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Marisa, à genoux sur le lit, le buste dressé, nue comme la vérité, le contemplait d’un air furieux :

— C’est tout l’effet que je te fais, siffla-t-elle. Je pourrais aussi bien me taper un mannequin… Merde alors !

A sa grande confusion, Malko réalisa qu’il n’avait réagi que très modestement, à ses savantes caresses. Il n’eut pas le temps de s’en excuser. Furieuse, elle sauta du lit, se drapa dans sa baby-doll et partit en claquant la porte.

Malko ne chercha pas à rattraper Marisa. Il n’avait plus envie de faire l’amour. Il lut les dernières pages du rapport presque avec angoisse. Il revoyait les photos tragiques de John Kennedy portant la main à sa gorge et s’effondrant sur les coussins de la Lincoln blanche. Les hommes qui avaient voulu cela étaient maintenant aux postes de commande des U.S.A. Et l’on ne pouvait rien contre eux. Mais, en cette minute, lui Malko, petit agent de la puissante C.I.A. était plus puissant qu’eux tous. Il pouvait ébranler l’Amérique, et acculer au suicide les coupables.

Car ce qu’il lisait n’était pas un document anonyme. Au bas de la dernière page, il y avait trois signatures.

Trois signatures manuscrites d’hommes dont les noms étaient synonymes de puissance et d’intégrité.

Trois signatures qui donnaient un poids sans recours aux accusations du rapport. Mais aussi puissants et écoutés qu’ils soient, ces trois hommes ne pouvaient utiliser leur enquête.

Mais quelle joie cela serait pour les Russes ou les Chinois, de communiquer ce dossier à l’O.N.U., Malko imaginait un quelconque Président noir ou jaune lisant à la tribune le récit de l’assassinat de Kennedy par sa propre administration. Comme dans la plus vulgaire des républiques-bananes de l’Amérique Centrale… Il y a des parades pour les fusées, il n’y en a pas pour les mots.

Malko ignorait par quelle filière tortueuse le rapport était tombé entre les mains de Serge Goldman. C’était en tout cas une belle réussite de l’espionnage soviétique ; encore plus fort que le vol du discours de Khrouchtchev au vingt-troisième Congrès du Parti Communiste. Il aurait voulu ne jamais l’avoir connu. Subitement, il comprenait les déserteurs idéologiques, les savants qu’on retrouvait brusquement à Moscou, qui proclamaient leur dégoût de l’Occident et du capitalisme. Eux aussi avaient été peut-être confrontés brutalement avec un horrible secret, intransmissible… Mais c’était la même chose de l’autre côté…

Déprimé, il se leva et passa sa robe de chambre en velours rouge, discrètement armoriée. Il remit le dossier à couverture bleue dans son semainier et le ferma à clef. A pas de loup, il descendit au rez-de-chaussée. Le château était endormi. Marisa devait cuver sa vodka et sa rancune à moins qu’elle n’ait été récupérée par Krisantem. Malko s’assit dans son fauteuil préféré, un verre et une bouteille de vodka sur un guéridon à côté de lui. Il ne remonta se coucher que lorsque la bouteille fut vide.

* * *

Le ciel était bleu et la neige avait cessé de tomber. En passant sous le grand pont de chemin de fer annonçant les faubourgs de Vienne, Malko fut soulagé. En dépit de la présence de Krisantem, de son lacet, de son vieil Astra et de son fusil, il avait roulé au maximum de sa vitesse. Ferenczi avait dû être pris de court. Rien ne s’était passé. Les embouteillages du Ring réchauffèrent son cœur. L’Ambassade américaine se trouvait un peu en retrait, Schwartzenberg Platz. Krisantem, toujours stylé, entra dans la cour et se précipita pour ouvrir la portière à Malko. Celui-ci monta le perron et se fit annoncer dans le bureau de William Coby.

Il avait le porte-documents noir sous le bras. Le fermoir, à demi arraché, tenait par miracle.

