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Il reposa l’appareil. Il n’y avait plus qu’une chance à tenter. Reprenant le récepteur, il demanda l’international.

— Je voudrais le 351.11.00 à Washington, aux U.S.A., demanda-t-il à l’opératrice. En urgent.

Il était cinq heures, donc onze heures du matin à la C.I.A. Le numéro qu’il appelait était celui du standard.

On lui annonça quelques minutes d’attente et il raccrocha.

Il avait vidé un grand verre de vodka quand la sonnerie le fit sursauter :

— Washington à l’appareil, annonça la téléphoniste.

Comme toujours, l’opératrice de la C.I.A. se contentait de répéter :

— Ici, 351.11.00.

Jamais elle n’annonçait une raison sociale, même fictive. Ceux qui appelaient savaient à qui ils téléphonaient.

Malko demanda à parler à David Wise et annonça son code à sa secrétaire. Il y eut une série de bourdonnements, puis celle-ci fit :

— M. David Wise est en conférence. Pouvez-vous lui laisser un message. On ne peut le joindre en ce moment.

C’était faux. Où qu’il aille, Wise avait toujours un téléphone à portée de la main.

— Très bien, fit Malko. Dites-lui qu’il me rappelle.

Il laissa son numéro, puis demanda à la standardiste :

— Voulez-vous me donner William Marshall ?

Cette fois, il eut la voix joviale de Bill, son vieux copain, presque immédiatement. C’est lui qui avait supervisé toutes ses missions au Moyen-Orient.

— Comment ça va ? fit l’Américain. Tu appelles en P.C.V., j’espère ?

— Mal, dit Malko. Peux-tu me rendre un grand service ?

— Sûr.

— Essaie de savoir ce qui se mijote à mon sujet.

— A ton sujet ?

Il semblait sincèrement étonné.

— Oui. Je ne peux pas t’expliquer. Je suis tricard et peut-être pire. Rappelle-moi plus tard. Voici mon numéro.

— O.K., O.K., fit Bill. Mais je ne comprends rien. Tu n’as pas fait de conneries au moins ?

— Non. Sinon, je ne t’appellerais pas.

Quand il eut raccroché, il demeura de longues minutes enfoncé dans son fauteuil. Bill représentait le dernier lien avec la C.I.A. Déjà, il n’existait plus pour les Américains de Vienne ni pour David Wise. Celui-ci ne rappellerait jamais.

Le téléphone sonna une demi-heure plus tard. Malko se força à ne décrocher qu’à la troisième sonnerie. Il y eut les inévitables cliquetis, puis la voix de Bill, tendue et soucieuse.

— Je ne sais rien, annonça-t-il. Black-out complet. Officiellement il n’y a rien.

On sentait bien qu’il aurait aimé en dire plus. Mais Malko interprétait ses silences. Le cloisonnement de la C.I.A. jouait bien. Si Bill avait pu savoir quoi que ce soit, ce ne pouvait être qu’une vague rumeur. Il était sûr que l’ordre de sa liquidation venait de David Wise lui-même et peut-être de plus haut.

— Je te remercie, dit-il à Bill. De toute façon, ça n’a pas beaucoup d’importance.

— Au revoir, fit Bill.

— Au revoir.

Cela n’aurait servi à rien de raconter ses malheurs à Bill. Il n’aurait rien pu faire, même en brandissant le brillant dossier de Malko. Dix ans de services venaient d’être rayés au nom de la raison d’Etat. On lui enverrait peut-être des fleurs après, et on le réhabiliterait. Un quart de siècle plus tard.

