Выбрать главу

Malko approuva. Dès qu’il serait à portée de radio de Krisantem, celui-ci pourrait peut-être les aider.

Trois minutes plus tard, le triporteur repartait. Il était quatre heures, mais déjà la lumière avait beaucoup baissé. Pendant un moment tout se passa bien, puis le grondement d’une voiture se rapprocha derrière eux.

Elle les dépassa. Soudain, le conducteur du triporteur freina. Il cria :

— Des hommes dans une Tatra noire. Elle a stoppé, ils me font signe d’arrêter.

— Obéissez, cria Malko.

— Une Tatra, ce sont des policiers, remarqua Michelska.

Cette fois, il n’avait plus affaire à des soldats sans méfiance. Ce ne pouvaient être que des hommes de la police secrète. Ou Janos Ferenczi lui-même.

11

Le triporteur cahota et stoppa sur le côté de la route. On entendit une portière claquer. Le conducteur annonça :

— Il y a deux hommes qui viennent.

Michelska, avant que Malko ait pu le retenir, écarta les quartiers de viande et s’accroupit près de la toile, le pistolet au poing.

— Ne bouge pas, dit Malko. C’est peut-être une vérification de routine.

On entendit l’un des deux hommes s’adresser au conducteur du triporteur.

— Où vas-tu avec ça ?

L’autre répondit d’une voix mal assurée :

— A Breclav, livrer de la viande.

— Tu as un laissez-passer pour sortir de la ville ?

— Non. Je ne sav…

— Bien. Tu vas nous suivre. Les miliciens s’occuperont de toi. En attendant, on va jeter un coup d’œil. D’ici que tu fasses du marché noir.

Malko eut un sourire ironique dans le noir. A quoi tiennent les choses… La toile fut soulevée brusquement. En une fraction de seconde, Malko enregistra les dents en or d’un inconnu au visage lourd, puis le Colt tonna et les dents se volatilisèrent. Rejeté en arrière, le policier tomba sur la chaussée. A cette distance, la balle d’un Colt, c’est un vrai obus. Déjà Michelska avait bondi dehors. Il y eut une autre détonation. Malko rampa sur la viande et sortit à son tour. Michelska était appuyé au triporteur, très pâle. L’homme aux dents en or était couché sur le dos, à moitié dans le fossé. Le bas de son visage n’était plus qu’une plaie rouge, sa mâchoire inférieure pendant sur sa poitrine, comme une horrible pendeloque.

Un autre homme était couché sur le côté, en chien de fusil, les deux mains pressées contre son côté. Son chapeau était tombé sur la route, près de lui. Il eut un hoquet et resta la bouche ouverte.

Michelska regardait les deux hommes en tremblant. Brusquement, il tourna la tête et vomit d’un long trait. Puis, il s’essuya avec sa manche, de la main qui tenait encore le Colt.

— Je… excusez-moi, balbutia-t-il. C’est la première fois que je vois quelqu’un mourir.

Il avait la moue piteuse d’un enfant qui a cassé un vase précieux. Malko le prit par le bras. Il eut l’impression de toucher un marteau pneumatique tellement l’autre tremblait.

— Ne restons pas là.

Un peu plus loin, la Tatra était arrêtée, portières ouvertes.

— A combien sommes-nous de la frontière, demanda Malko.

— Trois ou quatre kilomètres.

— Prenons la voiture. Laissons votre ami. Il n’a qu’à retourner sur Bratislava et, si on l’interroge, jurer qu’il n’a rien vu. Ce n’est pas ces deux-là qui le démentiront.

Indécis, le type au nez en trompette regardait les deux corps étendus. Michelska le prit par le bras et dit rudement :

— Allez, file, vite. Sinon, ils te prendront et te fusilleront.

Il ne dit rien mais monta sur son engin, mit en marche et fit demi-tour. Malko le regarda s’éloigner. Il espérait de tout son cœur qu’il s’en tirerait. Il ne savait même pas son nom.

