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— Nom de Dieu ! dit-il, le mec du château !

Brusquement, il transpirait et ses mains se crispèrent sur le volant. Heinz Felfe regarda à son tour. La Jaguar roulait beaucoup plus vite qu’eux. Il était encore trop loin pour distinguer qui était à l’intérieur.

— Ne t’énerve pas, dit-il. Ce n’est pas la seule Jaguar de ce pays. Erwin éructa une série d’obscénités et, lâchant son volant d’une main, sortit un Luger et le posa sur ses genoux.

— J’vais pas me laisser faire, gronda-t-il. T’es une vraie lavette. Heinz mit la main sur son bras.

— Qu’est-ce qu’on risque ? On est sur une route nationale.

— Regarde !

La Jaguar était à vingt mètres derrière eux maintenant. Avec son capot plongeant, on aurait dit un énorme limier lancé à la poursuite d’une proie.

Erwin écrasa l’accélérateur. La voiture était à fond. Brusquement la sirène de la Jaguar leur déchira les oreilles. Elle roulait presque pare-chocs contre pare-chocs. Erwin fit une embardée, terrorisé. Maintenant, il voyait le visage des deux hommes. Il comprit qu’il n’avait pas beaucoup de chances d’arriver à Vienne vivant.

— Qu’est-ce qu’on fait ? fit-il d’une voix suppliante.

Heinz était habitué à tout sauf à l’improvisation. Mais il ne voulut pas perdre la face devant son complice.

— Te laisse pas doubler, fit-il. Dès qu’on arrive à l’aéroport, tu tournes. On risquera plus rien, c’est plein de flics.

— C’est facile à dire.

Cramponné au volant, il gardait un œil sur le rétroviseur, surveillant le mufle de la grosse voiture. Soudain, un camion déboucha de la courbe à cent mètres de lui. Il dut se rabattre sur le côté pour le laisser passer. Il n’eut pas le temps de reprendre le milieu de la chaussée. Comme un éclair la Jaguar arriva à leur hauteur. Une fraction de seconde, Erwin rencontra le regard de Krisantem. Il faillit en lâcher son volant.

— Braque, hurla Heinz.

— Je ne peux pas, il va plus vite que moi, gémit Erwin désespéré. Soudain une voiture surgit en face. La Jaguar fut obligée de se rabattre derrière eux pour éviter la collision. Erwin reprit aussitôt le milieu de la route. Ses mains tremblaient. Il vit le bras de Krisantem sortir de la portière armé d’un gros pistolet.

— Ils vont nous flinguer !

— Voilà l’aéroport.

En effet, à deux cents mètres devant eux, il y avait l’embranchement de Schwechat.

— Loupe pas ton virage, hein ! fit Heinz. Sinon on est cuits.

— T’en fais pas, pépère.

Les deux mains accrochées au volant, Erwin prit son souffle. Un méchant sourire fendit sa grosse bouille. L’embranchement n’était plus qu’à dix mètres. Brusquement il braqua tout à gauche. Au même moment un car sortait de la petite route. Instinctivement, Erwin freina. Le verglas fit le reste. La Wolkswagen noire effectua un tête-à-queue complet. Tournant comme une toupie, elle partit sur le côté gauche de la chaussée. Un lourd camion semi-remorque arrivait de la direction de Vienne. La petite voiture vint littéralement s’encastrer sous l’avant du camion, rebondit et s’immobilisa de l’autre côté sur le flanc. La scène n’avait pas duré dix secondes. Malko avait freiné et évité le camion de justesse. Il parvint à stopper la Jaguar, dix mètres après la voiture renversée. Lui et Krisantem coururent vers la Volkswagen. Le camion avait basculé dans le fossé opposé. Personne n’était encore en vue.

Ils arrivèrent les premiers à la voiture noire. Tout le côté droit était broyé. On distinguait une forme humaine enchevêtrée dans la ferraille. Quand Malko s’accroupit un hurlement jaillit de la voiture.

— Ma tête. Aidez-moi.

Erwin Tiebel était vivant. Sa grosse tête était coincée entre la portière qui s’était ouverte et le montant. Il supportait tout le poids de la voiture. Ses yeux affolés croisèrent le regard glacial de Malko.

