— Je ne veux rien savoir de vos histoires. Je l’ai déjà dit à Washington. Et je réprouve absolument l’usage de l’Ambassade à de telles fins. Penaud, William Coby insista :
— Excellence, je vous demande seulement une chose. Enfermer ce porte-documents dans votre coffre personnel, après l’avoir clos hermétiquement.
Devant le visage constipé du diplomate, il prit une profonde inspiration et dit très lentement :
— Excellence, il s’agit de secrets intéressant directement la sécurité des U.S.A. S’il le faut, je vous ferai contacter par le Département d’Etat.
— Ils n’ont donc pas confiance en vous ! fit l’Ambassadeur cinglant. Exemple touchant de la franche camaraderie régnant entre le personnel diplomatique et les gens de la C.I.A. Malko se faisait tout petit dans son coin.
— J’insiste pour que vous fermiez ce document vous-même, fit Coby, rouge comme une pivoine.
L’Ambassadeur eut un sourire contraint et appela :
— Allen.
Le jeune homme blond surgit de nouveau.
— Voulez-vous aller dans mon bureau prendre de la cire et mon sceau ?
Il y eut un silence à couper au couteau, pendant l’absence du blondinet. William Coby était encore rouge jusqu’aux oreilles. Quant à l’Ambassadeur, il contemplait avec un intérêt qu’il ne méritait certainement pas, un affreux chromo représentant l’Opéra de Vienne, accroché au-dessus du bureau.
Le jeune blond revint avec un bâton de cire rouge et un sceau. L’Ambassadeur sortit un briquet en or de sa poche, et s’approcha du bureau.
Le visage impénétrable, il arrosa de cire tout le fermoir jusqu’à ce qu’il y en ait une couche épaisse. William Coby suivait tous ses mouvements comme une bigote en extase devant un curé de campagne. Le bâton de cire presque fini, l’Ambassadeur souffla dessus et prit le sceau. Avec soin, il imprima l’aigle américain à trois endroits différents. On ne pouvait ouvrir le porte-documents sans briser le sceau.
L’Ambassadeur eut un petit rire sec.
— Cela vous suffit-il ainsi ?
— Voulez-vous, jusqu’à nouvel ordre, l’enfermer dans votre coffre. Sans mot dire, l’Ambassadeur prit le porte-documents et quitta la pièce, après un bref signe de tête à Malko.
Le sourire de William Coby était redevenu chaleureux. Il prit le bras de Malko qui se hérissa imperceptiblement :
— Encore bravo, mon cher S.A.S. Vous n’avez pas volé votre réputation. J’espère que vous nous rendrez encore beaucoup de services comme celui-ci.
Malko n’avait pas envie d’éterniser les adieux. Mais l’Américain tint à le raccompagner lui-même à travers les couloirs, de plus en plus affable.
— A propos, et la jeune femme qui accompagnait ce Serge Goldman ? Elle est toujours chez vous ?
— Voulez-vous que je vous l’envoie ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, mais, euh ! je pense que…
— Demain, je la remets dans l’avion pour New York, dit Malko ; elle n’était pour rien dans cette histoire.
— Bien, bien.
Coby resta sur le perron pendant que la voiture faisait crisser le gravier. Malko éprouvait une impression bizarre. Décidément, ce type lui était profondément antipathique.
— On retourne à la maison, ordonna-t-il à Krisantem.
La petite voiture noire roulait à une allure très raisonnable sur la route verglacée. Elle était partie de Vienne à peu près au moment où Malko quittait son château. A l’intérieur, ses deux occupants n’échangeaient pas un mot. D’abord, ils n’aimaient pas parler, cela les fatiguait. Ensuite, ils n’avaient rien à se dire. Et leur avocat leur avait toujours dit que moins on parle, mieux cela vaut. Celui qui conduisait, Erwin Tiebel, était presque chauve, avec une tête et un corps tout rond. Une vraie réclame de charcuterie. Le genre de type tout de suite sympathique, qui offre volontiers à boire. Il avait des mains petites, avec des ongles très longs et très noirs. Une collerette de pellicules soulignait le col de son costume gris. Heinz Felfe avait l’air, lui, d’un clerc de notaire. Pas beaucoup de cheveux non plus. Il cachait de petits yeux en boutons de bottine derrière d’épaisses lunettes de myope, carrées, sans monture. Sa moustache soigneusement coupée aux ciseaux tous les matins soulignait un énorme nez aux arêtes aiguës. Lui avait des mains soignées et longues avec des ongles manucurés. C’était le technicien de l’équipe.
