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— Je l’ai seulement ramassé. Et je n’ai pas cassé de branches, dit Tass en déposant une brassée de bois mort.

Rivebise s’échina en vain à faire prendre le feu.

— Le bois est humide, remarqua-t-il en rangeant son amadou.

— Il nous faut de la lumière, fit observer Flint.

Avec l’obscurité qui gagnait, les bruits de la forêt devenaient inquiétants.

— Ce ne sont pas mes balivernes qui t’effraient, nain ? siffla Raistlin.

— Mais non ! Je veux seulement m’assurer que le kender ne profitera pas de l’obscurité pour me voler mon sac.

— Parfait ! dit doucement Raistlin. Sharak !

L’extrémité en cristal de son bâton irradia une lueur blanche. C’était une lumière qui n’éclairait guère, mais elle donnait un aspect fantomatique à la clairière.

— Voilà qui est fait, dit le mage en plantant son bâton dans la terre.

À ce moment, Tanis s’aperçut qu’il avait perdu sa vision infrarouge. Il aurait dû percevoir l’aura rougeoyante de ses compagnons, mais il ne voyait que la découpe sombre de leurs silhouettes. Il n’en dit rien, préférant garder pour lui la vague crainte qui commençait à le gagner.

— Je vais monter la garde, déclara Sturm sur un ton qui n’admettait pas de réplique. De toute façon, avec cette blessure, je ne pourrai pas fermer l’œil.

— Nous monterons la garde ensemble, renchérit Tanis.

Les autres s’étendirent à même le sol, sauf Raistlin. Tanis alla boire à la source. Penché sur l’eau, il se désaltérait, quand il entendit un cri étouffé derrière lui. En un clin d’œil il fut debout, l’épée au poing. Les autres se saisirent de leurs armes. Seul Raistlin ne bougea pas.

— Posez vos épées, dit-il. Elles ne vous serviront à rien. Contre ceux-là, il faudrait une arme magique.

Une armée de guerriers les avait encerclés. Cela aurait suffit à glacer les sangs de n’importe qui, mais les compagnons étaient de taille à s’en sortir. Hélas, il avait autre chose…

Ces guerriers étaient des morts !

Une lueur diffuse soulignait le contour de leurs corps, comme si la chaleur de la vie continuait de les habiter. Leurs chairs étaient décomposées, mais leurs âmes gardaient une vague consistance. Ils portaient leurs armures et leurs armes d’antan, toujours aussi redoutables. Mais ils n’avaient pas besoin d’elles pour inspirer la terreur.

— Comment se battre contre de telles créatures ? se demanda Tanis, qui n’avait jamais ressenti pareille peur devant un homme en chair et en os.

Le demi-elfe essaya de retrouver son calme et de revenir à la réalité. La réalité ! Quelle ironie ! S’enfuir ne rimait à rien ; ils se disperseraient et se perdraient. Il fallait faire front. Il prit le parti d’aller au-devant des guerriers fantômes. Ceux-ci ne firent pas un geste. Ils occupaient simplement le chemin, difficiles à dénombrer car ils semblaient se dédoubler comme des ombres qui se superposent. Mais peu importait leur nombre ; d’un geste de la main, un seul était capable de les tuer tous.

Appuyé sur son bâton lumineux, le mage s’était placé devant ses compagnons. Tanis les rejoignit. À la lueur du cristal, Raistlin avait l’air aussi fantomatique que les spectres.

— Bienvenue au Bois des Ombres, dit-il à Tanis.

— Raistlin, qu’est-ce que…

— Des spectres asservis, répondit le mage sans les quitter des yeux. Nous avons de la chance. Ce sont des esprits qui, de leur vivant, ont failli à leur tâche, et ont été contraints, pour gagner leur salut, de l’exécuter jusqu’à son accomplissement.

— Au nom des Abysses, en quoi avons-nous de la chance ? Leur tâche consiste peut-être à expulser les intrus de la forêt !

— C’est possible, bien que je n’y croie guère. Nous allons le savoir…

— Qu’as-tu l’intention de faire, Raistlin ?

— Je vais jeter un sort qui nous permettra d’entrer en communication avec eux. Je connaîtrai leurs pensées. Ils parleront par mon intermédiaire.

