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Mais le chant mourut sur les lèvres du chevalier.

En entendant célébrer les anciens dieux, Tanis se sentit envahi d’une bienfaisante paix. À côté de lui, Caramon pleurait en silence.

Puis une voix claire s’éleva dans la nuit :

— Arrêtez. Amenez-le-moi.

Aussitôt, Tanis et Caramon se placèrent devant le corps de Rivebise pour le soustraire à la vue de Lunedor. Arraché à la célébration d’un passé ancestral, Sturm revint vite à la réalité et baissa son épée. La fragile petite silhouette de Lunedor se détachait sur les portes d’or du temple. Tanis voulut lui parler, mais l’emprise d’une main froide sur son bras l’en retint. Il se dégagea vivement de Raistlin.

— Fais ce qu’elle dit, siffla le mage. Amène-lui Rivebise.

Face au regard vide et au visage sans expression de Raistlin, Tanis se raidit de colère.

— Emmenez-le, dit calmement le mage. Ce n’est pas à nous de décider de la mort de cet homme. C’est l’affaire des dieux.

16

Un choix épineux. Le plus beau des cadeaux.

Tanis regarda Raistlin. Pas un battement de paupière ne trahissait ses sentiments. Si toutefois il en avait… Leurs regards se croisèrent. Comme toujours, Tanis sentit que le mage voyait au-delà de lui, beaucoup plus loin qu’un simple regard pouvait le faire. Il le haït soudain avec une violence qui le surprit, le détestant et l’enviant en même temps.

— Il faut faire quelque chose ! pressa Sturm. Il n’est pas mort, mais le dragon peut revenir d’une minute à l’autre.

— D’accord, dit Tanis d’une voix nouée. Enveloppez-le dans une couverture… Avant, laissez-moi parler à Lunedor seul à seul.

Le demi-elfe traversa la cour dallée et gravit les marches du temple. Lunedor attendait, debout devant les portes d’or.

— Amenez-le-moi, Tanis, répéta-t-elle.

Le demi-elfe prit sa main.

— Lunedor, Rivebise est dans un état désespéré. Il va mourir. Nous ne pouvons plus rien pour lui, le bâton non plus.

— Ne dis plus un mot, Tanis, répondit-elle doucement.

Tanis n’insista pas. Pour la première fois, il la vit telle qu’elle était. Apaisée et tranquille. Son visage était empreint de la plénitude qu’apporte le calme après la tempête.

— Entrons dans le temple, ami, dit-elle en plongeant ses yeux intenses dans ceux de Tanis. Entrons dans le temple avec Rivebise.

Lunedor n’avait pas entendu approcher le dragon. Elle n’avait pas vu qu’il attaquait Rivebise. Quand les compagnons étaient arrivés sur la place en ruine de Xak Tsaroth, une force étrange l’avait attirée vers le temple. Elle avait gravi les marches jusqu’aux portes d’or. Là, elle avait entendu Rivebise l’appeler. « Lunedor…» Ne voulant pas laisser son bien-aimé et ses amis face au malheur qui sourdait du puits, elle avait hésité.

— Entre, mon enfant !

L’appel venait d’on ne sait où.

Lunedor s’était retournée vers les portes, les larmes aux yeux. C’était la voix de sa mère. Chantepleur, prêtresse de Que-Shu, était morte depuis bien longtemps, quand Lunedor était encore une enfant.

— Chantepleur ? s’exclama Lunedor d’une voix étranglée. Mère ?

— Tu as vécu des années difficiles, ma fille, et je crains que ton fardeau à venir ne soit encore plus lourd à porter. Si tu poursuis cette voie, tu entreras dans des ténèbres encore plus denses. C’est la vérité qui éclairera ton chemin, et tu trouveras que c’est une bien faible lumière dans la nuit qui t’attend. Mais sans la vérité, tout sera anéanti par la mort. Entre avec moi dans le temple, ma fille, tu trouveras ce que tu cherches.

— Mais mes amis, et Rivebise ? dit Lunedor en se retournant vers la place où son bien-aimé était tombé à genoux pendant que le sol tremblait. Ils ne peuvent pas se défendre. Ils mourront sans moi. Le bâton peut les aider ! Je ne dois pas les abandonner !