Très vite, un jeune homme blond, vague sous-fifre de l’Ambassade, au col impeccablement boutonné, une rangée de stylos dans le gousset, vint le chercher. Il guida Malko jusqu’au bureau du Chef de poste de la C.I.A., mais n’entra pas avec lui.

William Coby fit le tour du bureau Empire, la main tendue, nettement plus chaleureux que d’ordinaire.

— Vous avez révolutionné la frontière, mon cher, s’écria-t-il. Les Tchèques ont élevé une protestation diplomatique. Ils vous enverront certainement la facture du bulldozer.

Son rire très mondain agaça prodigieusement Malko.

— A-t-on des nouvelles du garçon qui m’a aidé à fuir ? Michelska, je ne connais que son prénom.

L’Américain se gratta discrètement la gorge.

— Les Tchèques annoncent qu’ils ont abattu un des fuyards, fit-il, très désinvolte, ce doit être lui.

On aurait dit qu’il commentait un match de golf. D’ailleurs, il ne laissa pas le temps à Malko de s’appesantir sur la mort de Michelska.

— Je vois que vous avez notre… euh !… objet, dit-il. Good job. Malko ne répondit pas. Assis dans un fauteuil trop dur, le porte-documents sur les genoux, il essayait de rencontrer le regard de William Coby. Mais les grands yeux aux cils un peu trop longs étaient toujours en mouvement. Et quand ils vous regardaient, on avait l’impression d’être transparent.

L’Américain se pencha pour prendre un paquet de cigarettes dans un tiroir de son bureau et Malko nota qu’il avait les cheveux très longs dans le cou. C’était une barbouze yé-yé.

Brusquement, il eut envie d’être sorti de ce bureau et d’oublier toute cette histoire. Il avait tant de choses à faire encore dans son château. Se levant, il posa le porte-documents sur le bureau, le fermoir en évidence :

— Voilà votre bien, fit-il. Je vous conseille de l’enfermer dans le plus proche coffre-fort.

Les yeux de William Coby papillotèrent vertigineusement. A demi levé sur son siège, il regardait le porte-documents comme si Malko avait déposé sur son bureau un cent de serpents à sonnettes :

— Qui l’a ouvert ? demanda-t-il à voix basse.

Comme s’il parlait de quelque chose d’obscène. Sa morgue et sa désinvolture avaient disparu. Un vilain pli encadrait sa bouche. Le regard qu’il leva sur Malko n’avait plus rien d’amical.

— Les balles de notre ami Ferenczi, dit Malko, sarcastique. Mais elles ne savent pas lire.

— Vous l’avez lu ?

C’était plus une affirmation qu’une question. Malko plongea ses yeux d’or dans les grands yeux vides. Il n’avait pas envie de mentir, même si la prudence le recommandait.

— Oui.

William Coby, sans répondre, pressa un bouton sur son bureau. Le jeune homme blond apparut si vite, qu’il devait avoir l’oreille collée à la serrure.

— Allen, voulez-vous dire à Son Excellence que sa présence est vivement souhaitée dans mon bureau ?

C’est la première fois que Malko voyait un secrétaire d’Ambassade donner des ordres à un Ambassadeur, mais tout se perd. Le jeune homme blond disparut.

Coby resta muet à son bureau. Il n’avait toujours pas touché au porte-documents.

— Vous ne vérifiez pas le contenu ? demanda Malko avec un peu d’ironie.

— Je n’y suis pas habilité, répondit l’Américain, très froid. L’Ambassadeur entra sans frapper. Il avait des yeux très bleus, les cheveux coupés ras et deux plis encadrant une grande bouche sensuelle. Malko l’avait déjà rencontré. Ils se serrèrent la main et le diplomate se tourna vers William Coby.

— Vous avez besoin de moi ?

— Oui.

Rapidement, il raconta l’histoire du porte-documents, sans préciser ce qu’il contenait. L’Ambassadeur le coupa avant la fin, plutôt sec :