Le mage étendit les bras vers le ciel et psalmodia.

— Ast bilak parbilakar. Suh tangus moipar ! dit-il par trois fois.

La mer de guerriers s’ouvrit pour laisser le passage à un spectre plus terrifiant encore que les autres. Plus grand que ses compagnons, il portait une couronne, et son armure était incrustée de joyaux. Son visage exprimait la douleur et le chagrin. Il avança vers Raistlin. Le magicien, en transe, ne fit pas un mouvement. Tanis se demanda s’il voyait la main décharnée tendue vers lui.

— Toi que la mort a frappé il y a bien longtemps, sers-toi de ma voix pour nous révéler le sort qui vous accable. Aide-nous à traverser cette forêt, car notre but n’est pas le Mal, comme tu l’as lu dans nos cœurs.

La main du spectre s’immobilisa. Scintillant dans l’obscurité, il s’inclina devant le jeune mage. Tanis retint son souffle. Il savait que Raistlin possédait des pouvoirs occultes, mais là…

Raistlin lui retourna la révérence et vint se placer à son côté. Leurs visages étaient aussi pâles l’un que l’autre. Un mort-vivant avec un vivant-mort, songea Tanis en frissonnant.

Le timbre de Raistlin n’avait plus rien d’un murmure haletant. C’était une voix profonde, froide et décidée, qui remplissait la forêt :

— Qui êtes-vous, vous qui avez osé franchir les limites du Bois des Ombres ?

Tanis ouvrit la bouche pour répondre, mais il n’en sortit aucun son. À côté de lui, Caramon n’osait pas relever la tête. Quelqu’un fit un mouvement. Le kender ! Trop tard. La petite silhouette, sa queue-de-cheval dansant dans le dos, s’était avancée vers le spectre, et s’inclina respectueusement devant lui.

— Je suis Tasslehoff Racle-Pieds. Mes amis m’appellent Tass. Et toi ?

— Aucune importance, répondit la voix sépulcrale. Sache que nous sommes des guerriers tombés dans l’oubli.

— Est-ce vrai que vous avez failli à votre tâche et que vous êtes ici pour cette raison ?

— C’est vrai. Nous n’avons pas pu protéger ce pays. Les cieux ont fondu sur lui, et il a été désagrégé. Le Mal est sorti des entrailles de la terre. Nous avons pris peur et nous nous sommes enfuis, abandonnant nos épées. Une mort amère nous a cueillis et condamnés à rester ici jusqu’à ce que le Mal soit repoussé et l’équilibre rétabli.

Soudain Raistlin, les yeux révulsés, se mit à crier. Un concert de voix hurlantes éclata. Même l’impavide kender, désemparé, fit un pas en arrière.

D’un geste, le spectre fit cesser le vacarme.

— Mes hommes demandent pourquoi vous avez pénétré dans le bois. Si c’est pour faire le Mal, ce sera à vos dépens, car vous ne vivrez plus assez longtemps pour voir se lever la lune.

— Nous ne voulons rien de mal, se hâta de dire le kender. Vois-tu, c’est une longue histoire. Mais tu n’es sûrement pas pressé, alors je vais te la raconter.

« Elle commence à l’Auberge du Dernier Refuge, où j’ai dû frapper un Théocrate avec un bâton au cristal bleu…»

— Le cristal bleu !

Sa voix résonnant dans la gorge de Raistlin, le spectre s’avança vers le petit groupe. Tanis et Sturm se précipitèrent sur Tass et le tirèrent en arrière. Mais le mort-vivant voulait seulement les regarder de plus près. Ses yeux se posèrent sur Lunedor. D’un geste impératif, il lui ordonna d’avancer.

— Non !

Rivebise voulut l’en empêcher, mais elle se dégagea et vint se placer face au spectre, son bâton à la main.

Le guerrier dégaina son épée. Une flamme bleue se mit à danser au-dessus de sa lame.

— Regardez le bâton ! s’exclama Lunedor.

Répondant à l’épée, il s’était illuminé.

Le roi des fantômes se tourna vers Raistlin et tendit la main vers lui. Caramon bondit sur le spectre et lui traversa le corps d’un estoc. On entendit un hurlement de douleur. Caramon s’effondra sur le sol.