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Raistlin ne fit pas un geste.

— Ma main ! hurla Caramon.

Le regard de Tanis se posa sur l’épée du grand guerrier. Il comprit ce qui était arrivé ; la lame de Caramon était prise dans le givre.

Le spectre avait saisi Raistlin par le poignet et le secouait. Les traits du jeune homme étaient déformés par la douleur, mais il tenait encore debout. Ses yeux se fermèrent, ses traits se détendirent. L’expression de son visage s’apaisa, puis se transforma de nouveau. Cette fois, il exprimait l’extase. L’aura du mage se dilata. Un halo scintillant l’enveloppa.

— On nous appelle. (Tanis reconnut à peine la voix de Raistlin, qui avait changé de timbre.) Nous devons partir.

La main du mort-vivant sur le poignet, il leur tourna le dos et marcha vers les arbres.

Les spectres s’écartèrent pour laisser passer le jeune mage et leur chef. Sous des regards haineux, les compagnons leur emboîtèrent le pas.

Le cercle se referma sur la petite troupe.

Les compagnons se retrouvèrent au cœur d’une tumultueuse bataille. Des cris déchirants s’élevèrent au milieu d’un fracas de lames qui s’entrechoquent. Le vacarme était tel que Sturm dégaina son arme. Frappant au hasard dans le noir, il esquiva des coups qu’il croyait lui être destinés. Enfin, persuadé d’être frappé par un destin auquel il ne pourrait pas échapper, il se mit à courir.

Il se retrouva dans une clairière désolée. Raistlin, seul, se tenait devant lui.

Les yeux fermés, le mage poussa un grand soupir et se laissa tomber sur le sol. Sturm courut vers lui. Il fut vite rejoint par Caramon, qui prit son frère dans ses bras. Un par un, les autres apparurent dans la clairière. Les spectres s’étaient évanouis.

Le mage battit des paupières et ouvrit les yeux.

— Le sort… que j’ai lancé… m’a épuisé. J’ai besoin de me reposer…

— Qu’il se repose ! tonna une voix, bien vivante, cette fois.

Tanis poussa un soupir de soulagement, la main sur son épée. Les compagnons firent cercle autour de Raistlin. Sans s’annoncer, la lune apparut soudain, comme si une main invisible avait soulevé un voile. À la lueur de l’astre d’argent, ils distinguèrent entre les arbres la tête et les larges épaules nues d’un homme. Ses yeux clairs brillaient d’un éclat dur. La pointe d’un javelot scintilla entre les feuilles. C’était sur Tanis que le nouveau venu la braquait.

— Abaissez ces armes ridicules, déclara l’inconnu. Vous êtes cernés, vous n’avez aucune chance.

— C’est un piège, grommela Sturm.

Au même moment, les branches craquèrent. Armés de javelots miroitant sous le clair de lune, des hommes prirent position autour de la clairière.

Le premier s’avança. Les compagnons furent suffoqués. Ce n’était pas un homme, mais un centaure !

Jusqu’à la taille, son corps était celui d’un humain, au-dessous, celui d’un cheval. Tanis rengaina son épée.

— Vous allez nous suivre, ordonna le centaure.

— Mon frère est malade, il ne peut pas se déplacer, grommela Caramon.

— Mets-le sur mon dos, dit froidement le centaure.

Si vous êtes fatigués, nous vous prendrons en croupe, et nous chevaucherons jusqu’à destination.

— Où nous emmenez-vous ? demanda Tanis.

— Ce n’est pas à vous de poser les questions. Nous allons loin, et nous irons vite, je vous conseille donc d’accepter mon offre. Soyez tranquilles. (Il salua Lunedor.) Il ne vous arrivera rien cette nuit.

— Je peux monter sur son dos, Tanis ? demanda Tass, tout émoustillé.

— Ne les crois pas ! s’écria Flint.

— Je ne leur fais pas confiance, murmura Tanis, mais il ne semble pas que nous ayons le choix. Raistlin ne peut pas marcher. Vas-y, Tass. Les autres aussi…

Les sourcils froncés, Caramon hissa son frère sur le dos du centaure.

— Grimpe, toi aussi. Je peux porter deux hommes. Il faudra soutenir ton ami, car nous irons bon train.

