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— Comment être sûr de quelque chose en ce monde, Demi-Elfe ? Je ne suis pas certain d’être encore en vie dans la minute qui suit. Mais vas-y ! Entre dans ce bois dont personne n’est jamais sorti. L’unique certitude en ce monde est la mort.

Le demi-elfe réprima une impérieuse envie de pousser le mage au bas de la pente. Il vit que le chevalier l’avait presque atteint.

— Je vais avec Sturm, dit-il brusquement. Mais je n’assumerai pas la responsabilité de votre décision. Vous choisissez ce que bon vous semble.

— Je viens avec toi ! dit Tasslehoff.

— Des fantômes ! railla Flint en regardant Raistlin d’un air excédé.

Il se plaça à côté de Tanis. Après un instant d’hésitation, Lunedor et Rivebise, l’air pensif, le suivirent. Cela rassura Tanis. Il savait que les légendes barbares sur le Bois des Ombres étaient terrifiantes. Finalement, Raistlin s’avança avec une rapidité qui déconcerta son frère. Tanis le regarda, un petit sourire aux lèvres.

— Pourquoi viens-tu ?

— Parce que vous aurez besoin de moi, Demi-Elfe. D’ailleurs, où veux-tu que nous allions ? Nous t’avons suivi jusque-là, sans pouvoir rebrousser chemin. Tu ne nous as laissé qu’une alternative, Tanis ! Mourir tout de suite, ou un peu plus tard. (Il descendit le sentier) Tu viens, frère ?

Les autres regardèrent Tanis d’un air gêné. Il se sentait très mal à l’aise. Raistlin avait raison. Il les avait mis dans une situation où ils ne pouvaient qu’obtempérer, ce qui lui avait donné bonne conscience. Rageusement, il flanqua un coup de pied dans les cailloux. Pourquoi était-il responsable de tout ? Pourquoi s’était-il laissé entraîner, alors qu’il ne désirait qu’une chose : retrouver Kitiara et lui dire que sa décision était prise, qu’il l’aimait et qu’il voulait vivre avec elle ? Il avait appris à accepter les faiblesses de la guerrière comme il supportait ses propres travers.

Mais elle n’était pas revenue. Elle vivait auprès d’un « nouveau seigneur ». Peut-être était-ce parce qu’il…

— Hé, Tanis ! appela le kender de sa voix de flûtiau.

— J’arrive…

Le fameux bois n’avait rien de sinistre. Après la vibrante lumière de l’automne, sa fraîcheur le rendait plutôt accueillant.

— Nous trouverons peut-être du gibier, dit Caramon. Pas de cerfs, bien entendu, mais des lapins…

— Ne tuez rien, ne mangez ni buvez quoi que ce soit dans le Bois des Ombres, recommanda Raistlin.

Tanis regarda le magicien. Ses pupilles en sablier étaient dilatées, et sa peau au reflet métallique scintillant sous le soleil lui conférait une allure inquiétante. Il s’appuya sur son bâton en tremblotant comme s’il avait froid.

— Fadaises, marmonna Flint sans conviction.

Tanis connaissait la tendance du mage à dramatiser, néanmoins, il ne l’avait jamais vu dans cet état.

— Comment te sens-tu, Raistlin ? demanda-t-il avec sollicitude.

— Un sortilège très puissant plane sur ces bois.

— Est-il maléfique ?

— Seulement pour ceux qui portent le Mal en eux…

— Tu es donc le seul à devoir redouter cette forêt, dit sèchement Sturm.

— Nous verrons, fit Raistlin d’une voix à peine audible. (Il s’appuya sur le bras de son frère et déclara :) On y va ?

Caramon foudroya Sturm du regard et pénétra avec son jumeau dans le bois. Les autres les suivirent de près ; Tanis et Flint restèrent un peu en arrière.

— Je commence à me faire vieux pour ce genre d’aventure, Tanis.

— Tu dis des bêtises, Flint. Tu te bats comme un…

— Il ne s’agit pas de mes muscles, bien qu’eux aussi ne soient plus tout neufs. Non, je veux parler de l’esprit. Il n’y a pas si longtemps, avant que les autres soient nés, toi et moi serions rentrés dans un bois ensorcelé sans une arrière-pensée.

— Allons, du courage ! dit Tanis sur un ton enjoué.