À cet instant les ténèbres obscurcirent tout.

— Je ne les vois plus !… Rivebise ! Mère, aide-moi !

Il n’y eut pas de réponse.

C’est injuste ! cria Lunedor dans sa tête. Ce n’est pas ce que nous voulions ! Nous désirions simplement nous aimer, et cela nous perdra peut-être ! Nous avons fait tant de sacrifices qui n’ont servi à rien. J’ai trente ans, mère ! Trente ans et pas d’enfant ! On m’a pris ma jeunesse, on m’a pris mon peuple. Il ne m’est rien resté. Rien, excepté ce bâton. Et une fois encore, on me demande plus.

Sa colère tomba. Rivebise s’est-il insurgé contre les années passées à chercher des solutions aux problèmes que d’autres lui posaient ? La seule chose qu’il eût trouvée était ce bâton, qui reste une énigme. Non, il ne s’est jamais emporté. En lui, la foi fut la plus forte. Moi, je suis faible. Rivebise a toujours été prêt à sacrifier son existence à sa quête. Il faut que j’aie la volonté de vivre, même sans lui.

Lunedor appuya la tête contre le métal froid des portes. Elle s’était décidée.

— Je ferai le pas en avant, mère, et j’entrerai dans le temple. Si Rivebise meurt, mon âme partira avec lui. Je demande une chose : s’il doit mourir, qu’il sache que je suivrai la voie qu’il a ouverte.

Appuyée sur le bâton, la princesse des Que-Shus poussa les portes d’or, qui se refermèrent sur elle au moment précis où le dragon sortait du puits.

Sous le dôme du sanctuaire, au milieu des dalles en mosaïque, s’élevait une statue de marbre d’une singulière beauté. Elle irradiait de lumière. Fascinée, Lunedor approcha. La statue figurait une femme, vêtue d’une robe flottant autour d’elle, dont le visage exprimait l’espoir et une sorte d’abnégation. Elle portait une étrange amulette suspendue à son cou.

— Voici Mishakal, déesse de la guérison, dont je suis la prêtresse, dit la voix de sa mère. Écoute ce qu’elle te dira, ma fille.

La statue était merveilleusement belle. Mais il lui manquait quelque chose. Lunedor réalisa que ses doigts étaient refermés sur un objet absent. Sans réfléchir, simplement pour parachever la perfection de l’œuvre, Lunedor glissa le bâton entre les mains de marbre.

Il s’irisa d’une douce lumière bleutée. Surprise, Lunedor recula. Le bâton s’illumina d’une clarté éblouissante. La jeune femme tomba à genoux. Un sentiment d’amour intense gonfla son cœur. Elle regretta amèrement de s’être emportée.

— N’aie pas honte des questions qui te tourmentent, chère disciple. Ce sont elles qui t’ont menée à nous, et c’est ta colère qui te soutiendra dans les épreuves qui t’attendent. Tu es venue chercher la vérité, et tu la trouveras.

« Les dieux ne se sont pas détournés des hommes, mais les hommes ont oublié les vrais dieux. Krynn va subir la plus grande épreuve de son existence. Plus que jamais, les hommes auront besoin de la vérité. C’est à toi, ma disciple, de les ramener au pouvoir des vrais dieux. Le temps est venu de rétablir l’équilibre de l’Univers. Le Démon a pris le dessus. Car les dieux du Bien se sont tournés vers les hommes, mais les dieux du Mal aussi, et ils œuvrent à asservir leurs âmes. La Déesse des Ténèbres est revenue ; elle cherche un moyen de prendre possession du pays. Les dragons, qui avaient été bannis dans le néant, sont de retour. »

Les dragons, pensa Lunedor. Elle ne parvenait pas à analyser les paroles qui pénétraient en elle, mais elle en comprendrait le sens plus tard. Jamais, elle ne les oublierait.

— Pour avoir la force de les vaincre, tu auras besoin de la vérité des dieux. C’est le cadeau le plus beau qu’on ait fait au monde. Sous ce temple, dans ces ruines hantées par les années de gloire révolue, reposent les Anneaux de Mishakal. Ce sont des disques de platine brillant. Si tu les trouves, tu pourras faire appel à mes pouvoirs, car je suis Mishakal, déesse de la guérison.