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— Les nôtres… Notre peuple a survécu !

Le visage de Lunedor s’illumina.

— Ils doivent être peu nombreux, s’ils sont encore vivants. Car les draconiens les ont peut-être suivis dans la montagne. (Il haussa les épaules.) De toute façon, tu es désormais leur reine. Moi, je ne suis que l’époux de la reine.

Lunedor sursauta comme s’il l’avait frappée.

— Non, Rivebise, dit-elle doucement en secouant la tête, de cela, nous avons déjà parlé.

— Vraiment ? J’y pensais cette nuit. Je suis resté parti si longtemps. Tu occupais mes pensées, tu étais la femme aimée. Je n’avais jamais imaginé que… J’ai quitté Lunedor, je retrouve une princesse.

— Avais-je le choix ? cria Lunedor. Mon père était malade. Il fallait bien gouverner pour empêcher Loreman de mettre la main sur la tribu. Peux-tu t’imaginer ce que cela représente d’être la fille du chef ? Se demander à chaque repas dans quel plat est caché le poison ; se battre tous les jours pour trouver de l’argent et payer les soldats. Se comporter en princesse pendant que mon père grabataire divaguait.

Le visage fermé, Rivebise écouta sans mot dire. Il fixait un point au-dessus de la tête de Lunedor.

— Nous devrions partir, dit-il froidement. L’aube se lève.

À peine avaient-ils parcouru quelques lieues sur la vieille piste qu’ils débouchèrent sur un marais. Le sol devint spongieux et les arbres se firent rares. Des émanations montaient de la terre, nuages de vapeur qui voilaient le soleil. L’air devint difficilement respirable. Pris d’une quinte de toux, Raistlin se masqua le visage avec un mouchoir.

Flint, accompagné de Tass, ouvrait la marche.

Soudain le nain poussa un cri et disparut jusqu’au cou dans la fange.

— Au secours ! Le nain ! cria Tass.

Les autres accoururent.

— Je suis aspiré vers le fond ! gémit Flint en se débattant.

— Ne bouge pas ! s’écria Rivebise. Tu es tombé dans un tourbillon de boue. Reste tranquille si tu ne veux pas t’enfoncer !

Il retint Caramon, qui se penchait pour attraper le nain par la main.

— N’avance surtout pas ! Vous seriez engloutis tous deux par la tourbe. Tends-lui une perche.

Caramon tira sur la branche où s’était agrippé Flint. Lentement, le nain émergea de la boue visqueuse.

— Tanis ! Regarde ! glapit le kender.

Un serpent de la taille du bras de Caramon ondulait dans la vase à l’endroit où Flint était tombé.

— Nous ne pouvons pas traverser un enfer pareil ! dit Tanis en faisant un geste vers le marécage. Il faut rebrousser chemin !

— Il n’y a pas d’autre voie, constata Rivebise sur un ton étrange. Nous pouvons passer, je connais un sentier.

— Quoi ? s’étonna Tanis. Tu disais que…

— Je suis déjà venu ici, dit le barbare d’une voix changée. Je ne me souviens pas à quel moment, mais j’y étais. Je connais le chemin qui conduit à travers le marécage. Il mène…

— À une cité maléfique ? acheva Tanis à la place de Rivebise.

— Xak Tsaroth ! siffla Raistlin.

— Évidemment, tout s’explique, dit doucement Tanis. Où pourrions-nous apprendre quelque chose sur ce bâton, sinon là où on te l’a donné ?

— Il faut partir de suite ! insista Raistlin. Nous devons être là-bas à minuit !

Cette fois, Rivebise prit la tête de la colonne. Malgré une brume de plus en plus dense, il sut où diriger ses pas pour trouver la terre ferme. Bientôt, ils virent à peine où ils posaient les pieds, et ils durent ralentir. Au moindre faux mouvement, ils risquaient de tomber dans les mares de fange visqueuse qui stagnaient autour d’eux.

Brusquement le chemin s’arrêta. Devant eux, il n’y avait plus que de l’eau noirâtre.

— Par là !

Rivebise pointa le doigt sur une passerelle de lianes tressées reliée à deux arbres, tendue au-dessus de l’eau comme une toile d’araignée.

