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Elle frissonna sous sa panthère. Malko démarra avec un coup d’œil dans le rétroviseur. Krisantem suivait. Malko savait que Thala von Wisberg habitait dans le XIVe district, près du château de Schönbrunn, hors de la ville.

Il conduisit sans mot dire. Soudain Thala rompit le silence :

— Vous êtes un homme passionnant, Malko. Il y a quelque chose en vous qui m’intrigue. Une force, un mystère. Vous êtes tellement plus intéressant que tous ces jeunes gens qui se croient romantiques parce qu’ils vous parlent d’amour avant de vous le faire.

Elle était renversée en arrière sur la banquette, les yeux mi-clos, et son visage avait perdu cet air sophistiqué qui intimidait tant ses jeunes amants. Elle semblait jeune et affamée. Malko était un peu surpris. Il la connaissait de longue date et leur intimité n’avait jamais dépassé le stade du baise-main. Pourquoi ce soir, brusquement ?

La Rover montait lentement Schlosstrasse déserte. Derrière, les lanternes de la Mercédès suivaient à vingt mètres. Dans la poche droite de son pardessus, Malko avait son pistolet extra-plat prêt à tirer. Mais l’intérieur de la voiture formait un petit univers clos et chaud, où il se sentait invulnérable.

— Je suis ravi de vous plaire, Thala, dit-il. Vous êtes une des plus jolies femmes de Vienne.

La Gräfin poussa une exclamation étouffée.

— Là, tournez à droite dans la petite route.

Malko obéit. C’était un des innombrables chemins étroits qui serpentaient le long des collines de Breitensee. Soudain, les phares éclairèrent une barrière et un écriteau : Sackstrasse{Impasse.}. Il freina brusquement et stoppa.

— Vous vous êtes trompée.

— Non.

Avant de pouvoir répondre, il reçut le choc de la bouche de Thala. Elle l’embrassa avec violence tandis que sa main coupait le contact. Sans qu’il s’en rende compte, elle avait glissé hors de son manteau. A travers le tissu léger de sa robe, il sentait les pointes durcies de ses seins. Elle avait repoussé l’accoudoir central et s’appuyait de tout son corps contre lui.

Maintenant, elle lui murmurait des mots étouffés à l’oreille tandis que ses mains fiévreuses parcouraient son corps. Malko avait presque l’impression d’être attaqué par quelqu’un de plus fort que lui, d’être violé. En même temps les mots que prononçait Thala étaient empreints de la soumission la plus absolue. Le contraste entre son accent aristocratique et les expressions crues qu’elle employait fit oublier à Malko tous ses problèmes. Il la saisit aux hanches.

La voix de la jeune femme était de plus en plus rauque. Son parfum se mêlait à celui du cuir de la voiture. Leur étreinte avait l’air d’une lutte dans le petit univers limité par le changement de vitesse, les sièges de cuir et le tableau de bord aux manettes menaçantes. Des mains douces se crispaient pour griffer. Il y eut un bruit de tissu déchiré. Thala gémit, son élégante robe noire arrachée jusqu’à mi-cuisse. Puis elle se laissa aller contre Malko, comme une poupée désarticulée. Il la reposa doucement dans le coin de la banquette. Il avait mal à la lèvre qu’elle avait mordue et pensait à Krisantem, voyeur involontaire. Quelle drôle d’aventure.

Thala tourna son visage vers lui. Elle avait les yeux brillants et se pencha à travers la largeur de la banquette. Elle lui prit la main et la porta à ses lèvres. Elle lui embrassa la paume, puis brusquement la mordit si fort qu’il sursauta.

— Pardon, murmura-t-elle. Je suis si excitée. C’est extraordinaire de faire l’amour comme ça dans une voiture. On se sent un peu en danger. Si on nous surprenait…

Malko, le corps endolori et la chemise trempée de sueur réprima un sourire. Ce n’était ni une contravention, ni un scandale que risquait l’élégante Gräfin. Heureusement que Krisantem veillait sur leurs amours.

— Mais pourquoi ce soir ? demanda-t-il.