— Prenons la Tatra et essayons de passer, dit-il. C’est notre chance. Ils coururent jusqu’à la voiture arrêtée. Sans l’abri du triporteur, les cadavres étaient visibles d’un kilomètre.

Malko se glissa au volant de la Tatra. Cela sentait la sueur et le tabac fort. Tout de suite, il aperçut un poste radio qui grésillait. Une voix cracha dans le haut-parleur :

— Allô, Slavin, Allô, Slavin, qu’est-ce qui se passe. Nous avons entendu des coups de feu. Allô, Slavin.

Malko tourna un bouton, la voix se tut. Après deux ou trois tâtonnements, il trouva la première et embraya. Dans le rétroviseur, il aperçut une voiture qui grandissait à toute vitesse.

— Il faut foncer, dit-il à Michelska. Ils n’auront peut-être pas le temps de tirer. Les miradors sont très en retrait du poste-frontière.

Ils venaient de s’engager dans la ligne droite qui se terminait aux miradors. La route était en surplomb d’un bois assez clair. Tout de suite, Malko aperçut quelque chose d’anormal. La route était obstruée par un camion, formant chicane. Plusieurs hommes se tenaient à côté. Il jeta un coup d’œil à Michelska. Le jeune homme avait retrouvé son calme. Le barillet de son Colt basculé, il remplaçait les cartouches manquantes.

— La route est barrée, annonça Malko. Michelska leva ses yeux clairs.

— Je connais un passage à un kilomètre d’ici. Il y a une rivière. Mais il faut aller à pied.

— Nom de Dieu ! fit Malko.

La voiture qu’il avait aperçue dans le rétroviseur était toute proche maintenant. C’était une Tatra noire, comme celle qu’ils avaient volée. Il y avait deux hommes à l’avant.

— Prépare-toi, dit Malko. Ça va secouer.

L’autre voiture n’était plus qu’à cent mètres. Malko donna un coup de volant et fonça sur le bas-côté. Il n’y avait pas de fossé, mais une pente douce jusqu’à un champ gelé. La Tatra s’y engouffra comme sur un toboggan. Malko essaya d’en garder le contrôle, mais la prairie était une vraie patinoire. Ils allaient encore à près de 80. Par miracle il évita un poteau en ciment, louvoya le long d’une barrière et vit venir un énorme arbre, droit devant.

— Attention !

L’aile avant droite disparut, comme par enchantement. La Tatra tourna sur elle-même et s’arrêta le moteur emballé. Machinalement, Malko coupa le contact. D’un coup d’épaule, il ouvrit sa portière. Michelska saignait de la bouche mais sauta à terre. Malko enfonça jusqu’aux chevilles dans la neige. Ils étaient à environ trois cents mètres de la route. Deux silhouettes apparurent, debout sur le talus. Les occupants de l’autre voiture devaient croire à un accident.

— Par là, cria Michelska.

Il courait déjà vers la lisière d’arbres.

On appela de la route. Malko ne se retourna pas. Deux coups de feu claquèrent. A cette distance, ils ne risquaient pas grand-chose, au pistolet. Mais l’alerte était donnée. Gêné par le porte-documents Malko courait moins vite que son compagnon. Celui-ci dut l’attendre, embusqué derrière un arbre.

Une seconde, ils observèrent la route. Les deux hommes ne tentaient pas de les suivre.

— Ils vont chercher du renfort, observa Malko. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

Ils marchèrent vingt minutes sans un mot. Le bois était assez clairsemé, mais les buissons et les trous recouverts de neige rendaient la marche pénible.

— C’est encore loin ? demanda Malko essoufflé.

— Un kilomètre.

Malko pensait à Krisantem. Le Turc se trouvait à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau. Dans un autre monde. Entre eux il y avait la double ligne de grillage, les miradors et les gardes du rideau de fer. Il envoya la main entre ses omoplates pour tâter si sa radio était toujours là.

— Aidez-moi, demanda-t-il à Michelska. J’ai quelque chose de collé dans le dos avec du sparadrap. Une radio. Prenez-la.