— Qui a bien pu la construire ? demanda Tanis.

— Je n’en sais rien, dit Rivebise, mais il y en aura de semblables tout au long du chemin.

— Je t’avais bien dit que Xak Tsaroth ne resterait pas longtemps abandonnée, fit remarquer Raistlin.

— Très bien, dit Tanis, nous n’allons pas cracher sur un cadeau des dieux. Au moins, cela nous évitera de faire le chemin à la nage.

La traversée de la passerelle était une gageure, car la construction était fragile. Elle se balançait à chaque pas qu’ils hasardaient en tremblant sur l’entrelacs de lianes gluantes. Après l’avoir franchi, ils parcoururent une bande de terre ferme au bout de laquelle se profilait une autre passerelle. Dans l’eau noire qui les cernait, miroitaient des œilletons étranges qui semblaient prêts à les happer. Ils arrivèrent au point où s’arrêtait la terre ferme. Plus de passerelle, mais une vaste étendue d’eau trouble qu’il fallait franchir.

— L’eau n’est pas profonde, dit Rivebise, vous n’avez qu’à me suivre en marchant dans mes traces.

Sentant des créatures invisibles grouiller entre leurs jambes, les compagnons sondèrent la surface du marécage en roulant des yeux effarés. Quand ils arrivèrent sur la terre ferme, le limon collé à leurs jambes dégagea une odeur à soulever le cœur.

Plus ils progressaient vers le nord, plus le sol se raffermissait. La végétation se fit moins dense et le soleil parvint à traverser la voûte de verdure qui les séparait du ciel. Tanis décida de faire halte au pied d’un chêne. Heureux d’être sortis du marais, les compagnons se restaurèrent en devisant gaiement, à l’exception de Lunedor et Rivebise, qui ne parlaient pas.

Les vêtements de Flint étaient trempés et il grelottait. Il se plaignit de douleurs aux articulations. Tanis se souvint que le nain craignait de devenir une charge pour les autres, et s’inquiéta de ses rhumatismes. Le demi-elfe fit signe au kender et l’attira un peu à l’écart.

— Je crois savoir que, dans tes sacs, tu caches de quoi réchauffer la carcasse du nain, si tu vois ce que je veux dire…

— Oh oui, bien sûr ! répondit le kender, rayonnant.

Il fouilla dans un de ses sacs et en extirpa une flasque d’argent.

— De l’eau-de-vie, cuvée personnelle d’Otik.

— Je suppose que tu ne l’as pas achetée ?

— Dès notre retour, je m’acquitterai…

— Mais bien sûr…, dit Tanis en lui tapant sur l’épaule. Tu vas partager ça avec Flint, mais ne lui en donne pas trop. Juste de quoi réchauffer ses vieux os.

— D’accord. Puis nous conduirons la colonne, comme de valeureux guerriers.

Les compagnons s’apprêtèrent à reprendre la route. Ils auraient eu bien besoin de la cuvée spéciale d’Otik… Lunedor et Rivebise ne s’étaient pas adressé la parole, et leur morosité rejaillissait sur la petite troupe. Tanis ne savait que faire pour mettre un terme à la douleur qui les unissait et les déchirait. Seul le temps refermerait les plaies.

Brusquement, les compagnons se remirent à patauger dans la glaise.

Flint et Tass s’accommodèrent fort bien du terrain marécageux. Ils avaient pris de l’avance sur les autres ; Tass semblait avoir oublié les recommandations de Tanis. L’eau-de-vie les avait si bien réchauffés qu’elle avait dissipé l’atmosphère pesante. Le nain et le kender, à force de se repasser la flasque, l’avait vidée. Ils se promenaient et plaisantaient avec force ricanements sur ce qu’ils feraient s’ils rencontraient un draconien.

— Je le pétrifierai d’un seul coup de hache, dit Flint en faisant des moulinets avec son bras. Et pan ! En plein dans le lard du lézard ! s’esclaffa-t-il.

— Raistlin ferait ça rien qu’en le regardant, dit Tass en singeant la mimique singulière du mage.

Ils se tordirent de rire en se poussant du coude, espérant que Tanis ne les avait pas entendus.