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— Je parierai que Caramon est capable d’en embrocher un rien que pour l’avaler tout cru !

Tass faillit tomber de rire. Parvenus au bout de la terre ferme, il retint in extremis Flint, qui se précipitait tête baissée dans une étendue d’eau saumâtre, trop vaste pour être reliée à la terre par une passerelle. Un gigantesque tronc d’arbre aux « griffes d’acier », comme les nommait Rivebise, affleurait à la surface de l’eau. Il était assez large pour que deux personnes passent de front.

— Ah ! voilà enfin un pont ! s’exclama Flint en sautant d’un pied sur l’autre pour ne pas perdre l’équilibre. Je n’aurai plus à m’accrocher comme une araignée à ces maudites passerelles ! Allons-y !

— Si on attendait les autres ? suggéra Tass. Tanis n’aime pas que nous nous séparions.

— Tanis ? Il va voir ce qu’il va voir…

— D’accord ! s’exclama joyeusement le kender.

Il monta sur le tronc d’arbre et fit un pas en avant.

— Attention ! Ça glisse ! fit-il en manquant déraper.

Le nain se risqua sur le tronc à la suite de Tass. Une petite voix lui soufflait qu’il n’aurait jamais osé le faire s’il n’avait pas bu ; elle lui disait aussi qu’il était fou de ne pas attendre les autres, mais il la fit taire. Il se sentait rajeunir.

Enchanté, Tass se prenait pour un funambule. Il constata qu’il avait même un public, en la personne de deux créatures draconiennes qui avaient sauté à l’autre bout du tronc d’arbre. Cette apparition le dégrisa rapidement. Il n’était nullement effrayé, mais stupéfait. Avec une belle présence d’esprit, il se mit à crier :

— Tanis ! Une embuscade !

Il se saisit aussitôt de son bâton à clochettes et le fit tournoyer.

L’un des draconiens, pris de court, retomba sur la berge.

— Que se passe-t-il ? cria Flint.

— Des draco-machins-trucs ! répondit Tass en jouant de son bâton contre la deuxième créature. Deux devant, qui arrivent droit sur nous !

— Par les dieux, ôte-toi de mon chemin, grogna Flint en prenant sa hache.

— Et où vais-je me mettre, moi ? rétorqua Tass.

— Baisse-toi !

Le kender plongea sur le tronc d’arbre tandis qu’un draconien avançait, toutes griffes dehors. Flint abaissa sa hache, mais il avait mal calculé son coup. La lame frôla la tête du reptiloïde, qui se mit à agiter les bras en chantant d’étranges couplets.

Emporté par son élan, Flint glissa sur le bois visqueux et fut précipité dans l’eau. On entendit un hurlement.

Tass, qui côtoyait Raistlin depuis des années, s’aperçut immédiatement que le draconien lançait un sort. À plat ventre sur le tronc, son bâton à la main, il avait une demi-seconde pour réagir. Le nain suffoquait, gigotant un pied au-dessous de lui. Le draconien n’allait pas tarder à conclure son incantation. Entre la noyade et l’envoûtement, Tass choisit de retenir sa respiration, et se laissa tomber du tronc.

— Tanis ! Une embuscade !

Les compagnons se précipitèrent en direction de l’appel et arrivèrent bientôt au tronc d’arbre. Quatre draconiens jaillis des fourrés leur barrèrent la route.

Aussitôt, les compagnons furent plongés dans les ténèbres. Ils ne voyaient même plus leurs mains.

La voix de Raistlin se fit entendre :

— Ce sont des magiciens ! Écartez-vous ! Vous ne pouvez rien contre eux !

Le jeune mage poussa un cri atroce.

— Raist ! cria Caramon. Où es-tu…

On entendit un grognement et le bruit d’une chute.

Tanis ressentit l’effet de l’incantation des draconiens. Il essaya de dégainer son épée, mais une épaisse substance gélatineuse le couvrit des pieds à la tête, s’insinuant dans sa bouche et ses narines. Plus il se débattait, plus il s’empêtrait. Il entendit les jurons de Sturm tout près de lui, les cris de Lunedor et un appel étouffé de Rivebise. Alors une torpeur insidieuse envahit son corps. Il continua de se battre contre la toile d’araignée gluante qui l’emprisonnait, puis tomba la tête la première, face contre terre, et sombra dans un sommeil surnaturel.

