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— Du beau travail, fit Malko sombrement. On a fait ça pendant que nous étions à l’Eden Bar, donc nous étions suivis depuis chez Kurt. Donc…

Il ne termina pas sa phrase, mais Krisantem serra amoureusement son lacet au fond de sa poche. Il avait liquidé des tas de gens pour beaucoup moins que cela, dans le temps, Krisantem. Ce genre de meurtre le dépassait et lui faisait peur.

— Comment… comment ont-ils fait ? Malko haussa les épaules.

— Classique. Vous prenez deux ou trois livres de cyclonite avec un détonateur électrique à retardement. Le tout monté sur une plaque d’acier aimantée. On le colle sous le châssis en dix secondes.

« Ce salaud de Kurt savait à quoi s’en tenir. Je suis le suivant sur la liste. Il a reçu l’ordre de liquider tous ceux qui ont eu ce porte-documents entre les mains. Alors, moi qui l’ai lu… La Mercédès Diesel stoppa devant Hertz, Malko paya et descendit. Cinq minutes plus tard, ils ressortaient dans une Mercédès 220 SE, grise de location.

— Allons faire un tour chez Kurt, proposa Malko. Il est peut-être assez imprudent pour être encore là.

Devant la maison de Kurt, il n’y avait rien de suspect. Le maître d’hôtel ouvrit immédiatement. En voyant Malko et Krisantem, il devint grisâtre.

— Non… Monsieur est sorti.

— On va voir, fit Krisantem.

Instruit par l’expérience, l’autre fit un saut de côté et essaya d’entrer dans le mur. Les deux hommes visitèrent rapidement l’appartement. Il était bien vide.

— Il ne va pas revenir de si tôt, dit Malko. On saura vite qu’il n’y avait qu’un portier dans la voiture.

Ils ressortirent. Au passage, Krisantem donna une tape du plat de la main sur le front du maître d’hôtel, qui heurta violemment le mur. A titre d’arrhes.

Malko hésitait. Son premier mouvement était de foncer à l’Ambassade et de secouer William Coby par son élégante cravate jusqu’à ce que mort s’ensuive… Mais à quoi bon ? Coby n’était aussi qu’un exécutant. Quant à l’Ambassadeur, il se laverait les mains de ce règlement de barbouzes, à condition qu’on ne salisse pas ses tapis. L’ordre venait de Washington, donné par des hommes qui ne se laisseraient fléchir par aucune considération sentimentale. Malko maudissait son aveuglement. Il aurait dû savoir que dans ce métier, les services passés ne garantissent pas l’avenir. S’il ne trouvait pas rapidement une astuce, il était mort.

Pour l’instant, il aurait aimé retourner chez lui, pour réfléchir. La mort du portier du Sacher lui donnait quelques heures de répit. Après la chasse recommencerait.

Pour se détendre un peu, il repensa au gag involontaire de l’employé de Hertz :

— Assurance tous risques ? avait-il demandé.

— C’est préférable, avait dit Malko. Les routes sont verglacées en ce moment.

Et le plomb vole bas.

Sorti des embouteillages de la Simmeringerhauptstrasse il se détendit un peu et essaya de faire le point.

Il était certain d’une chose : pour la C.I.A., il était l’homme à abattre. C’est la première fois qu’il se trouvait dans une telle situation. Il avait souvent été traqué, mais avait au moins un havre. Bien sûr, il pouvait aller prendre un avion à Francfort pour n’importe où. Et après ?

Ou il restait dans un pays de l’Ouest et la C.I.A. finirait immanquablement par le retrouver car il n’avait pas, comme les anciens nazis, un réseau pour l’aider et le protéger. Evidemment s’il demandait l’asile politique aux Russes, ceux-ci seraient trop heureux d’accueillir un transfuge de la C.I.A. Il savait aussi comment cela se terminerait. Ou bien, il croupirait dans un bureau, affecté à une obscure besogne de propagande, ou alors on le renverrait vers l’Ouest, comme agent double. Et cette fois, ses anciens amis auraient deux raisons de l’abattre au lieu d’une…

Quand il franchit la grille du château, il n’avait toujours pas résolu son problème. Méfiant, il resta dans la Mercédès tandis que Krisantem allait reconnaître les lieux. Celui-ci reparut au bout de quelques minutes et fit signe que tout était tranquille.

