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Il s’était endormi un peu calmé par ces bonnes résolutions pour être réveillé à 9 heures du matin par le téléphone. On l’appelait de Vienne. Il reconnut immédiatement la voix de William Coby, le chef de poste de la C.I.A. en Autriche. L’Américain avait l’air embarrassé :

— J’ai besoin de vous, dit-il. Je vous contacte de la part de Mike. Mike était le nom de code de David Wise, l’homme dont dépendait Malko. Dans les communications téléphoniques extérieures, les gens de la C.I.A. n’employaient jamais les vrais noms.

« Il y a un certain Serge Goldman qui est supposé arriver à Vienne aujourd’hui à 15 h 10, par un vol des Scandinavian Airlines, en provenance de Copenhague. Il faudrait, euh ! un « opérateur » compétent comme vous. C’est extrêmement important.

Malko avait grogné pour la forme. Mais il savait bien qu’on ne discute pas ce genre d’ordre. Le terme « opérateur » avait un sens bien précis : il fallait s’assurer de la personne, vivante ou morte… « Je vais recevoir par radio une photo, avait conclu Coby. Vous la trouverez sous enveloppe à votre nom, aux informations. Appelez-moi au bureau, plus tard. »

Après avoir raccroché, William Coby avait été soutirer un café à la machine automatique. Comme tous les responsables de la C.I.A., il n’avait pas beaucoup dormi cette nuit-là. Le F.B.I. avait accompli un travail extraordinaire. Volodnyar Grinef avait été arrêté une heure après sa visite à Serge Goldman. Ensuite, une centaine d’agents fédéraux avaient passé les taxis au crible. Grâce à l’usage des taxis new-yorkais de noter toutes leurs courses, de recoupements en recoupements, on avait retrouvé la trace de Goldman sur la Scandinavian Airline…

Malko ignorait tout cela. La photo du producteur qu’il avait trouvée à l’aéroport n’était pas fameuse mais suffisait pour l’identifier. Après, il n’y aurait plus qu’à demander à Goldman de le suivre gentiment. Jusqu’au cimetière le plus proche. Le haut-parleur arracha Malko à ses pensées moroses :

— La Scandinavian Airlines System annonce l’arrivée de son vol SK 875 pour 16 h 40, le décollage ayant été retardé par suite du mauvais temps…

— Encore une demi-heure, soupira Krisantem.

Le restaurant était presque désert. A quelques tables d’eux, il y avait pourtant un couple qui attirait irrésistiblement le regard de Malko. Sans ses lunettes noires, son insistance aurait paru déplacée. Si toutefois ceux qui en étaient l’objet s’en étaient aperçus. Depuis leur arrivée, ils bâfraient. D’abord une montagne de charcutailles, puis des wiener Schnitzels, enfin un plat gigantesque de bœuf au paprika. Voracement, avec des gestes mesurés et lents, quasi sacerdotaux, ils arrosaient leurs victuailles de rasades de Tokay dont trois bouteilles vides s’alignaient déjà sur la table. Ce couple était impressionnant. Malko les avait vus arriver. Ils étaient à peu près de la même taille, plus d’un mètre quatre-vingt et, à eux deux, pesaient largement plus d’un quart de tonne. L’homme était brun, le front dégarni, avec de petits yeux noirs vifs et une mâchoire prognathe. Sa compagne aurait pu servir de réclame pour le jambon de Westphalie. D’énormes avant-bras rosâtres émergeaient d’une robe imprimée, boudinant un corps massif. Le visage avait dû être joli, mais la graisse avait tout effacé. Les mentons descendant en cascade tremblaient à chaque déglutition. Mais en dépit de cette graisse, il se dégageait d’eux une impression de force redoutable.

— Un vrai couple d’hippopotames, murmura Malko. Je voudrais bien voir leurs petits…

Au même moment le haut-parleur crachota.

— Scandinavian Airlines annonce l’arrivée de son vol 875 en provenance de Copenhague et Hambourg.

