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« Ton chemin sera semé d’embûches. Les dieux du Mal connaissent le pouvoir de la vérité et le redoutent. Un puissant dragon séculaire, Khisanth, connu chez les hommes sous le nom d’Onyx, est le gardien des Anneaux. Son repaire se trouve sous la cité détruite de Xak Tsaroth. Si tu choisis de retrouver les reliques, sache que le danger te guettera à tout instant. C’est pourquoi je bénis ce bâton. Sers-t’en avec hardiesse et sans faillir, et tu l’emporteras sur le Mal. »

La voix s’était éteinte. Lunedor entendit le hurlement de Rivebise.

Quand Tanis pénétra dans le temple, une scène de sa vie passée lui revint en mémoire. Laurana, son frère, Gilthanas, et lui étaient assis au bord de la rivière, se partageant entre les jeux d’enfants et les rêves d’avenir. Ces jours heureux n’avaient pas duré longtemps. Tanis s’était vite aperçu qu’il était différent des autres. Le souvenir de ce moment ensoleillé d’amitié enfantine adoucit ses peines.

Il se tourna vers Lunedor, qui se tenait près de lui sans rien dire.

— Quel est cet endroit ?

— Je t’en parlerai plus tard, répondit la barbare.

Ils avancèrent au centre du sanctuaire et s’arrêtèrent devant la statue. Tanis la contempla, bouche bée.

Caramon et Sturm étaient entrés, portant Rivebise sur une civière de fortune. Tass, étonnamment déprimé, et le nain, plus vieux que jamais, montaient la garde de chaque côté. Le capuchon rabattu sur la tête, les mains enfouies dans ses manches, Raistlin fermait la marche. On aurait dit des funérailles.

Ils déposèrent le blessé devant Lunedor.

— Découvrez-le, dit-elle.

Personne n’osa faire un geste.

Brusquement, Raistlin se pencha sur le corps et, d’un coup sec, enleva le manteau étendu sur le barbare.

Lunedor tressaillit en découvrant le corps torturé de Rivebise. Mais en digne représentante de son peuple, elle se ressaisit aussitôt. Elle prit le bâton des mains de la déesse et vint s’agenouiller auprès de Rivebise.

— Kan-tokah ! dit-elle doucement. Mon bien-aimé !

D’une main tremblante, elle caressa le front du mourant. Comme s’il voulait la toucher, il leva une main noirâtre, qui retomba aussitôt, sans vie. Il poussa un soupir et resta inerte. En larmes, Lunedor tendit le bâton au-dessus de son corps. Une douce lumière bleue envahit le sanctuaire. Tous se sentirent renaître. Leurs chairs étaient comme lavées des tourments qui les avaient si durement éprouvés. Les images de l’attaque du dragon s’évanouirent de leur esprit. Puis la lumière du bâton s’estompa. L’obscurité gagna le temple, que seule la statue de la déesse éclairait.

Une voix grave s’éleva dans la pénombre du sanctuaire :

— Kan-tokah neh sikaram.

Lunedor poussa un cri d’allégresse. Son bien-aimé tendit les bras vers elle. Elle referma les siens sur lui et l’étreignit, pleurant et riant de joie.

— … Donc, dit Lunedor pour conclure son récit, il faut trouver un moyen de pénétrer dans la cité détruite, sous le temple, pour reprendre les Anneaux que le dragon garde dans son repaire.

Les compagnons s’assirent sur les dalles du sanctuaire pour prendre un peu de nourriture. Ils avaient fait le tour des lieux sans repérer personne. Caramon disait avoir découvert un escalier qui menait à la cité détruite. Le bruit étouffé du ressac leur rappela qu’ils se trouvaient au sommet d’une falaise surplombant le Nouvel Océan.

Les compagnons s’étaient tus. Chacun s’abandonnait à ses pensées.

— Nous devrions dormir, suggéra Sturm. Je prendrai le premier tour de garde.

— Inutile de monter la garde cette nuit, dit doucement Lunedor, assise près de Rivebise, en regardant la statue.

