Il se baissa et le Tchèque glissa la main dans le col. Entre les deux omoplates, il repéra la petite boîte noire et tira. Le sparadrap se détacha facilement.
Michelska regarda la boîte avec étonnement.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une mini-radio, expliqua Malko. Emetteur-récepteur. Un bijou de la miniaturisation. De l’autre côté, en Autriche j’ai un ami qui a le même. Il pourra peut-être nous aider.
— Mais alors, vous… vous êtes un vrai espion ? Les yeux du jeune Tchèque brillaient d’excitation.
— Hélas ! fit Malko.
Du coup, Michelska ne se sentait plus de joie. Il était tout prêt à voir son nom gravé sur un monument aux morts. Ce que c’est que la connerie humaine.
Malko déplia la minuscule antenne et appela à voix basse.
— Elko, Elko, vous m’entendez ?
Seul le grésillement de l’appareil répondit. Il réitéra son appel plusieurs fois, devant Michelska anxieux, puis coupa le contact.
— Ou il est trop loin, ou il n’est plus à l’écoute. J’ai bien peur que nous n’ayons plus à compter que sur nous-mêmes.
Le porte-documents semblait soudain plus lourd à son bras. Il était dans une rage froide en pensant qu’il était en train de risquer sa vie et sa liberté pour un secret qui n’en serait probablement plus un dans six mois, avec les progrès de la technique. Au loin, on entendit des appels et des coups de sifflets.
— Ils ne se pressent pas, dit Malko, amer, ils savent bien que nous sommes coincés.
— Allons à la rivière, dit Michelska. Nous pourrons passer. Des amis l’ont fait. Il suffit de plonger et de rester sous l’eau une minute. Le courant vous porte.
— Tu es sûr qu’il n’y a pas de piège ? Le jeune Tchèque secoua la tête.
— Il n’y a que les gens du pays qui savent qu’elle est assez profonde pour se cacher. Et peut-être ceux qui ont construit le barrage l’ont-ils fait exprès.
Ils marchaient maintenant dans un petit sentier gelé, Michelska en tête. Soudain, il s’arrêta.
— Voilà la rivière.
C’était plutôt un ruisseau. Il coulait perpendiculairement à la frontière. Michelska obliqua à gauche, suivant la ligne d’arbres. Et brusquement, ils furent devant le rideau de fer. En contemplant cette nouvelle muraille de Chine, Malko fut submergé d’admiration pour le travail de fourmis que cela représentait.
Il y avait d’abord un glacis dégageant la clôture. Celle-ci, côté tchèque, se composait d’un épais grillage d’environ quatre mètres de haut, tenu par des poteaux en ciment espacés d’une dizaine de mètres. Le tout était surmonté de six rangées de fil recourbés de fer barbelés, vers l’intérieur.
Ensuite, un espace libre de cinq ou six mètres, comme un chemin de ronde, et une seconde clôture semblable à la première. Les deux s’étendaient à perte de vue, de chaque côté. De loin en loin des projecteurs étaient fixés sur certains des poteaux en ciment.
— Il ne faut pas toucher aux fils de fer, souffla Michelska. Ils sont électrifiés. Pas assez pour vous tuer mais cela déclenche un signal d’alerte. Les gardes viennent en voiture, en utilisant le chemin de ronde. Il y en a tous les kilomètres, par ici, à cause de la route. De toute façon, il aurait fallu des outils. Ni l’un ni l’autre n’en avait. Creuser la terre durcie par le gel était impossible. Et cela aurait pris des heures. Or, c’était une question de minutes.
Le barrage enjambait la rivière. Malko comprit tout de suite le plan du Tchèque. Les poteaux en ciment étaient enfoncés sur chaque rive et le grillage affleurait l’eau. Mais il n’allait pas jusqu’au fond. Il devait y avoir la place de se glisser.
Michelska avançait avec précaution. Malko le vit descendre devant lui. Et brusquement il s’arrêta. Il le rejoignit sur le bord et comprit. La rivière était gelée.