Il travaillait depuis de longues années avec Erwin, un ancien boucher dont les connaissances en anatomie étaient parfois précieuses. Mais c’était un garçon extrêmement susceptible qui piquait des rages noires pour un motif futile. Il avait horreur qu’on lui dise qu’il était un assassin.
« Un exécuteur, je suis, t’entends, patate, éructait-il. Un exécuteur, ça n’a rien à voir. Toi, t’es une lope, sans moi, tu pourrais rien faire, t’aurais les jetons. »
Heinz le laissait parler, et ne se formalisait pas. C’était quand même une très bonne équipe.
Heinz Felfe alluma une cigarette et observa d’un ton sentencieux :
— Regarde le château à gauche. C’est là qu’a vécu une des plus grandes familles autrichiennes, les…
— Qu’est-ce que tu veux que cela me foute. C’est encore loin ? Erwin était un peu mondain.
— On a encore vingt bornes, concéda Heinz.
— Qui y a là-bas en dehors de la nana ?
Toujours nerveux, avant l’action, Erwin. Il n’avait pourtant que des succès à son palmarès.
— Un vieux couple. Ça doit pas poser de problème. Erwin baissa la glace et jeta son cigarillo à moitié brûlé.
— Je trouve qu’on est pas assez payé, fit-il. Après tout c’est une gonzesse.
Un peu plus tard, ils entrèrent dans le village de Liezen. Heinz Felfe se mit à scruter la droite de la route. Ils arrivaient à un croisement avec un panneau indicateur complètement recouvert de neige. Il ordonna :
— C’est là, tourne à droite.
Marisa s’était réveillée tard, avec l’impression d’avoir avalé un gros paquet de coton hydrophile. Après avoir sauté de son lit, elle entrouvrit la porte et écouta dans le couloir : pas un bruit. Pieds nus, elle alla jusqu’à la chambre de Malko et ouvrit doucement la porte : personne.
Elle revint dans sa chambre et commença à faire sa toilette. Une heure plus tard, elle finissait de se maquiller lorsqu’elle entendit un bruit de voix dans le hall. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre. Une voiture noire était arrêtée au milieu de la cour. Presque aussitôt, elle entendit la voix d’Ilse :
— Fräulein Marisa.
En toute hâte, elle passa une robe de jersey collante, remonta sa poitrine et sortit de la chambre.
Il y avait deux hommes dans le hall. Le plus grand qui avait un chapeau et des lunettes, lui fit un bon sourire : il dit en anglais approximatif :
— Nous venons de la part du Prince Malko. Pour vous emmener à Vienne.
— A Vienne, pour quoi faire ? Le sourire s’accentua encore.
— Déjeuner. Le Prince n’a pas voulu vous laisser seule. Il ne peut pas revenir avant ce soir.
Le petit gros n’avait pas dit un mot. Marisa lui trouva une bonne tête. Il se passa la langue sur les lèvres et elle se dit qu’il avait envie d’elle. Elle en fut presque attendrie. Un petit gros comme ça. Pouah ! Elle était si ravie de l’invitation, qu’elle ne songea à poser aucune question.
— Je finis de me préparer, minauda-t-elle. Entrez dans la bibliothèque. Je vous rejoins dans cinq minutes.
Elle remonta l’escalier, prenant bien soin de se déhancher entre chaque marche.
La vieille Ilse retourna surveiller sa cuisine. Elle savait que Malko revenait déjeuner mais personne ne le lui demanda. Heinz et Erwin étaient restés debout, dans un coin de la bibliothèque, assez intimidés. On peut être tueurs et avoir du respect pour les belles choses.