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Après avoir garé la Mercédès à côté, suivi de Krisantem, il poussa la porte en carreaux de couleur.

Un homme occupait la cabine téléphonique du fond, entièrement vitrée. Il portait des lunettes et avait des dents de lapin, un grand feutre vert était rejeté sur sa nuque. Lorsqu’il aperçut Malko, il roula des yeux effarés derrière ses verres, puis plongea la main droite dans la poche de son pardessus.

Mais Malko, ostensiblement, s’était accoudé au comptoir. Il faut dire que l’attention était détournée par Krisantem, qui était entré la Remington 44/45 à bout de bras. Il posa l’arme bien à plat sur le zinc, la main sur le pontet et comme par hasard, le canon à dix centimètres d’un type accoudé au bar : le crâne rasé, de gros yeux noirs proéminents, un nez en trompette et un imperméable de cuir noir. Gai comme un furoncle. Il buvait en silence avec un autre affreux. Enorme ; celui-là, ventru et fessu. Les cheveux soigneusement brillantinés, de grosses lunettes de myope et une chevalière en or ornée d’un diamant au petit doigt.

Les deux restèrent la chope de bière en l’air. Le patron salua Malko.

— Gruss Gott, Hoheit{Dieu vous bénisse, Altesse.}. Vous chassez ?

— J’ai aperçu un sanglier, dit Malko.

— Ach ! Bonne chance.

Si on lui avait dit que le gibier se trouvait dans son Gasthaus, il aurait été moins placide.

Malko commanda un Steinheger pour lui et un thé pour Elko, puis jeta un coup d’œil à la salle. Quatre hommes étaient assis à une table près de la fenêtre. De là, ils prenaient en enfilade la route du château.

Pour l’instant, ils jouaient aux cartes. Deux étaient de dos. Massifs, la nuque rouge, avec des loden verdâtres.

Ceux qui faisaient face à Malko n’étaient guère plus rassurants. L’un portait des lunettes aux verres fumés et une petite moustache sur un visage couperosé, l’autre avait une tête de cheval espagnol, on aurait dit le fils naturel de Fernandel, en négatif, avec deux grands yeux tristes.

Krisantem ne perdait pas une miette du spectacle. Imperceptiblement, son doigt s’était rapproché de la détente de la Remington. Les joueurs n’étaient plus exactement à leurs cartes. Il y eut des craquements de chaises et un ou deux grognements. C’est à qui ferait le geste le plus mesuré. Des gens prudents.

Heureusement, Malko rompit le silence.

— Vous avez des étrangers ? dit-il au patron.

— Ach ! fit le vieil Autrichien. Ces messieurs tiennent une réunion d’anciens combattants… Il baissa la voix. Je crois que ce sont d’anciens policiers, alors, ils sont venus ici pour être tranquilles, net war{N’est-ce pas. Déformation autrichienne de nicht wahr.}. Très commerçant, il précisa :

— Des messieurs très, très corrects. Et ils boivent beaucoup… Ach ! si on pouvait avoir beaucoup de clients comme ça… !

En tout cas, le type au crâne rasé aurait donné cher pour être ailleurs. Le bout de la Remington s’était encore rapproché. Il devait être en train de calculer en combien de morceaux son crâne allait voler. Les joueurs cherchaient certainement à se payer car ils avaient tous les mains au fond de leur poche.

Le patron avait fini de préparer la commande de Malko. Celui-ci mit le paquet sous son bras gauche, salua aimablement et dit à Krisantem :

— Nous rentrons.

Le Turc, lentement, sortit le dernier. Polis, les quatre joueurs soulevèrent leurs feutres.

Malko prit le volant. Krisantem jeta un coup d’œil de regret au Gasthaus :

— On pouvait en faire de la charpie, murmura-t-il.

— Pas sûr. Ils étaient sept, c’est beaucoup. Ensuite, à quoi bon ? Demain, il y en aurait eu d’autres. Et qu’est-ce qu’on aurait dit à la police autrichienne ? C’est nous qui serions devenus des assassins.

— Qu’est-ce qu’on va faire alors ?

— J’ai une idée. Mais, il faut que nous semions ces types, avant tout. Il expliqua son plan au Turc. Celui-ci hocha la tête, approbateur. Au moment où Malko entrait dans le hall, le téléphone sonna.