Elle hésita bien quinze secondes, puis dit, à voix basse :

— Alfi m’a dit que vous étiez un homme… dangereux, que vous… vous étiez en danger maintenant. Ça m’a fait quelque chose. J’avais envie de… d’inhabituel…

— Je vois, fit Malko.

Il était partagé entre l’envie de la gifler ou de lui refaire l’amour, là tout de suite. Elle était encore offerte, sa robe remontée si haut qu’on voyait la peau au-dessus de ses bas. Elle regardait Malko de ses grands yeux marron, presque humblement.

— C’est vrai ce que m’a dit Alfi ? répéta-t-elle à voix basse.

— Oui, fit Malko brutalement. En ce moment je suis en danger de mort. Et vous aussi, par la même occasion.

A travers la banquette, elle posa vivement sa main sur le bras de Malko :

— Je veux vous aider. Venez chez moi. Vous serez en sécurité.

Sa voix était redevenue aristocratique. Malko sourit presque tendrement. C’était le meilleur côté de la Gräfin, la solidarité de classe. Même si Malko n’avait pas été son bref amant, elle l’aurait recueilli.

— Je veux bien pour ce soir, dit-il. Plus longtemps ce serait dangereux, pour vous. Je vous jure, en tout cas, que je n’ai rien fait de déshonorant.

— Pourquoi ne prévenez-vous pas la police ? Il haussa les épaules.

— Il s’agit d’un autre monde que vous ne soupçonnez même pas. Ne m’en demandez pas plus. Cela vous mettrait en danger vous aussi. Mais il y a un petit problème…

Il lui expliqua l’existence de Krisantem. Elle sursauta et tenta de percer l’obscurité. Mais la Mercédès était invisible.

— J’aurai une chambre pour lui aussi, dit-elle.

Malko fit faire demi-tour à la Rover. La Mercédès surgit du néant et se retrouva derrière. Krisantem était de plus en plus perplexe. Cinq minutes plus tard, le petit convoi arrivait chez la Gräfin. Ils traversèrent un grand parc et stoppèrent devant une bâtisse sombre. Thala von Wisberg se dirigea d’un pas ferme vers le perron et ouvrit la porte. Malko l’avait rejointe. Elle lui chuchota :

— Je suis obligée de vous donner une chambre, à vous aussi. A cause des enfants et des domestiques.

Malko comprenait parfaitement. Il alla à la Mercedes et expliqua à Krisantem les développements de la situation.

— Vous êtes sûr que ce n’est pas un piège ? fit le Turc.

Il n’avait pas tellement confiance dans les femmes, le Turc. Samson et Dalila, ça c’est passé dans le bassin méditerranéen.

— Non, répliqua Malko fermement. J’ai une absolue confiance en Thala.

C’était exact. Mais il avait beaucoup moins confiance en Alfi. Il faudrait décamper le lendemain.

Le hall était éclairé. Une petite vieille aux yeux clignotants de chouette se tenait près de la Gräfin. Celle-ci dit à l’intention de Malko :

— Maria ne peut pas se coucher tant que je ne suis pas rentrée. Il y a bien cinquante ans qu’elle est dans la famille, net war, Maria ? La vieille grogna. Elle tournait autour de la robe décousue de Thala et jetait à Malko des coups d’œil réprobateurs. Elle dit, en dialecte viennois :

— La Gräfin va dans de drôles d’endroits. Elle devrait penser à son rang.

Sur ces paroles vengeresses, elle disparut en clopinant dans les profondeurs de la maison, résolument réprobatrice. Peut-être devinait-elle la vérité. Elle connaissait si bien sa maîtresse. Thala conduisit Malko à sa chambre. Elle l’embrassa légèrement sur les lèvres, très mondaine.

— Gute Nacht, lieber. Und Grüss Gott. Le petit déjeuner est à huit heures, à cause des enfants. Je prends soin de ton ami.

Elle s’éloigna dans le couloir rouge, ondulant sur la pointe de ses hauts talons. Avant de disparaître, elle se retourna pour sourire à Malko. Une parfaite maîtresse de maison.