Malko s’installa dans la bibliothèque et se servit une vodka pendant que Krisantem, prévoyant, allait placer le Remington 44/45 dans le porte-parapluies, à portée de la main. Le téléphone sonna.

C’était la voix d’Alexandra. Quand elle reconnut Malko son ton devint brusquement indifférent. Si elle avait su ce qui était advenu à sa malheureuse rivale, elle eût été plus chaleureuse…

— Je voulais parler à Krisantem, mentit-elle. Il devait venir m’aider à réparer le tracteur.

Malko mourait d’envie de l’inviter à dîner. Mais ce n’était vraiment pas le moment. Il se força à dire simplement :

— Bien, je te le passe.

Il appela Krisantem.

Celui-ci parla quelques secondes et tendit le récepteur à Malko :

— Elle veut vous parler.

Le ton d’Alexandra s’était considérablement radouci :

— Tes amis sont repartis ?

— Oui.

Ce n’était qu’à moitié faux. Marisa allait rejoindre Goldman dans la cabane du jardinier.

Malko imaginait Alexandra avec ses éternelles culottes de cheval, sa poitrine haute, moulée dans un chandail de grosse laine. Et toujours ses yeux pers avec leur petite lueur insolente et lascive. Une bouffée de chaleur lui noua l’estomac.

— Tu es chez toi, ce soir ? demanda-t-il.

— Oui.

— Veux-tu que je vienne te dire bonsoir ?

— Pourquoi ne m’invites-tu pas à dîner ?

— Je préfère venir chez toi.

C’était le mot à ne pas dire. Il dut écarter le récepteur de son oreille pour ne pas être assourdi. Jamais il n’aurait pensé que de telles horreurs puissent sortir d’une aussi jolie bouche. Elle jeta une dernière injure :

— Salaud. Tu as encore cette Graben{Pute.} ! Tu veux baiser les deux dans la même soirée. Et moi qui…

Il ne sut pas ce qu’elle avait l’intention de faire. Etouffée par la rage, elle avait raccroché avec tant de force que l’appareil en trembla. La standardiste de Liezing qui écoutait toutes les communications locales devait se régaler.

Tristement, Malko vida sa vodka et reprit le téléphone. Il voulait être sûr à cent pour cent de ne pas se tromper. Il composa le numéro de l’Ambassade américaine à Vienne et attendit.

— American Ambassy in Vienne, fit une voix cristalline.

— Je voudrais parler à William Coby.

— De la part de qui ?

Le ton était complètement indifférent. Une seconde Malko crut qu’il avait fait un cauchemar.

— Le Prince Malko Linge.

— Un instant, s’il vous plaît.

Il entendit qu’on le débranchait. Puis, la voix toujours aussi cristalline annonça :

— M. Coby n’est pas là. Puis-je prendre un message ?

— Quand sera-t-il là ? Nouveau silence, puis :

— M. Coby est absent pour plusieurs semaines.

— Merci. Voulez-vous dans ce cas me passer Son Excellence l’Ambassadeur ?

Il sentit la surprise de la fille qui, bien stylée, dit :

— Je vais voir si Son Excellence est arrivée.

Nouveau silence, plus long cette fois-ci. Puis, la standardiste, plutôt embarrassée annonça :

— Son Excellence déclare ne pas vous connaître. Pouvez-vous lui faire connaître par écrit le motif de votre visite ? Si cela relève de ses attributions, il vous recevra certainement.

— Non, ce n’est pas la peine.

— You are welcome, conclut la standardiste avant de raccrocher. Merveilleuse politesse américaine. On est toujours bienvenu, même si on est l’homme à abattre.