * *

William Coby était un grand garçon toujours impeccablement habillé, la raie sur le côté, l’air un peu étonné. Il avait été recruté pour la C.I.A. par un de ses rabatteurs, l’entraîneur de l’équipe d’aviron de l’Université de Yale. On aurait dit qu’il ne s’était jamais remis de cette surprise. Son côté diplomate lui avait permis d’accéder rapidement à un poste important. Mais c’était plus un analyste qu’un brutal. Il abhorrait le genre de missions auxquelles se livrait Malko et le lui faisait sentir. Pour l’instant, il était bien ennuyé.

— J’ai reçu des instructions, dit Coby à Malko, enfoncé dans un des profonds fauteuils de cuir du bureau. Il faut que vous retrouviez coûte que coûte ce Stéphane Grelsky. Il semble que les documents dont il s’est emparé soient d’une extrême importance. David Wise m’a câblé lui-même.

— Enfin, je ne suis pas tout seul à la C.I.A., dit Malko avec agacement. Et je suis en vacances.

Coby, embarrassé, lissa ses cheveux déjà impeccables :

— Je sais. Bien sûr. Mais je n’ai que vous sous la main pour… ce genre de travail. Notre meilleur agent de Vienne que vous connaissez d’ailleurs, Kurt von Hasel, est en voyage. De plus, il semble euh !… que David Wise tienne à ce que vous preniez l’affaire en main.

— Je suis très flatté. A propos, j’ai trouvé une sépulture provisoire pour Serge Goldman, mais ce n’est pas éternel. Je vais le mettre dans une caisse et vous l’envoyer un de ces jours.

Coby sursauta :

— Ici ! Mais c’est impossible.

— Bah ! fit Malko flegmatique, vous avez bien des grandes cheminées à l’Ambassade… !

L’autre balaya l’abominable supposition et tenta de reprendre un peu de dignité.

— Je ne peux malheureusement pas vous aider beaucoup. Personne ici ne sait où trouver ce Stéphane Grelsky.

— Savez-vous au moins qui il est.

— Il y a un dossier sur lui. Il travaille sans nul doute pour l’Est. Ces dernières années, il a monté plusieurs sociétés fictives en Europe pour la contrebande de métaux stratégiques. Il était surtout basé à Zurich et à Hambourg. C’est la première fois qu’on le voit sur une opération vraiment « noire ».

— Autant dire que vous ne savez rien, dit Malko. J’en apprendrais plus en lisant le Bottin mondain.

L’autre eut un geste d’impuissance. Visiblement, il ne tenait pas trop à s’occuper de cette affaire. Il eut pourtant un ultime geste de bonne volonté :

— Si vous voulez utiliser le télétype codé pour Washington, il est à votre disposition.

Comme dans presque toutes les ambassades, la C.I.A. avait un propre réseau de communications dont les « vrais » diplomates ne connaissaient même pas le code.

Sur ces bonnes paroles, William Coby se leva, signifiant que l’entretien était terminé. Les deux hommes se serrèrent la main mollement, et Malko se retrouva dans le couloir peint en gris clair. La C.I.A. occupait très officieusement le troisième étage de l’ambassade américaine. Bien entendu tout le monde le savait, mais on conservait une fiction polie, grâce à des pancartes indiquant des services absolument fantaisistes. Et comme d’autre part, l’ambassadeur russe à Vienne était un des meilleurs éléments du K.G.B., on était quittes. Malko retrouva Krisantem qui attendait au volant de la voiture, dans la cour. Le temps s’était un peu arrangé. Il ne neigeait plus, mais le ciel restait gris et bas et la température sibérienne. William Coby n’avait pas parlé de Marisa et Malko n’avait pas soulevé le problème. Il éprouvait un peu de pitié pour cette brave fille qui se trouvait mêlée bien malgré elle à une histoire sanglante. Dans la mesure du possible, il la protégerait.

— Mon cher, annonça-t-il à Krisantem, nous avons pour mission de retrouver nos charmants hippopotames. Avec ce qu’ils ont volé à Goldman.

Le sourire d’Elko Krisantem signifia que ce n’était pas pour lui déplaire. Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas la force qui est le propre des Turcs. C’est la rancune.

7

Malko engagea la Jaguar lentement dans Annagasse, une petite rue étroite et mal éclairée qui donnait dans Kärntnerstrasse, les Champs-Elysées de Vienne. Une putain en bottes et manteau de lapin regarda avidement la grosse voiture, cherchant à attirer le regard du conducteur. Il y en avait toujours plusieurs au début de la rue, non loin de l’enseigne lumineuse du Playboy Club. De temps à autre elles héritaient d’un client suffisamment échauffé par une partenaire à la morale rigide.

Le portier se précipita pour garer la voiture. Malko entra rapidement. En dépit de l’heure tardive, la salle du bas était bourrée. Pas une place au bar et partout des couples debout. La piste minuscule ressemblait à un magma surréaliste de Salvador Dali.

On aurait pu croire que le Playboy flambait, tellement il y avait de fumée. Malko se dirigea vers l’escalier du fond. Plusieurs filles le suivaient du regard. L’une le heurta du coude, volontairement. Il sourit derrière ses lunettes noires en voyant sa jupe remontée à mi-cuisse. Un verre de schnaps à la main, elle était complètement ivre. Elle lui cligna de l’œil.

Déjà, il disparaissait vers le premier étage. Le Playboy n’était pas un vrai « Playboy Club », comme il y en a aux Etats-Unis, avec des bunnies, des « petits lapins » : jolies filles vêtues de bas résille et d’une sorte de maillot d’une seule pièce avec un pompon au derrière. C’était tout simplement une discothèque, rendez-vous du Tout-Vienne. La salle du bas était réservée aux kramme comme disait la ravissante Alexandra. Toutes les coiffeuses et les vendeuses de Vienne venaient essayer d’y pêcher un amant riche et beau.

Le premier étage était vraiment un club privé où l’on pouvait dîner et danser. Le cerbère, un jeune homme falot et bien élevé avec une moustache tombante, laissa passer Malko. Il ne le connaissait pas, mais son allure distinguée le rassura.

Malko se dirigea vers le bar. Trois hommes assis sur des tabourets buvaient silencieusement. Une jeune femme au ravissant visage encadré de cheveux auburn, le regarda arriver avec intérêt. Elle était à demi assise sur son tabouret et sa jupe tirée dessinait ses cuisses d’une façon presque indécente. Malko la connaissait. C’était la Gräfin{Comtesse.} Thala von Wisberg. Divorcée deux fois, riche, elle ne choisissait ses amants que dans la jeunesse dorée du club. Il s’inclina devant elle et lui prit le bout des doigts.

— Küss die Hand, Gräfin{Je vous baise la main. Comtesse.}.

La vieille formule de l’aristocratie viennoise. Dans son élément, Malko retrouvait instinctivement l’accent nasal des nobles autrichiens. La comtesse lui sourit.

— Vous cherchez quelqu’un ?

— Alfi. Vous l’avez vu ? Elle rit.

— Il est là-bas, près de la piste. En train de faire la cour à une petite baronne hongroise. Il l’aura dans son lit ce soir.