Sa voix, à la fois caverneuse et zézayante, sonnait autrement qu’un timbre humain.
— Salut, frères, répondit Sturm. J’ai parcouru un bon bout de chemin aujourd’hui, et vous êtes les premiers voyageurs que je rencontre. Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent, et je voudrais savoir comment continuer ma route. D’où venez-vous ?
— À l’origine, nous venons de l’est. Mais aujourd’hui, nous sommes partis de Haven. La journée est bien maussade pour voyager, et c’est sans doute pourquoi tu n’as rencontré personne. Nous avons pris la route parce que nous y étions obligés. Nous ne t’avons pas vu en chemin. Tu dois donc venir de Solace, messire chevalier.
Sturm opina du chef. Les prêtres se regardèrent en murmurant. Leur chef leur parla en une langue bizarre, gutturale. Tanis échangea un coup d’œil avec ses compagnons. Personne ne connaissait cet idiome. Le chef des prêtres reprit en langue commune :
— Je serais curieux de savoir ce qu’on raconte, chevalier.
— Il y aurait des armées rassemblées au nord du pays, répondit Sturm. Je suis en route pour la Solamnie, mon pays. Je n’ai aucune envie de me trouver mêlé à une guerre qui n’est pas la mienne, et à laquelle personne ne m’a invité.
— Ces rumeurs ne sont pas parvenues jusqu’à nous, répondit le prêtre. Autant que je sache, la route du nord est libre.
— Ça m’apprendra à écouter les ivrognes, dit Sturm en haussant les épaules. Mais quelle impérieuse nécessité vous contraint à sortir par un temps pareil, mes frères ?
— Nous sommes à la recherche d’un bâton. Un bâton orné d’un cristal bleu. Nous savons qu’on en a vu un à Solace. As-tu eu vent de cet objet ?
— Oui, répondit Sturm. À Solace, j’ai entendu des gens en parler. Ce sont les mêmes qui ont mentionné les armées rassemblées dans le nord. Que dois-je croire ?
Le prêtre resta un instant confondu. Il hésitait sur la contenance à prendre.
— Dis-moi, frère, pourquoi cherchez-vous un bâton au cristal bleu ? Un gros gourdin siérait mieux au bon prêtre que tu es.
— Il s’agit d’un bâton sacré, qui possède des vertus curatives, répondit gravement le prêtre. L’un des nôtres est très malade. Sans le secours de cette sainte relique, il mourra.
— Le bâton a le pouvoir de guérir ? Un bâton sacré qui guérit est d’une valeur inestimable. Comment avez-vous pu égarer un objet aussi rare, aussi merveilleux ?
— Nous ne l’avons pas égaré ! grogna le prêtre. Il nous a été dérobé. Nous avons suivi le voleur jusqu’à un village barbare des plaines, mais nous avons perdu sa trace. En tout cas, il se passe des choses étranges à Solace, et c’est là que nous nous rendons. Les mauvaises conditions de voyage ne sont rien comparées aux souffrances que notre frère doit endurer.
— Je regrette de ne pouvoir vous être utile…
— Je peux faire quelque chose ! cria une voix derrière Tanis.
Trop tard. Lunedor était sortie des buissons et marchait sur le prêtre, Rivebise sur les talons.
— Lunedor ! souffla Tanis.
— Je dois en avoir le cœur net !
Entendant la voix de Lunedor, les prêtres hochèrent la tête en se consultant du regard d’un air entendu. Tanis pressentit le danger, mais il n’y avait plus rien à faire. Caramon intervint.
— Les barbares des plaines ne vont pas me laisser moisir au fin fond des fourrés pendant qu’ils se livrent à leurs facéties ! déclara-t-il en emboîtant le pas à Rivebise.
— Vous êtes tous devenus fous ? grommela Tanis en rattrapant Tass, qui se précipitait derrière Caramon. Flint, surveille le kender. Raistlin…
— Ne te fais pas de souci, Tanis, je n’ai aucune envie de quitter ces buissons.
— Très bien. Restons ici.
Envahi par une « étrange sensation », Tanis approcha sur la pointe des pieds…
8
À la recherche de la vérité. Réponses inespérées.