— Mais ils sont idiots ! s’exclama-t-il. Il décrocha, furieux.

— Allô ! fit une voix de femme avec un léger accent ; Son Altesse le Prince Malko ?

— C’est moi, fit Malko un peu surpris.

— Ne quittez pas, je vais vous passer Son Excellence l’Ambassadeur d’U.R.S.S.

Il y eut quelques craquements, le temps, probablement de brancher quelques magnétophones et Malko entendit une voix joviale et distinguée, parlant un allemand parfait.

— Cher ami. Je crois que nous n’avons jamais eu le plaisir de nous rencontrer. Mais je donne ce soir une petite fête à l’Ambassade et j’aimerais beaucoup que vous soyez des nôtres.

— Quelle bonne surprise ! dit Malko, pince-sans-rire. Je suis très flatté que vous me transmettiez cette invitation vous-même. Excellence…

— Bah ! qu’avons-nous à faire du protocole ! grogna l’Ambassadeur. Je crois que nous avons au moins un goût commun : la bonne vodka. On m’en a justement envoyé quelques bouteilles de vieille Strestaïa. Un vrai régal.

Il oubliait un autre point commun. L’Ambassadeur était un des as du K.G.B. C’était le secret de polichinelle. Les Américains qui truffaient déjà leurs Ambassades de conseillers culturels-bidon n’avaient quand même pas eu encore le culot de mettre des ambassadeurs-bidon. Or, l’Ambassadeur savait que Malko savait et Malko savait également que l’autre savait : ce qui donnait tout son sel à leur conversation.

— Je ne sais si je pourrai passer, dit Malko. J’ai beaucoup à faire en ce moment.

— Je n’en doute pas, dit l’Ambassadeur avec un rire poli. Mais j’aimerais quand même que vous fassiez un effort, pour que nous puissions bavarder ensemble. Vous êtes un homme passionnant, Prince Malko.

Cela ne lui écorchait pas la bouche de donner son titre à Malko. Comme quoi, il y a des accommodements avec le Marxisme. C’était une ouverture on ne peut plus directe. Malko remercia poliment pour l’invitation. Il n’avait pas l’intention d’aller à l’Ambassade. Les Russes étaient capables de le kidnapper purement et simplement. Il ne serait pas le premier à franchir la frontière dans une malle diplomatique. En tout cas, les nouvelles allaient vite. Il y avait quelqu’un chez les Américains qui mangeait au moins à deux râteliers : l’Ambassadeur était remarquablement informé.

Krisantem était entré dans la bibliothèque pendant qu’il téléphonait :

— Tout est prêt, annonça-t-il.

— Parfait.

Malko s’excusa rapidement auprès du Russe, promettant de faire son possible pour passer.

A côté de la Mercédès de location, Krisantem avait sorti la vieille Opel station-wagon qui servait à faire les courses. Dans la Mercédès, il y avait deux valises, une pour chacun, avec l’essentiel pour quelques jours.

Les deux voitures franchirent lentement la grille. Malko jeta un coup d’œil nostalgique dans le rétroviseur. Quand reviendrait-il ? Il roulait en tête.

Lorsqu’il entra dans le village, il aperçut le rideau à carreaux du Gasthaus bouger légèrement. Aussitôt il accéléra. Le paquet de tueurs qui se rua dehors faillit passer sous les roues de l’Opel. Krisantem leur jeta un mauvais sourire. Il regrettait sincèrement de ne pas avoir de grenades.

La Mercédès filait sur la route verglacée. Le chasse-neige était passé, ne laissant qu’une pellicule de glace. La ligne droite faisait bien six kilomètres. Ils n’étaient pas au bout que trois points noirs apparurent. La chasse commençait.

Malko avait calculé qu’il leur faudrait dix bonnes minutes pour les rejoindre.

Cinq minutes plus tard, la Mercédès était talonnée par une Austin 1100 noire avec une grande antenne de radio : la voiture de Kurt. Mais celui-ci n’était pas à l’intérieur. La voiture avait des pneus à pointes de tungstène qui lui permettaient de rouler aussi vite que sur un sol sec.