Cependant la tristesse du nain l’affectait. Flint avait toujours paru âgé. Avec sa grosse barbe grise et ses sourcils embroussaillés, il était par habitude d’humeur bougonne. Mais l’étincelle de fierté qui animait autrefois son regard avait disparu.

— Ne te laisse pas troubler par ce que dit Raistlin. Ce soir, devant un bon feu, nous rirons de ces histoires de maléfices.

— C’est possible, soupira Flint, espérons-le. Écoute, Tanis, un jour, je deviendrai un poids mort pour toi, et je ne veux pas que tu te dises : « Mais qu’est-ce que je fais avec ce vieux nain grognon ? ».

— J’ai besoin de toi, vieux nain grognon, le rassura. Tanis. Ils sont tous si… jeunes. Toi, tu es comme un roc indestructible sur lequel je m’appuie dans la bataille.

Le visage de Flint s’empourpra de bonheur. Ému, il tirailla sur sa barbe en se raclant la gorge.

— Il est vrai que tu as toujours été un grand sentimental. Viens, nous perdons du temps. Je veux entrer dans cette forêt aussi vite que possible. (Il murmura plus bas :) Heureusement qu’il fait encore jour.

10

Le bois des ombres. La marche des morts. Le sortilège de Raistlin.

Entrant dans le bois, Tanis ne put s’empêcher de frissonner. Les légendes qu’on lui avait contées pendant les veillées lui revinrent à la mémoire, ponctuées par les sombres prédictions de Raistlin. Il lui parut cependant que cette forêt foisonnait de vie comme aucune autre. Des insectes multicolores vibraient sous la brise au cœur d’une végétation luxuriante.

Ils marchèrent pendant des heures sans rencontrer d’obstacle. Tanis avait retrouvé son calme, heureux d’évoluer dans un univers où les horribles créatures ailées ne pourraient les poursuivre. Ici, il n’y avait pas de place pour le Mal, même si chacun apportait avec soi sa part ténébreuse, comme le prétendait Raistlin. Les ombres des arbres semblaient converger sur le mage, qui marchait seul, tête baissée. Le soleil déclinait, et la fraîcheur du soir commençait à se faire sentir. Il était temps de bivouaquer.

Tanis allait ordonner de faire halte pour la nuit quand le sentier déboucha sur une clairière, comme pour exaucer ses souhaits. L’eau claire d’une source bondissait entre les rochers, éclaboussant le sol tapissé d’une mousse veloutée qui invitait à s’asseoir.

— Ne vous éloignez pas du sentier ! lança Raistlin, qui voyait ses compagnons se diriger vers la clairière.

— Écoute, Raistlin, dit le demi-elfe avec une impatience contenue, tout se passera bien. Nous ne quittons pas le sentier, il est à dix pas. Viens, repose-toi… Nous sommes tous fatigués. Tiens, regarde…

Il déroula la carte de Tass.

— Je ne crois pas que nous nous trouvions dans le Bois des Ombres, car…

Raistlin détourna la tête et ne voulut rien savoir. Les autres ignorèrent sa recommandation et commencèrent à installer le camp. Sturm se laissa choir contre un arbre, et Tass partit ramasser du bois. À l’affût de gibier, Caramon suivait des yeux tout ce qui remuait dans l’ombre.

Le magicien les regardait, un sourire sardonique aux lèvres.

— Pauvres fous ! À la nuit tombée, vous verrez bien s’il s’agit du Bois des Ombres ou non. Comme vous dites, j’ai besoin de repos. Mais en aucun cas je ne quitterai le sentier.

— Allez, viens près de nous, dit Caramon. Nous allons faire du feu, et j’arriverai bien à tirer un lapin.

— Ne tuez rien !

Pour la première fois, le magicien avait élevé la voix. Chacun sursauta.

— Ne touchez à rien dans ce bois ! Ni plante, ni arbre, ni animal !

— Je suis d’accord avec Raistlin, approuva Tanis. Nous sommes obligés de passer la nuit ici, mais rien ne nous contraint à tirer du gibier.

— Toujours la même litanie ! Les elfes ne veulent jamais rien tuer. Le mage nous fiche une peur bleue, et toi, tu nous affames. Bref, j’espère que si quelqu’un nous attaque ce soir, il sera comestible !

Caramon poussa un grand soupir et tenta de calmer sa faim en buvant l’eau de la source.