14

Prisonniers des draconiens.

Haletant, Tass se laissa tomber dans l’herbe et observa les draconiens qui s’affairaient autour de ses compagnons pétrifiés. Il s’était mis à l’abri des regards dans les buissons bordant le marécage. Le nain, assommé, gisait à côté de lui. Tass fut pris de remords. Paniqué, Flint avait entraîné le kender avec lui au fond de l’eau. Si Tass ne l’avait pas frappé, ils se seraient noyés tous les deux.

Le kender n’avait rien pu faire pour venir en aide à ses amis pris au piège par ce qui semblait de lourdes toiles d’araignée. Manifestement, ils avaient sombré dans l’inconscience, ou ils étaient morts.

Tass s’amusa beaucoup en voyant un draconien essayer de prendre le bâton de Lunedor. La décharge de lumière bleue fit lâcher prise à la créature, qui sauta en l’air en rugissant une kyrielle de mots que le kender jugea impolis.

Échaudé, le draconien finit par trouver une idée ingénieuse. Il tira la couverture de fourrure du sac de Lunedor et l’étendit sur le sol. Au moyen d’une branche, il poussa le bâton dessus et l’enroula dedans.

Puis les draconiens emmenèrent les prisonniers et leurs affaires.

Tapi dans son fourré, Tass les vit passer ; il lui sembla même entendre ronfler Caramon. Le sort d’endormissement qu’avait lancé Raistlin lui revint à la mémoire. Les draconiens avaient dû en jeter un semblable…

Flint reprit conscience. Il promena de grands yeux autour de lui.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il d’un air hébété, en se frottant le crâne.

— Tu es tombé du tronc d’arbre et tu t’es cogné la tête, répondit Tass sans broncher.

— Ah bon ? dit le nain en fronçant le nez. Je ne m’en souviens pas. Je revois encore les draconiens se ruer vers moi et je me rappelle être tombé à l’eau, mais…

— C’est comme ça, ne discute pas, se hâta de conclure le kender. Peux-tu marcher ?

— Évidemment, je peux marcher ! Où sont passés les autres ?

— Capturés par les draconiens, qui les ont emmenés avec eux.

— Aussi facilement ?

— Ces draconiens-là étaient des magiciens, répondit Tass avec impatience. Ils leur ont jeté un sort, mais ils n’ont blessé personne, sauf Raistlin. Il avait l’air mal en point quand je les ai vus passer ; ils ont dû lui faire subir quelque chose de terrible.

Il tira le nain par la manche.

— Allez, allez ! Il faut les suivre.

— Oui, oui, bien sûr, Tass. Où est mon heaume ?

— Au fond du marécage ! répondit Tass, exaspéré. Veux-tu vraiment aller le chercher ?

Le nain se tourna vers l’eau stagnante et frissonna de dégoût. Il passa et repassa la main sur le gros hématome qui ornait son crâne.

— Je ne me souviens pas de m’être cogné la tête… Ma hache ! s’écria-t-il subitement.

— Chut ! Tu es vivant, c’est le principal. Maintenant, il va falloir délivrer les autres.

— Comment comptes-tu t’y prendre, sans armes, mis à part ta fronde ?

— Nous aviserons, dit Tass rayonnant de confiance, bien qu’il n’eût pas la moindre idée de ce qu’il était possible de faire.

Le kender trouva facilement la trace des draconiens sur une ancienne voie, apparemment très fréquentée, vu la quantité d’empreintes qu’elle comportait. Elle les mènerait probablement au camp ennemi.

Ils cheminèrent pendant une heure ; le soleil commençait à décliner. À la nuit tombée, ils gagnèrent les taillis. Le kender se déplaçait sans faire plus de bruit qu’une souris, tandis que le nain se cognait aux branches et percutait les troncs d’arbres. Heureusement, les draconiens, en liesse, n’auraient pas entendu approcher une armée.

Flint et Tass s’assirent à distance de la lumière du feu de camp et observèrent. Soudain, Flint flanqua au kender une bourrade qui l’envoya presque au sol.