Malko se sentit soudain très fatigué. Il éprouvait un pressentiment désagréable. Pourtant, d’après la photo, Goldman ne devait pas être trop difficile à neutraliser.

Il laissa un billet de 50 schillings sur la table et précéda Krisantem. Celui-ci tâta machinalement dans la poche droite de son pantalon le lacet de cuir qui ne le quittait jamais. C’était beaucoup plus discret qu’un pistolet et tout aussi efficace. Surtout dans ces pays désespérément civilisés.

Derrière eux, le couple monumental se leva également. Debout, ils étaient encore plus impressionnants.

La Caravelle de la S.A.S. se posa au moment où ils arrivaient au rez-de-chaussée. Ils s’accoudèrent à la barrière de la douane, juste à côté du guichet où l’on vendait les thaler d’argent aux touristes. Les premiers passagers arrivaient. Bientôt ils furent une vingtaine à attendre leurs bagages.

Malko identifia Goldman rapidement. Il était plus petit qu’il ne l’avait imaginé. Nu-tête, il semblait frigorifié et inoffensif. Mais un détail le fit sursauter.

Goldman n’était pas seul. La rousse accrochée à son bras ne pouvait pas passer inaperçue. On avait l’impression qu’elle était nue sous son vison blanc car on ne voyait aucune autre pièce de vêtement.

— Ils sont deux, fit Malko. Ça complique. Krisantem fronça les sourcils.

— Il vaudrait peut-être mieux attendre qu’ils soient à Vienne dans un hôtel, ici…

— Trop risqué.

Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Les douaniers autrichiens, peu soucieux de se geler, hâtaient au maximum les formalités. Brusquement Serge Goldman surgit près de Malko. Et celui-ci réalisa immédiatement quelque chose que la distance lui avait caché : l’homme crevait de peur.

Sa bouche tremblait et sort teint était grisâtre. Il serrait tellement la poignée de sa valise que ses jointures en étaient toutes blanches. Son passeport tomba et il se baissa avec un juron. Il était si nerveux qu’il dut s’y reprendre à trois fois pour le ramasser. La rousse, par contre, affichait la tranquille sérénité d’un bovin. Malko remarqua surtout les ongles longs comme des pelles à tarte. Tout un programme…

Il s’avança et saisit le bras de Goldman.

— Monsieur Goldman…

Il crut que l’autre allait se mettre à couler comme un camembert. Tournant des yeux de chien battu vers Malko, il dit d’une voix geignarde, en anglais.

— Ce n’est pas moi. C’est, c’est une erreur.

En même temps, il cherchait à se dégager. Malko serra le bras un peu plus, tandis que Krisantem captait discrètement la rousse. Pour une fois, il avait la meilleure part. Le producteur n’était pas très brillant.

De minuscules verrues brunâtres pendaient de ses paupières inférieures. Sa bouche molle et d’immenses oreilles pointues lui donnaient l’air d’un lapin malheureux. Malko le sentit prêt à n’importe quel esclandre. Il voulut le calmer.

— Nos amis de Washington vous seraient très reconnaissants d’effectuer une halte à Vienne avant de continuer votre voyage, dit-il en l’entraînant. Aussi, je suis tout prêt à vous donner l’hospitalité de mon château, ainsi qu’à votre compagne, bien entendu…

En même temps, Krisantem qui avait fait passer sa pétoire dans la poche de son pardessus, s’appuya affectueusement contre la hanche rebondie de la rousse avec un bon sourire, pas tellement rassurant. Il se passa soudain quelque chose d’incroyable aux yeux de Malko. Serge Goldman s’arrêta net et le toisa, en bredouillant. Malko crut comprendre : « Pas lui. Pas assez grand ». Il prit Malko à l’écart :

— Vous avez dit Washington ? C’est vrai ?

Si on lui avait annoncé qu’il allait produire la Bible en écran géant et couleurs peintes à la main, il n’aurait pas été plus heureux.