A quatre pattes sur la glace épaisse, le jeune Tchèque s’avança jusqu’à toucher la clôture. Il avait ramassé une grosse pierre et tapait sur la glace. Il ne réussit qu’à faire jaillir quelques éclats. L’eau était prise jusqu’au fond. Il aurait fallu de l’explosif. Malko soupira. Il sentait le regard désespéré de Michelska posé sur lui.
— Il faut revenir en arrière, jusqu’à la ville et nous cacher, dit-il. Le Tchèque secoua la tête.
— Vous ne connaissez pas le pays. Personne ne nous aidera, c’est trop dangereux. Nous avons tué des policiers. Même ma tante me jetterait à la porte.
— Essayons quand même.
La glace de la rivière, avec ses aspérités, offrait une assez bonne prise. Ils se mirent tristement en marche vers l’Est. Si seulement il pouvait trouver une cachette sûre pour le porte-documents. Sinon, il fallait le détruire.
Ils firent cinq cents mètres en silence. La rivière s’élargissait, bordée à gauche par une petite colline. Soudain Malko aperçut une blessure jaune dans la colline. Au pied se trouvaient une sorte de tour métallique, une baraque et de gros engins mécaniques de terrassement.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
— Une carrière.
— Allons voir. On y trouvera peut-être des outils.
Comme des patineurs en folie, maintenant leur équilibre, les bras écartés, ils regagnèrent la rive.
La cabane était fermée par un énorme cadenas. Malko la contourna et tomba en arrêt devant un énorme bulldozer recouvert de toiles à sac. Malko resta à le contempler comme si c’était la dernière Rolls du Salon. Michelska l’avait rejoint et regardait sans comprendre.
— Mon vieux, fit Malko, il s’agit de faire démarrer cet engin. Ça m’étonnerait que le grillage lui résiste…
Le Tchèque se précipita, arracha les toiles, et commença à farfouiller sur la machine. Au bout d’un instant, il se releva et annonça :
— Il y a de l’essence. Mais ça va être dur de le faire démarrer avec ce froid. Laissez-moi faire.
Il courut vers le chantier et revint avec une boîte de conserve et un bout de tuyau. En dix secondes, il eut soutiré un peu d’essence au réservoir, de quoi remplir la boîte. Il y ajouta de la terre et sortit un briquet de sa poche.
Une jolie flamme bleue s’éleva à trente centimètres. Michelska prit la boîte et la glissa sous le carter du bulldozer, puis se releva les yeux brillants.
— Dans dix minutes, l’huile sera chaude. On pourra le faire partir à la manivelle.
Un quart d’heure environ s’était écoulé depuis qu’ils avaient quitté la route. Le temps que les recherches s’organisent, ils avaient une chance de s’en tirer.
Les deux hommes s’accroupirent près de la cabane. Heureusement la flamme pâle ne se voyait pas de loin. On devait les chercher près du barrage. Malko sortit sa radio et l’alluma. Aussitôt la voix de Krisantem perça le silence si fort qu’il baissa précipitamment.
— Ici, Elko. Ici Elko, m’entendez-vous ?
Le Turc répéta trois fois. Malko sauta sur le bouton.
— Elko, je vous entends très bien. Où êtes-vous ?
— Dans un chemin au nord de la route, à environ un kilomètre de la frontière. Et vous ?
— Au nord aussi. A peu près même distance. La police est derrière nous. Nous allons tenter de franchir le barrage avec un bulldozer. Venez à notre rencontre.
— D’accord. J’attendrai de vous voir.
— O.K. Rappelez toutes les cinq minutes.
Malko coupa. Une lueur de triomphe dansait dans ses yeux dorés. Le silence retomba. Malko priait silencieusement ; pourvu que le bulldozer démarre. C’était trop bête d’échouer si près du but. Même avec l’aide de Krisantem, ils n’auraient pas le temps d’ouvrir une brèche dans le barrage sans l’engin.
Malko regarda sa montre : neuf minutes s’étaient écoulées depuis que Michelska avait allumé sa boîte. La flamme n’était presque plus visible.