Rouge de confusion, Caramon s’assit sur la large croupe du centaure. Ses jambes traînaient presque par terre. Tass, excité, se jeta avec enthousiasme à l’assaut d’une croupe. Il s’écrasa dans la boue de l’autre côté du centaure. Sturm le ramassa et le déposa où il fallait ; il lui adjoignit la compagnie de Flint, qui protesta avec véhémence. Le chef des centaures se chargea de Tanis.

— Où allons-nous ? demanda de nouveau le demi-elfe.

— Chez la Maîtresse de la Forêt.

— Qui est-ce ? L’une des vôtres ?

— Elle est la Maîtresse de la Forêt, répondit le centaure.

Le galop à dos de centaure étant des plus inconfortables, Tanis renonça à poser des questions. Comme ils galopaient de plus en plus vite, il dut se cramponner des deux bras au torse de l’homme-cheval.

— Tu vas m’étouffer, imbécile ! Détends-toi. Serre tes jambes et relâche un peu tes bras !

Le visage fouetté par la végétation, Tanis ne voyait rien du chemin qu’ils empruntaient. Le centaure s’arrêta brusquement.

Bien qu’invisibles dans les ténèbres, le demi-elfe sentait ses compagnons tout proches. Il entendait les éternuements à répétition de Flint et le cliquetis de l’armure de Caramon.

— Un sortilège d’une force immense domine cette forêt, murmura le mage. Il annule tous les autres.

— Pourquoi nous sommes-nous arrêtés ? demanda Tanis, inquiet.

— Nous sommes arrivés. Descendez !

Tanis se laissa glisser sur le sol ; il ne voyait rien. Le feuillage devait être trop épais pour que le clair de lune le pénètre.

— Où sommes-nous ?

— Au cœur du Bois des Ombres. Je vous laisse à la grâce des dieux… ou des démons. Votre sort dépend de la Maîtresse de la Forêt.

— Attendez ! Vous ne pouvez pas nous abandonner ici ! On n’y voit goutte !

— Arrêtez-les ! cria Tanis en cherchant son épée.

Celle-ci avait disparu. Un juron de Sturm l’avertit qu’il venait de faire la même découverte.

Le centaure éclata de rire et s’éloigna dans un craquement de branches.

— Tout le monde est là ?

— Moi, je suis là, glapit le kender. Oh ! Tanis, c’était magnifique…

— Silence, Tass ! Les barbares des plaines ?

— Nous sommes là, dit Rivebise d’une voix éteinte. Sans armes.

— Quelqu’un a-t-il encore son arme ?

— J’ai mon bâton, dit doucement Lunedor.

— C’est une arme extraordinaire que tu as là, fille de Que-Shu, déclara une voix grave. Une arme pour le Bien, faite pour combattre la maladie, panser les plaies et réduire les maux. (La voix invisible se fit triste.) Par les temps qui courent, elle servira contre les créatures malfaisantes qui cherchent à bannir le Bien du monde.

11

La Maîtresse de la Forêt. Un paisible intermède.

— Qui es-tu ? demanda Tanis. Montre-toi !

— Nous ne te ferons rien ! mentit Caramon.

— Bien sûr que vous ne me ferez rien, répondit la voix sur un ton amusé, vous n’avez pas d’armes. Je vous les rendrai en temps voulu. Personne ne doit en avoir dans le Bois des Ombres, pas même un Chevalier Solamnique. N’aie crainte, noble chevalier, je sais que ton épée est ancienne, et d’une valeur inestimable. J’en prends soin. Pardonnez cette méfiance apparente, mais le grand Huma lui-même a dû déposer Lancedragon à mes pieds.

— Le grand Huma ! s’exclama Sturm. Qui es-tu donc ?

— Je suis la Maîtresse de la Forêt.

Dès que la voix avait retenti, les ténèbres s’étaient dissipées. Une brise printanière se leva, caressant les compagnons, bouche bée devant ce qui leur arrivait. La lune illumina un rocher, sur lequel se dressait une licorne. Elle posa sur eux un œil froid plein d’une infinie sagesse.

L’animal mythique était bouleversant de beauté. Lunedor, éblouie par son aura, en avait les larmes aux yeux. Son pelage était couleur de lune et son unique corne brillait comme une perle. Sa crinière flottait dans la brise telle l’écume de la mer. On aurait dit que sa tête avait été sculptée dans le marbre. Son torse et son cou étaient puissants, et ses longues jambes reposaient sur de délicats sabots de biche.