Le barbare avait à peine ouvert la bouche depuis qu’il était revenu à la vie. Il avait longuement contemplé la statue de Mishakal, reconnaissant en elle la femme qui lui avait donné le bâton. Mais il n’avait pas répondu aux questions de ses compagnons.

— Je crois que Lunedor a raison, dit Tass. Faisons confiance aux anciens dieux, maintenant que nous les avons retrouvés.

— Les elfes ne les ont jamais perdus, les nains non plus, protesta Flint. Je ne comprends rien à tout ça ! Reorx est un ancien dieu. Nous l’adorions bien avant le Cataclysme !

— L’adorer ? Dis plutôt se plaindre à lui que ton peuple soit terré dans le Royaume sous la Montagne ! Ne raconte pas de bêtises, Flint !

Voyant le nain virer à l’écarlate, Tanis leva une main pour l’apaiser.

— Les elfes ne valent pas mieux, reprit-il. Nous avons imploré les dieux dès que nos terres ont été dévastées. Nous reconnaissons les dieux et nous honorons leur mémoire, comme on honorerait un mort. Chez les elfes comme chez les nains, les prêtres ont disparu depuis longtemps. Je me souviens de Mishakal la Guérisseuse et des légendes qu’on racontait sur elle lorsque j’étais petit. Notre enfance revient nous hanter… ou nous sauver. Cette nuit, j’ai assisté à deux prodiges : un maléfice et une renaissance. Je dois admettre les deux, si j’en crois ce que j’ai vu. Encore que… Nous monterons la garde cette nuit. Désolé, ma dame, j’aimerais avoir une foi aussi forte que la tienne.

Sturm prit le premier tour de veille. Les compagnons s’enveloppèrent dans des couvertures et s’allongèrent sur le sol. Le chevalier fit une dernière inspection, plus par habitude que par prudence. Le vent soufflait en rafales, mais à l’intérieur du sanctuaire régnait une atmosphère paisible. Trop paisible.

Assis au pied de la statue, Sturm sentit une douce torpeur l’envahir. Il en sortit brusquement, conscient de s’être assoupi malgré lui. S’endormir pendant qu’il montait la garde était proprement inexcusable ! Il décida qu’il marcherait de long en large pendant deux heures.

Il allait et venait quand un chant s’éleva sous la coupole ; c’était une voix de femme. Stupéfait, le chevalier porta la main à son épée en regardant autour de lui. Puis sa main quitta doucement la garde ouvragée. Il avait reconnu la voix de sa mère. Soudain, il sentit sa présence, comme si elle était là, tout près de lui. Il se revoyait avec elle sur le chemin de l’exil, fuyant la Solamnie.

La chanson était une berceuse sans paroles, plus ancienne que les dragons eux-mêmes. Sa mère le tenait contre lui et tentait de le rassurer en chantant.

Il ferma les yeux. Le sommeil l’envahit comme une vague bienfaisante…

Le bâton de Raistlin jeta une vive clarté qui illumina les ténèbres.

17

Les Chemins de la Mort. Les nouveaux amis de Raistlin.

Le tintamarre d’une batterie de marmites tombant sur le dallage tira brutalement Tanis de son sommeil. Cherchant son épée de la main, il se dressa sur son séant.

— Désolé, Tanis, dit Caramon avec un sourire confus. Mes pièces d’armure m’ont échappé des mains.

Tass l’aida à se vêtir tandis que Rivebise affûtait l’épée qu’il avait récupérée. À la vue de ces préparatifs, Tanis reprit ses esprits ; ils avaient une épreuve à affronter.

La tâche serait rude, surtout pour lui. Les elfes vénéraient la vie. La mort n’était pour eux que le passage à un niveau supérieur de conscience ; tuer compromettait chaque fois cette autre existence.

Tanis s’efforçait de faire la part belle à sa moitié humaine. Aujourd’hui, il serait obligé de donner la mort, et d’accepter celle d’êtres aimés. Il se souvint de ce qu’il avait ressenti quand il avait failli perdre Rivebise.

— Tout le monde est debout ? demanda-t-il à la cantonade.

— Le petit déjeuner est presque terminé, grommela Flint en lui tendant de la viande séchée. Même le Cataclysme ne t’aurait pas réveillé !