Il contempla avec mélancolie ce décor qu’il aimait tant. C’est pour tous ces objets inertes, ces meubles et ces vieilles boiseries qu’il risquait sa vie depuis tant d’années. Juste au moment où il commençait à en profiter, il n’avait pas du tout envie de mourir. Mais pas du tout. Malheureusement l’analyse lucide de la situation ne lui laissait pas beaucoup de chances. En Europe, la C.I.A. disposait d’un réseau qui lui était tout dévoué et qu’elle employait aux sales besognes : l’Apparat Gehlen, en Allemagne, du nom de son patron Wilhelm Gehlen, ancien patron de l’Abwehr. Personne ne l’avait photographié depuis 1945. De sa villa de Pullach, près de Munich, il dirigeait son réseau rallié à la C.I.A. Ses hommes avaient eu l’excellente formation de la Gestapo ou des groupes spéciaux S.S. du front de l’Est. Spécialisés dans les opérations « ponctuelles », ils avaient joyeusement assassiné une quantité énorme d’agents soviétiques en Europe, ou présumés tels, avec des méthodes très variées qui allaient de la bombe au corps enduit de mercure. C’était les meilleurs spécialistes du genre en Europe et les mauvaises langues disaient qu’ils se faisaient de petits suppléments en louant leurs services à des particuliers. Mais on dit tant de choses… A moins de transformer son château en bunker, Malko avait peu de chances de leur échapper longtemps, même avec l’aide de Krisantem.

Il se leva, et mit un disque d’Albinoni. Il fallait qu’il y ait une solution.

Krisantem interrompit ses pensées en annonçant lugubrement :

— Le dîner est servi.

Cela risquait d’être un des derniers. Autant en profiter.

14

La sonnerie du téléphone retentit, insistante et aiguë. Malko décrocha, pour la forme. Il savait déjà que personne ne répondrait. Il entendit une respiration calme et le « clic » de l’appareil raccroché. Ceux qui le traquaient ne péchaient pas par excès de finesse. Ils ne se cachaient même pas. Plusieurs fois, depuis la veille, « on » avait téléphoné. Etait-ce pour s’assurer de sa présence au château ou pour fatiguer ses nerfs ? Malko penchait plutôt pour la première hypothèse. Trois jours s’étaient écoulés depuis l’attentat contre la Jaguar. Claquemuré dans son château, Malko tournait en rond.

S’il avait été raconter à la police autrichienne que des tueurs aux ordres de la C.I.A. voulaient l’exécuter on lui aurait ri au nez. Et à vrai dire, il n’arrivait pas complètement à y croire. Krisantem appela du premier étage. Il s’était installé dans la petite salle d’angle de l’aile ouest avec la Remington et assez de cartouches pour tenir la guerre de cent ans. Il surveillait la route d’accès au château pour être à l’abri d’une surprise. Derrière, c’était le territoire hongrois. Peu de chances que les tueurs de Gehlen se risquent par là. Chacun d’eux avait chez les Russes une fiche de recherches longue comme la Bible.

Malko regarda le ciel bleu. En dépit du froid persistant, le beau temps était revenu. La neige ne tombait plus. Il aurait aimé chausser ses bottes et aller à pied voir Alexandra.

Un rêve aussi impossible que de se rendre dans la lune. En dehors du château, il était en danger de mort ; et même là, ils trouveraient bien un moyen de l’atteindre. Lui et Krisantem ne pourraient pas passer toutes leurs nuits à se relayer pour veiller. Il n’avait plus de cigarettes. Après avoir fouillé tous les tiroirs, il se décida : il voulait bien mourir, mais pas cesser de fumer. En réalité, c’était un prétexte. Il ne s’accoutumait pas à l’inaction et mourait d’envie d’aller voir si les autres étaient venus jusque-là.

— Krisantem !

Elko descendit à toute vitesse, la Remington au poing. Si le facteur était entré brusquement, il tombait raide mort.

— On va au village, dit Malko. Acheter des cigarettes. En même temps, on verra s’il y a quelque chose de suspect.

Le Turc opina silencieusement. Cette escapade ne lui disait rien. Mais il alla chercher la Mercédès de Hertz et la sortit de la cour. Malko avait déjà mis son manteau de cachemire bleu marine et passé son pistolet dans sa ceinture. Il n’avait jamais pu s’accoutumer aux holsters qui déforment les vestes et tiennent par de disgracieuses courroies.

Ils roulèrent sans se parler jusqu’à la place du village. Tout de suite, Malko remarqua trois voitures stationnées devant le Gasthaus-Weinstube{Café restaurant.} où il se ravitaillait. Deux étaient immatriculées en Allemagne, avec le « M » de Munich, la troisième était l’Austin 1100 noire avec la grande antenne téléphonique.