— Qui vous a envoyé ? demanda celui-ci, en allemand. Erwin sanglota :

— Bougre de salaud, fumier, foutez-moi la paix.

— Ferme ta gueule, c’est pas digne, fit Krisantem. On t’a posé une question.

— Allez vous faire foutre !

— On va y aller, mais pas tout de suite, dit Krisantem, sinistre. Mine de rien, il s’appuya de tout son poids sur la voiture, écrasant encore un peu plus le crâne de l’Allemand.

Le cri jaillit, atroce :

— Vous allez me tuer, vous m’écrasez la tête. Lâchez ça, nom de Dieu ! Ordure, salaud, me touchez pas.

Erwin invectivait les deux hommes en sanglotant. Il ferma les yeux et émit encore une suite de cris désespérés. Malko, impassible, se pencha vers lui. Il n’avait pas beaucoup de temps. Un des types du camion accourait, suivi des gens de l’autocar.

— Je vous dégage tout de suite si vous me dites qui vous a envoyé.

Erwin se tut et ouvrit les yeux.

— C’est Kurt, beugla-t-il. Ce fumier, cet enculé… !

De loin, on aurait dit que les deux hommes faisaient tout leur possible pour secourir les blessés. Malko tenta de soulever la voiture. Maintenant qu’il était fixé, il ne voulait pas causer de nouvelles tortures à l’inconnu. Mais la carrosserie retomba avec un dernier hurlement de Erwin. Du sang jaillit de ses oreilles et brusquement, il ne bougea plus.

Dix minutes plus tard, quand une dizaine d’hommes furent parvenus à remettre la voiture sur ses roues, on sortait deux cadavres. Heinz Felfe avait été tué sur le coup, écrasé par les tôles. Malko et Krisantem s’éclipsèrent discrètement. Décidément, ce n’était pas encore les vacances. Malko se souvenait de la promesse qu’il avait faite à Marisa. Elle se croyait en sécurité chez lui. Il n’aimait pas qu’on lui fasse renier sa parole.

13

— Monsieur est encore couché. Il est un peu souffrant. Si vous voulez repasser plus tard…

— Tsst, Tsst, fit Krisantem.

Délicatement, il écarta Malko et chatouilla la gorge du maître d’hôtel avec la pointe d’un poignard horriblement effilé. L’autre roula des yeux blancs et recula suffisamment pour que les deux hommes puissent entrer. Ce sont des mœurs qui ont peu cours à Vienne. Certes, ce n’était pas digne d’un gentleman, mais les circonstances…

— Où est-il ?

Le gros Autrichien loucha vers la lame et dit à voix basse :

— Au fond dans la chambre. Mais…

— Si tu continues à parler, coupa Krisantem, je te les coupe et je te ferme la gueule avec.

Dites sérieusement, ce sont des phrases qui inspirent une saine méditation.

Médusé, l’autre se laissa tomber sur une chaise et regarda d’un œil bovin les deux hommes se diriger vers le fond de l’appartement. Il aurait bien appelé la police, mais il sentait encore la brûlure de la lame sur sa gorge.

Malko entra sans frapper, son pistolet à la main. Ce n’était pas précisément une visite de politesse. Il avait eu le temps de réfléchir à pas mal de choses depuis l’assassinat de Marisa. Effectivement, Kurt von Hasel était encore couché. Dans un superbe lit à colonnes, confortablement appuyé à deux oreillers, vêtu d’une veste de pyjama pourpre boutonnée jusqu’au cou. Un plateau était posé devant lui, sur le lit, avec une bouteille de Dom Pérignon, une boîte de caviar « Béluga » avec une petite cuillère plantée au milieu, et à côté une pile de toasts. Devant l’apparition de Malko et de Krisantem, Kurt resta pétrifié une seconde, un toast en l’air. Une expression d’abjecte terreur déforma ses beaux traits, mais il se reprit et parvint à sourire, ignorant délibérément le pistolet braqué sur lui.

— Eh bien, quelle visite imprévue !… fit-il presque enjoué. Vous voyez, je suis un peu souffrant.