— Je peux te venir en aide.
La voix pure de Lunedor tinta comme une clochette. L’expression de consternation du chevalier ne lui avait pas échappé, et elle comprenait l’avertissement de Tanis.
Mais elle n’agissait pas sur un coup de tête. Lunedor n’était pas femme à s’emporter. C’était elle qui commandait la tribu depuis que son père avait été frappé par la foudre et privé ainsi de l’usage de la parole, de la jambe et du bras droits. Elle avait fait la guerre aux tribus voisines, et géré la paix. Maintes fois, on avait tenté de lui ravir le pouvoir. Elle savait parfaitement qu’elle prenait un risque considérable. Ces prêtres ne lui disaient rien qui vaille, mais ils en savaient long sur le bâton. Il fallait qu’elle en ait le cœur net.
— Je suis en possession du bâton au cristal bleu, dit Lunedor, avançant vers le chef des prêtres. Mais nous ne l’avons pas volé. Il nous a été donné.
Rivebise et Sturm vinrent se placer de chaque côté d’elle. Caramon déboula des fourrés et se campa derrière elle, la main sur le pommeau de son épée.
— C’est ce que tu prétends, dit le prêtre avec mépris.
Ses yeux brillants de convoitise étaient fixés sur le bâton ; il tendit la main pour le prendre. Vivement, Lunedor le serra contre elle.
— Ce bâton provient d’un endroit maléfique, dit-elle. Je ferai mon possible pour aider ton frère mourant, mais je ne céderai la relique à personne avant d’être sûre qu’elle lui revient de plein droit.
Hésitant, le prêtre se tourna vers ses compagnons. Tanis les vit faire des gestes vers leurs grosses ceintures, semées de renflements qui ne devaient pas être des livres de prières. Prudent, le demi-elfe prit son arc, et encocha une flèche.
Les mains enfouies dans ses manches, le prêtre inclina finalement la tête en signe d’acceptation.
— Nous vous sommes reconnaissants de venir en aide à notre malheureux frère. J’espère que vous viendrez avec nous à Haven, et que je pourrai alors vous convaincre que ce bâton vous a été remis par erreur.
— Nous allons où bon nous semble, prêtre, grommela Caramon.
Quel idiot ! pensa Tanis, qui resta caché dans les buissons au cas où les choses tourneraient mal.
Lunedor et le chef des prêtres avancèrent vers le chariot, sous l’œil vigilant de Caramon et de Sturm. Le prêtre souleva la bâche ; le bâton à la main, Lunedor plongea le regard à l’intérieur du véhicule.
Tanis vit bouger quelque chose. Lunedor poussa un cri. Un éclair de lumière bleue jaillit, un autre cri s’éleva. Lunedor recula d’un bond. Rivebise la rejoignit. Le prêtre emboucha un cor dont il tira de longues notes plaintives.
— Caramon ! Sturm ! cria Tanis. C’est un traquenard…
Ses derniers mots s’étranglèrent dans sa gorge. Une masse lui était tombée dessus et le maintenait plaqué au sol. Des mains serraient son cou à l’étouffer. Sa vue s’obscurcit, son souffle devint court. Son adversaire disposant d’une force hors du commun, Tanis se sentit perdre conscience. Il entendit un hurlement suivi d’un craquement d’os brisés. L’étau se desserra ; son agresseur s’abattit sur le sol.
Tanis se redressa. Flint se tenait devant lui, une bûche à la main. Le nain ne lui prêta pas attention, il contemplait la forme inerte qui gisait à ses pieds.
Tanis suivit le regard de Flint et tressaillit, horrifié. Ce n’était pas un être humain ! Il se tenait debout comme un homme, mais sa peau était constituée d’écailles de serpent et ses mains et ses pieds énormes se terminaient par des griffes. Il avait des ailes membraneuses sur le dos. Mais le plus horrible était sa tête ; Tanis n’avait jamais rien vu de tel dans le monde de Krynn, ni dans ses pires cauchemars. C’était une tête humaine, aux traits reptiliens…
— Par tous les dieux de la terre, souffla Raistlin en rampant vers Tanis, qu’est-ce que c’est que ça ?